A bien des égards, la crise qui s’est taillé au Mali un statut de bazar n’est évidemment plus une affaire sahélo-sahélienne, mais bel et bien débordé les seules frontières de la région voire du continent. Et la réunion tenue à Bamako, le mois dernier, organisée par la nouvelle présidente de l’Union Africaine la sud-africaine Nkosazana Dlamini Zuma, et, à laquelle ont pris part l’ONU, la CEDEAO, l’Union Européenne … a fait naître chez plus d’un, une note d’espérance qui est de voir la crise dépasser l’étape des parlottes, donc de voir se préciser une intervention militaire.
Mais toujours est-il que ce souhait partagé, par ceux qu’on appelle à défaut « les va-t-en-guerre », risque de rester en suspens, en considération d’une foultitude de facteurs qui, s’ils sont compulsés, contribueront à l’apparition du sentiment que le Mali, déjà au bout du rouleau, n’est pas plus qu’une espèce de victime d’un complot international. Un sentiment qu’il faut vite balayer du revers de la main, car ne correspondant pas à la grille de lecture (pour le moment, certes) qui est en honneur chez les commentateurs de l’actualité tant nationale qu’internationale.
Cependant, dans la multitude d’observations et de commentaires formulées sur la crise malienne, ces derniers temps, le pesant soupçon généré par le Qatar un temps remisé, a repris de plus belle et fait crier à l’insondable de plus en plus de gens. Le Qatar, ce petit émirat du Golfe, riche de l’argent du pétrole, est-il entrain de pistonner via les services humanitaires qu’il assure au Nord, certains groupes, surtout islamistes, qui squattent cette zone ? Quel intérêt ce pays poursuit-il en travaillant à la mise à genou du Mali que tout le monde dit aider (objectivement ?) aujourd’hui ?
A toutes ces questions, il ne saurait exister de réponses convergentes. Commençons d’abord par l’incontournable précision, qui consiste à dire qu’officiellement, le Qatar par la voix de son émir Cheikh Hamad Bin Khalifa-Tani, est à cent lieues de laisser prendre racine ces doutes qui pourraient mettre à mal davantage sa réputation déjà « atomisée » à l’échelle internationale par le rôle qui est sien dans la crise qui secoue la Syrie et a empoisonné le climat au sein du conseil de sécurité de l’ONU. Le démenti des Qatariens ne s’est guère fait attendre, et le président intérimaire malien Dioncounda Traoré, de son retour de Doha le 24 octobre dernier, est rentré avec, dans sa poche !
N’empêche qu’aujourd’hui, à propos du Qatar, beaucoup de questions pleuvent, et des indignations se nourrissent au constat que ce pays, au final, peut se permettre n’importe quoi, n’importe où, comment et quand avec la protection, certes clandestine, de son grand protecteur que sont les Etats-Unis. C’est pourquoi, en Syrie, le soutien apporté à l’Armée Libre Syrienne (ASL) par le Qatar qu’on abordait sur certains médias occidentaux, semble aujourd’hui couvert, passé sous silence au moment où, surtout, cette rébellion syrienne est infiltrée par des salafistes(le salafisme n’est donc pas mauvais quand ça profite à qui on sait !) venus d’autres pays arabes… Pourtant le Qatar est, sans conteste, la représentation d’un paradoxe, en ce sens que n’étant pas lui-même démocratique, il travaille à gommer le régime Assad, jugé à raison d’ailleurs, monolithique, sanguinaire. Dans son hebdomadaire « Chronique du Blédard » intitulée « Le printemps arabe, une lecture algérienne »(1), publiée dans le Quotidien d’Oran, Akram Belkaïd cite le livre du politologue algérien Naoufel Brahimi El Mili _ le printemps arabe, un complot ?_ , qui écrit ceci à propos du Qatar : « Boussole des transitions démocratiques, l’émirat n’envisage pourtant aucune réelle ouverture pluraliste… il est interdit à Doha de créer un parti politique, un syndicat et même toute association à connotation citoyenne : qu’il s’agisse des consommateurs ou de protection de l’environnement… Dans l’émirat, même la grève est proscrite… ». Paradoxe !
Il est donc patent que, au Mali comme partout ou presque, la présence du Qatar est sujette à caution et à polémique, même si certains services secrets essayent de jouer sur la carte de l’apaisement en disant ne pas être au courant de ce que fait ce pays au Nord du Mali. Dans un récent article, émaillé de témoignages qui sont pour la plupart à ne pas prendre avec des pincettes, Christine Muratet, Journaliste à Radio France Internationale, met à nu l’effervescence provoquée par la présence des humanitaires Qatariens à coups de primes faramineux, de méthodes de travail douteuses… (2) Celle qui a rencontré acteurs humanitaires, élu local, membre de la société civile, rapporte qu’aux yeux de tous ceux-ci, la présence du Qatar fait courir les soupçons les plus exaltants, eu égard d’abord au fait que, selon un humanitaire « Le croissant-rouge qatarien est arrivé à Gao sans avertir personne, ni la Croix-Rouge malienne, ni le CICR (comité international de la Croix-Rouge) qui coordonne pourtant l’aide d’urgence dans les zones de conflit. »
Autre information livrée par la journaliste : le fait que le croissant rouge qatarien n’accepte d’intervenir que dans les zones où opère le MUJAO, ce qui a été confirmé surtout par un élu local. Et ce n’est vraiment pas verser dans l’ « anti-qatarisme » que de dire que ce pays joue un rôle trouble dans le Nord du Mali, en dépit du déficit de preuves qui empêche pour le moment de parer à tout doute. Dans la crise malienne, le temps finira par avoir raison du mensonge agité par les Jihadistes. Le mensonge résiste à tout, sauf à la faiblesse sur laquelle il repose… Les doutes qui incriminent l’émirat mérite d’être auscultés, et les personnels politiques maliens et autres quidams qui ne se préoccupent qu’à se donner en spectacle à Bamako, qui pour signifier son soutien à une intervention militaire, qui pour s’y opposer, doivent en faire leur cheval de bataille. Il y va de leur crédibilité dans un pays où, désormais, ils sont les moins pris au sérieux.
(1)- le Quotidien d’Oran, jeudi 01 Novembre 2012,
(2)- La présence du Qatar au Nord du Mali : les doutes persistent, RFI.
Boubacar Sangaré