Mohamed Sifaoui enquête sur Al-Qaïda depuis plusieurs années. Il revient sur la branche saharienne de l’organisation terroriste islamiste.
Dans votre livre, vous décrivez la montée en puissance d’Al-Qaïda au Maghreb islamique.
Depuis plusieurs années, le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), qui est né en Algérie, a tenté de recruter en Tunisie, au Maroc ou en Libye. Des salafistes venus de différents pays maghrébins ont rejoint le GSPC au début des années 2000. Ces recrues n’étaient pas nombreuses et le GSPC a voulu passer à une autre dimension pour augmenter ses effectifs. Le groupe a donc choisi de se donner une image plus régionale, en intégrant dans sa stratégie l’idéologie d’Al-Qaïda.
A propos des deux chefs d’Aqmi, Droukdel et Belmokhtar, vous allez à l’encontre de l’idée selon laquelle, le premier serait un «pur» islamiste et l’autre un chef de bande.
Je m’étonne de la facilité avec laquelle les médias ont intégré dans leurs analyses la propagande des États du Maghreb et du Sahel, qui ont intérêt à vider de toute substance idéologique ou religieuse les groupes d’Aqmi, afin de les réduire à de simples groupes de bandits. Ce sont des terroristes et des intégristes. L’autre soir, lors de l’émission Complément d’enquête, l’ancien otage français, Pierre Camatte, a confirmé que ses ravisseurs étaient bel et bien des islamistes, une espèce de moines guerriers, pour utiliser une terminologie occidentale.
En France comme à l’étranger, selon vous, la prise d’otages au Niger et la menace d’attentats qui pèse sur la France a déjà eu un précédent : l’affaire de l’Airbus d’Air France et la vague d’attentats de 1995.
J’ai observé, depuis le 24 juillet dernier sur les forums djihadistes, un discours qui ressemble étrangement à celui que l’on pouvait lire ou entendre après l’intervention du GIGN sur l’aéroport de Marignane, pour libérer les otages de l’Airbus détourné à Alger en décembre 1994. Cette affaire a été suivie en 1995 par la vague d’attentats qui a touché Paris. Certains spécialistes opérationnels français ont, eux aussi, fait ce rapprochement. Aqmi veut s’attaquer ainsi aux intérêts français, à l’étranger comme en France.
Votre livre confirme que le Mali est bel et bien le chaînon faible dans la lutte contre Aqmi au Sahel.
La situation économique ou politique, la faiblesse de l’armée malienne peuvent l’expliquer. Il y aussi une absence de volonté politique de s’attaquer au problème. Le pouvoir malien ne se sent pas concerné par Aqmi et ses pratiques. On remarque que, depuis 2003, tous les otages, quel que soit l’endroit où ils ont été capturés, ont été retenus prisonniers dans le nord du Mali, véritablement sanctuarisé par les terroristes. Les négociations se déroulent sur le territoire malien. C’est aussi dû aux liens noués entre les salafistes et les tribus locales. Abou Zeid ou Belmokhtar ont épousé des femmes de cette région. Aqmi opère aussi une redistribution des richesses engrangées grâce aux rançons et à différentes activités. Aqmi est devenu le premier employeur au nord du pays, ce qui explique qu’il a pu ainsi obtenir de nombreuses complicités.
Avoir une ligne ferme : Que peut faire la France ?
Payer des rançons n’est pas une solution. Je ne veux pas dire que la vie humaine ne vaut rien, mais en donnant de l’argent, on ouvre la voie à tous les chantages. On valide un fonds de commerce et dans six mois, les preneurs d’otages recommenceront. Je pense qu’un État doit avoir une ligne ferme et envoyer un message clair aux ravisseurs en fixant les limites qu’il ne peut franchir.
Existe-t-il un « front intérieur » d’Aqmi en France ?
Il y a des sympathisants dont le nombre est estimé, selon les services spécialisés, entre 250 et 300 personnes. Mais combien sont-ils capables de passer à l’action ? Ceux qui représentent un danger sont entre 30 et 40, et ils sont connus et surveillés.
Le danger pourrait plutôt venir de membres d’Al-Qaïda recrutés en Afghanistan ou au Pakistan ou au Sahel, aguerris au combat et au maniement des explosifs. Ils pourraient s’infiltrer en France et recevoir un soutien logistique de sympathisants. Il y a un autre danger : que les membres d’Aqmi agissent dans des pays voisins, comme l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne ou les Pays-Bas, où des réseaux passeraient à l’action.
Propos recueillis par Raymond Couraud