La situation sécuritaire dans le nord malien était déjà assez préoccupante avec des cellules terroristes d’AQMI soigneusement disséminées et cachées dans le vaste Sahara, des contrebandiers assez mobiles et habiles pour se jouer du faible dispositif de l’armée et de la douane, le retour de Libye d’ex-combattants touaregs fuyant le courroux du CNT, et le sabotage des efforts de retour de l’administration et des forces armées et de sécurité.
Le contexte, dans le grand nord du Mali, est resté le même, marqué par un sous-développement chronique, l’insécurité résiduelle, le désœuvrement de la jeunesse, le recrutement en faveur d’AQMI et de bandes criminelles organisées. Aujourd’hui, le nord fait l’objet de surenchère et de chantage qui ne disent pas leur nom.
On évoque de plus en plus un nom : MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), un groupuscule dormant qui vient d’être réactivé et grandit avec une rapidité alarmante. Il hausse de plus en plus le ton, se fait de la publicité grâce à l’internet, est en quête de sympathie internationale qui lui permettrait de légitimer et d’expliquer des actions qu’il promet à court et moyen termes. Il chercherait même à imposer aux autorités, à défaut d’une indépendance, un redécoupage territorial.
Ce mouvement, malgré son inaction forcée par le manque de tous les moyens nécessaires à une rébellion, n’est pourtant pas inoffensif. En effet, le fait que le MNLA est en contact permanent et nourri avec des personnalités du nord (députés, maires, leaders communautaires, chefs de fraction, cadres,…) n’est pas une simple quête de légitimité, mais traduit plutôt une accointance entre différentes parties. Un des arguments les plus avancés par le MNLA, c’est le manque d’efforts de développement et l’absence de l’Etat.
Sur le premier point, depuis l’indépendance, c’est le septentrion qui bénéficie des plus importants investissements. Les efforts de développement sont consentis par le gouvernement et, surtout, par l’aide internationale au développement. Ils se traduisent par les interventions des partenaires techniques et financiers, directement ou indirectement, avec des ONG nationales ou internationales, en partenariat avec l’Etat, les collectivités territoriales et les associations de base. Plusieurs moyens sont mis en œuvre. Et c’est justement les moyens matériels (véhicules, essentiellement) et humains (coopérants) qui constituent les cibles privilégiées des saigneurs du désert. Le vol de véhicules était déjà légion. L’enlèvement d’Européens l’est de plus en plus. Cette insécurité permanente qui menace les hommes et leurs matériels est la principale raison de l’abandon du nord par les acteurs du développement, du gel des financements des actions, y compris celles menées par des locaux, et, donc, de l’arrêt des efforts de développement.
Sur le deuxième point, l’absence de l’Etat, notamment des forces armées et de sécurité, est due essentiellement au respect des clauses du Pacte national et de l’Accord d’Alger, lesquelles exigeaient, avec la bénédiction du médiateur algérien et des partenaires européens, un allègement du dispositif militaire et sécuritaire dans le nord.
En lieu et place, même en l’absence d’une rébellion armée avec des revendications politiques, mais avec la persistance d’une insécurité larvée, l’Etat a été contraint de mettre en place deux superstructures chargées de mettre en œuvre et de gérer des programmes et projets spécifiques et/ou intégrés de développement. Après des années d’existence, et malgré les centaines de milliards engloutis par ces superstructures, l’absence de résultats est criarde et affligeante.
Si les activités de l’une couvrent l’ensemble du pays, personne ne comprend la présence de la direction générale de l’autre à Bamako, au lieu de Gao ou d’une autre ville du septentrion pour lequel elle existe.
Il est vrai que la direction de celle-ci a déménagé en catimini de Gao parce que ses travailleurs se sentaient menacés de représailles de la part des populations, suite à des actes criminels perpétrés (explosion de grenades, braquages de véhicules, attaques de villages, …) dans la ville. Ce prétexte a longtemps fait illusion avant qu’on ne découvre que les travailleurs n’étaient nullement visés. Contrairement au directeur que beaucoup accusent de détournement et mauvaise gestion des fonds, et, surtout, de complicité avec les nombreux groupes rebelles ou insurrectionnels.
Les colossaux financements de ces deux superstructures, qui seraient utilisés à des fins inappropriées, seraient également les seules sources de revenus de leurs responsables (essentiellement touaregs et sonrhaïs). Lesquels, selon plusieurs hauts cadres du nord, ne feraient rien pour impulser un développement qui mettra fin aux revendications légitimes des ressortissants du septentrion.
Ils ne seraient pas les seuls à ne pas vouloir la sécurisation du nord malien. Il y a aussi les intermédiaires, médiateurs et négociateurs qui agissent, d’une part, entre les autorités maliennes et les dissidents, déserteurs et rebelles, d’autre part, entre les chancelleries occidentales et les ravisseurs d’otages. Faisant de leurs « bons offices » des activités génératrices de revenus importants, ils encourageraient volontiers les rébellions et insurrections armées afin de monnayer plus tard leur interposition, ils approvisionneraient de bon gré les terroristes en vivres et en otages pour proposer ensuite leurs talents d’humanistes et faire libérer les otages.
Deux de ces célèbres intermédiaires sont aujourd’hui en fuite ou en exil. L’un est Malien et se terre avec bagages et famille dans les nombreux massifs montagneux du nord. L’autre est Mauritanien, a trouvé refuge au Burkina Faso, se balade comme il veut en certains endroits dont le Mali, malgré un mandat d’arrêt international dont il fait l’objet.
L’un et l’autre pourraient émerger bientôt au grand jour, et reprendre leurs juteuses affaires. En haut lieu, on a besoin d’eux pour leur expertise du terrain, leur autorité sur la vermine, leur connaissance de la psychologie criminelle et de la nature inhumaine.
Cheick Tandina