La série d’attaques armées menées cette année dans le nord du Niger a été provoquée par le sentiment d’abandon éprouvé par les populations de la région et de l’ensemble du territoire nigérien, a expliqué mercredi à IRIN le porte-parole du nouveau groupe de rebelles touaregs qui a revendiqué ces attaques.
« [Notre] mouvement a été créé parce que rien n’a été fait par le gouvernement », a déclaré Moktar Roman, porte-parole du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ). « Il n’y a pas de travail, pas d’écoles, pas même d’eau potable dans tout le Niger. C’est terrible, c’est un génocide, et le gouvernement est corrompu ; il prend l’argent du peuple et le laisse vivre dans la pauvreté », s’est-il indigné.
Le groupe lutte pour le développement d’un pays que les Nations unies considèrent comme le plus pauvre et le moins développé du monde, a poursuivi M. Roman. « Il ne s’agit pas d’un mouvement uniquement touareg », a-t-il affirmé.
Pourtant, le gouvernement du Niger est allé jusqu’à refuser de qualifier les combattants de rebelles, les accusant au contraire d’être des bandits et des trafiquants de drogues, d’armes et de personnes dans une vaste région, où il est difficile de maintenir l’ordre.
Pour étayer leurs propos, les responsables du gouvernement ont évoqué une saisie de drogues et d’armes, effectuée par l’armée dans le nord, en avril dernier. Ils ont également fait état d’informations communiquées par le Programme des Nations unies pour le développement et selon lesquelles, en 2006 au Niger, les autorités auraient saisi cinq fois plus de cannabis qu’en 2004.
M. Roman nie le fait que le groupe auquel il appartient soit impliqué dans un trafic de drogues ou d’armes. « Il y a des trafiquants, mais ils travaillent avec le gouvernement et la présidence. Ils sont en train de transformer le Sahara en itinéraire de transit. Nous, nous n’avons pas les moyens de faire ça », a-t-il commenté.
Comme d’autres membres du groupe, il conteste vigoureusement le fait que son mouvement ait des liens avec les organisations terroristes islamistes qui, selon certains analystes, seraient en train d’installer leurs bastions dans les coins les plus isolés du Sahara. Le combat
Les seules attaques revendiquées par le groupe rebelle sont celles qui avaient pour cible l’armée nigérienne, des attaques qui figurent parmi les plus sanglantes menées depuis la signature, en 1998, d’un accord de paix entre le gouvernement et les anciens rebelles du nord du Niger.
La première attaque connue et revendiquée par le MJN a été menée en février contre une base militaire située dans l’oasis d’Iferouane, dans le nord du pays.
Par la suite, en mars, le MNJ a pris d’assaut un bus, ce qui a déclenché un affrontement armé avec les forces militaires qui a duré toute la nuit et a fait cinq morts dans les rangs des combattants du Mouvement. L’armée a par ailleurs accusé le groupe d’avoir posé des mines responsables de la mort de deux soldats.
En avril, le groupe a revendiqué une attaque contre une équipe d’un camp d’exploration d’uranium près de la frontière algérienne.
Leurs revendications
Le groupe est composé de combattants touaregs (et notamment d’un ancien officier du nom de Mohamed Al Cherif) qui avaient participé à de précédents soulèvements, avant d’intégrer, puis de déserter l’armée nigérienne. Le mouvement reçoit également le soutien de plusieurs intellectuels et expatriés nigériens, a déclaré M. Roman.
A en croire M. Roman, le gouvernement nigérien n’aurait pas respecté l’accord de paix passé avec les rebelles touaregs quelque neuf ans plus tôt, et dans lequel le gouvernement s’engageait à décentraliser le pouvoir politique et à veiller au développement économique de la région nord.
Ce nouveau groupe rappelle d’anciens groupes armés touaregs, selon Baz Lecocq, de l’institut berlinois de recherche Zentrum Moderner Orient, qui étudie les rébellions menées au Niger et au Mali voisin.
« Ils se plaignent des mêmes choses, ressassent les mêmes arguments, font les mêmes reproches au gouvernement, depuis le début de la rébellion, en 1991 », a-t-il expliqué. « Certes, les revendications faites par le porte-parole du MNJ ne sont pas dénuées de sens, mais elles ne sont pas nouvelles ».
Selon M. Lecocq, le gouvernement a lui aussi réagi de la même manière à la menace. « Chaque attaque, quelle qu’en soit la raison, est qualifiée d’acte de banditisme », a-t-il affirmé.
Une plus grande force de frappe
Le groupe a demandé l’ouverture de pourparlers avec le gouvernement, mais Hama Amadou, le Premier ministre nigérien, ainsi que les hauts responsables de la Défense ont rejeté cette idée à plusieurs reprises.
« Une rébellion ? […] On ne peut pas parler de revendications politiques. Pour nous, ces attaques veulent dire “laissez-nous profiter de notre trafic de drogues et d’armes” », a déclaré Mohamed Ben Omar, ministre de la Communication, le mois dernier, sur les ondes de la télévision nationale nigérienne.
Malgré tout, les autorités nigériennes ont approuvé cette semaine un budget de 30 milliards de francs CFA (60 millions de dollars US) destiné à renforcer les opérations militaires dans le nord. Cet investissement représente 9 milliards de francs CFA (18 millions de dollars) de plus que ce que le gouvernement et les bailleurs de fonds ont consacré à la sécurité alimentaire des Nigériens en 2006.
« Aujourd’hui, la sécurité fait partie de nos priorités principales », a déclaré Salifou Madou Kelzou, ministre chargé des relations avec les institutions, devant l’Assemblée nigérienne, mercredi dernier.
D’autres théories
Le MNJ veut que les richesses issues de l’exploitation de l’uranium nigérien, une industrie émergente, profitent à l’économie nationale, et en particulier à la région nord, où se trouvent les gisements, a déclaré M. Roman.
Selon Nadia Belamat, une chercheuse française indépendante et spécialiste du Niger, le gouvernement sera confronté à une résistance de plus en plus forte de la part du MNJ et d’autres groupes, s’il ignore leurs revendications.
« Depuis 2003 environ, on se rend de plus en plus compte que non seulement l’exploitation de l’uranium dans le nord du Niger ne contribue pas à stimuler l’économie de la région, mais elle pose également de graves problèmes écologiques et sanitaires », a-t-elle expliqué.
« Il y a de nombreux mécontentements dans le pays, à l’heure actuelle. Le Niger est un pays très pauvre, et il n’y a toujours pas de transparence ni de bonne gouvernance économique et politique. Les populations du nord du Niger attendent depuis dix ans une décentralisation du pouvoir et leur intégration [à la vie politique], mais elles n’en voient pas la couleur et cela a provoqué un ressentiment énorme », a-t-elle poursuivi.
Pour Roger Boulanger, spécialiste du Niger et rédacteur en chef à l’Economist Intelligence Unit, à Londres, il ne faut pas ignorer ce groupe en se disant qu’il s’agit de bandits. « Il y a là, sans conteste, un élément politique. Beaucoup d’anciens combattants sont sans emploi et mécontents », s’est-il expliqué. « Ils ont le sentiment général de se faire arnaquer », a ajouté M. Boulanger.
M. Lecocq a, quant à lui, suggéré une théorie tout à fait différente pour expliquer la récente montée des violences. Il pense en effet qu’elle pourrait avoir été provoquée par des frictions inter-tribales susceptibles de se régler progressivement.
« Il arrive souvent que des tribus prennent d’assaut des postes gouvernementaux, des installations étatiques ou des sites économiques, non pas pour nuire au gouvernement mais pour montrer leur puissance à d’autres factions ou d’autres tribus. Ou alors [le MNJ] pourrait avoir de vrais griefs à l’encontre du gouvernement tout en agissant localement, dans le cadre de ces relations inter-tribales ».
M. Roman, qui a contesté ces hypothèses, a refusé de révéler ce que le groupe ferait si le gouvernement refusait la négociation.
« Ne nous sous-estimez pas, a-t-il averti. C’est le moment de négocier ».
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IRIN DAKAR/NIAMEY, 18 mai 2007
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