Renvoyée de Tabankort, chassée de Ménaka, battue et honnie à Anéfis par la Plateforme, la Coordination des mouvements de l’Azawad (Cma), ne sachant plus à quel saint se vouer, a fini par pactiser avec son ennemi d’hier. Désormais, ce duo (Cma-Plateforme) constitue un véritable virus qui entrave la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali.
En effet, on savait que la Cma n’allait jamais tenir parole après qu’elle a signé l’accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger. Tellement qu’elle a habitué les Maliens à ses retournements spectaculaires de veste, avec la bénédiction d’une certaine communauté internationale, notamment de la France de François Hollande. C’est après de nombreux mois de manœuvres dilatoires, de malices, de propagandes, de tentatives de sabotage du processus politique, d’attaques meurtrières contre l’armée malienne, de pillages et d’attentats contre les populations civiles, qu’elle a été contrainte à signer cet accord le 20 juin 2015. Mais tout esprit averti savait qu’elle ne l’avait fait que pour une formalité, car le reniement de ses engagements est sa marque de fabrique.
Pour preuve, la date anniversaire de la déclaration de l’indépendance de l’Azawad, prononcée par le Mnla le 6 avril 2012, a été encore célébrée en cette année dans les localités contrôlées par la Coordination des Mouvements de l’Azawad (Cma), notamment à Kidal. Malgré leur adhésion à l’accord pour la paix qui insiste sur l’intégrité territoriale du Mali, ceux qu’il conviendrait normalement d’appeler désormais des «ex-rebelles», demeurent toujours, au regard de leur attitude, des séparatistes.
En effet, malgré l’évolution du contexte et en dépit de l’accord pour la paix qui rejette toute idée de séparation du pays, la tradition fut respectée cette année par la Cma et ses acolytes, comme l’an dernier, avec l’instrumentalisation des enfants, des parades militaires et montées de drapeau de l’Etat inexistant de «l’Azawad». Autant dire que la Cma renoue avec son légendaire double langage à une période délicate pour l’avenir de l’accord pour la paix dont la mise en œuvre traîne. Un retard notable surtout sur les points que devraient honorer les groupes armés. Contrairement au gouvernement qui a initié des rformes importantes dans le cadre de ses engagements, les mouvements armés rechignent toujours à honorer les leurs.
La Plateforme pactise avec la Cma
Depuis l’entrée sans heurts des combattants de la Plateforme à Kidal, fief, dit-on, de la Cma, et la signature de leur «fantoche accord», les patriotes maliens -les vrais- se posent de nombreuses questions. Comment des ennemis jurés d’hier peuvent brusquement devenir aujourd’hui des amis ? N’ont-ils pas des desseins machiavéliques communs : déstabiliser le Mali pour ériger leur «république de l’Azawad» ? Sinon, que mijotent-ils ?
En tout cas, ce qui est surprenant dans cette affaire, c’est le retournement spectaculaire de veste de Me Harouna Toureh, porte-parole de la Plateforme. Lui qui clamait haut et fort sur tous les toits et à qui veut l’entendre que son mouvement armé n’est que pour la paix, rien que pour la paix, à travers la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger. Le voilà aujourd’hui pactiser avec la Cma pour faire capoter ce processus de paix.
En effet, au sortir de la réunion extraordinaire du sous-comité chargé des questions politico-institutionnelles de la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale, tenue le 19 mai dernier, la Cma et la Plate-forme ont décidé de suspendre temporairement leur participation à ce sous-comité. Ils estiment que le gouvernement ne leur prouve pas sa bonne foi, sa volonté politique d’aller de l’avant, dans la mise en œuvre de l’accord.
Devenu «chef de file de la nouvelle fronde», Me Toureh, sans gêne, soutient que le gouvernement ne respecte pas aussi la vie privée des mouvements, et certains actes qui ont été négociés, convenus et paraphés dans le bureau du ministre de la Réconciliation, Zahabi Ould Sidi Mohamed, n’ont pas été suivis d’effet. Pis, il fustige ce qu’il appelle «l’inertie du gouvernement et le comportement d’une partie de la communauté internationale qui manque du respect à ses engagements, à ses propres valeurs républicaines qu’elle respecterait dans son pays d’origine». Ah, sacré Me Harouna Toureh, ayant compris à l’école de la Cma qu’il y a à boire et à manger et qu’il y a du business autour de la mise en œuvre de l’accord, nous dévoile aujourd’hui sa vraie face !
Un marché juteux de 4 milliards Fcfa
Alors que le processus de Démobilisation, désarmement et réintégration (Ddr) piétine encore à cause d’une divergence entre les mouvements armés et le gouvernement malien, (les premiers demandant l’installation des Autorités intérimaires avant le DDR, contrairement au second), certains acteurs des mouvements se livrent à un véritable business. À Bamako, nous apprend-on, la course au DDR a d’ores et déjà pris des allures folles. Fin avril, l’état-major des armées du Mali a découvert un vol de dizaines de fusils mitrailleurs dans un camp militaire de Bamako. Et certains journaux maliens de faire le lien entre ces armes volées et le processus de DDR, car l’une des conditions pour y accéder est que le combattant enregistré doive avoir une arme de guerre ou un certain nombre de munitions. Alors que quelques mois plus tôt, Bamako débloquait une forte somme d’argent destinée au pré-cantonnement des combattants des mouvements armés. «Le gouvernement du Mali a débloqué 11,9 millions de Fcfa pour chaque site de cantonnement», dévoile Bou Ould Hassan, membre du Maa (tendance pro-Bamako). Au total, le gouvernement malien a débloqué 285,6 millions de Fcfa pour la phase de pré-cantonnement sur les 24 sites retenus, dont le marché des fournitures a été donné aux entrepreneurs locaux.
«Cet argent était destiné à prendre en charge les combattants uniquement au mois de février. Les entrepreneurs livrent les denrées de première nécessité jusqu’au site du cantonnement, dont le chef d’état-major signe le bordereau de livraison qui va être présenté au niveau de l’administration malienne pour le paiement», explique Sidi Brahim Ould Sidatt, Secrétaire général du Maa. Sur le terrain, les combattants qui avaient déjà reçu leur ration de pré-cantonnement s’impatientent désormais du retard qui s’accumule depuis mars. Le marché de DDR atteint quatre milliards de Fcfa.
La mise en place des Autorités intérimaires aiguise l’appétit de la Cma et de la Plateforme
Les Autorités intérimaires sont au centre des attentions politiques et populaires depuis plus de deux mois, au point d’apparaître comme un élément central de la mise en œuvre de l’accord pour la paix et de réconciliation, issu du Processus d’Alger. «Les Autorités intérimaires, entrées dans notre architecture institutionnelle depuis la dernière modification du Code des collectivités locales, suscitent de nombreuses discussions passionnées. Cela, alors qu’elles ne constituent nullement un élément majeur de l’accord pour la paix», commente un analyste politique.
C’est que la Cma et la Plateforme ne veulent pas entendre d’une bonne oreille et harcellent le gouvernement malien à passer, au plus vite, à leur mise en place. Telle est leur ambition en claquant la porte du sous-comité politico-institutionnel du Comité de suivi de l’accord (Csa). Cet empressement se comprend aisément quand on sait que la Cma et la Plateforme savent que ce sont elles qui gagneront au terme de l’installation de ces Autorités intérimaires.
Si les Autorités intérimaires ont pour vocation de contribuer à rendre la vie au Nord normale et cordiale entre toutes les communautés qui y vivent, le gouvernement doit alors rester assez prudent et vigilant. Car il s’agit de jeter les bases d’une meilleure prise en compte des diversités humaines et territoriales du Mali dans le fonctionnement étatique à travers des réformes institutionnelles et de gouvernance profondes, pour libérer toutes les énergies et ouvrir des perspectives de développement durable. Au lieu d’accorder une importance particulière et de favoriser un groupuscule d’hommes dont on doute de la moralité à servir la Patrie-mère, si ce n’est qu’à reprendre un jour les armes contre elle.
Bruno E. LOMA