En tournée dans les régions de Kidal, Gao et Ménaka, nous avons pu constater des réalités qui défient l’entendement humain. C’est le cas dans la région de Ménaka, l’ancien plus grand cercle de Gao érigé en région connaît d’énormes difficultés dont la principale difficulté demeure l’insécurité. S’y ajoutent le manque d’eau potable pour les populations, l’absence d’électricité, d’école, ainsi que des problèmes d’infrastructures de santé. Ménaka qui n’est autre que la déformation de Minika qui veut dire «où allons-nous ?». Ce nom devient une réalité aujourd’hui avec tout ce que les populations vivent au quotidien. Entre le vivre en paix et l’insécurité, les populations de Ménaka se battent pour le «décollage» de leur région.
Ménaka, une région abandonnée par l’Etat malien
La ville de la viande, des dunes de sable, ville martyre et symbole de la résistance, mais aussi ville guerrière, Ménaka est la ville malienne d’où sont partis les premiers coups de fusil des différentes rébellions. La nouvelle région cherche ses marques. Ce n’est pas une sinécure, mais ses dirigeants actuels ne maugréent pas leur volonté de relever ce challenge.
À ce jour, Ménaka face à une insécurité sans pareille. Occupée par le Mujao, les séquelles de l’invasion jihadiste sont encore visibles dans cette ville. Le Mujao s’est mué en Almourabitoune avant de faire allégeance à l’Etat islamique. Sans compter que certains combattants du jihadiste malien Iyad Ag Ghaly sont toujours présents dans la zone de Ménaka-Kidal.
Pour sécuriser cette région, il y a des Casques bleus qui ne sortent jamais de leur camp, même pour aller faire de simples constats après des attaques. Les Forces armées maliennes y sont présentes en nombre très réduit. Autant le dire, la situation est très tendue à Ménaka avec de violents affrontements entre Peulhs et Daoussaks. Ces affrontements coupent le sommeil à plusieurs habitants surtout dans les cercles d’Inekar et d’Amderaboukane où Peuls et les Daoussaks sont devenus chiens et chats.
Pour apaiser les esprits, le chef de l’exécutif régional Daouda Boureima Maïga a réuni tous les chefs de fractions, les groupes armés et les chefs communautaires, au gouvernorat de Ménaka, dans l’après du vendredi 14 juillet, afin d’échanger avec eux à l’effet de trouver une solution aux affrontements entre les communautés Peulh et Daoussak. Le gouverneur a aussi rencontré le responsable de la Minusma sur le même sujet, le samedi 15 juillet.
Pouvant pourtant jouer un rôle déterminant dans le cadre de la sécurité des personnes et de leurs biens, la force onusienne reste très passive dans cette nouvelle région. Elle ne mène aucune patrouille à Ménaka, en ville encore moins dans les environs. Pire, les responsables de la Minusma, qui habitent le même camp que les Fama, n’autorisent jamais l’armée malienne à sortir avec des armes lourdes.
À cause de l’insécurité, tous les préfets et sous-préfets et certains enseignants ont tous élu domicile dans la ville de Ménaka. Depuis la crise de 2012, l’hôpital de la ville, saccagé, ne fonctionne plus. Tout comme l’unique hôtel, le lycée de Ménaka. Le commissariat de police est fermé, tandis que la brigade de la gendarmerie ne compte «que» 7 hommes bien déterminés mais sans véhicule, ni gilets pare-balles. Ils restent dans la ville grâce aux soutiens des groupes armés qui patrouillent nuit et jour et sont prêts à se battre. Il s’agit en l’occurrence du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) de Moussa Ag Achouratoumane et de la Plateforme.
Les dessous de l’embuscade
Les Fama basées à Ménaka font des patrouilles mensuelles avec la force Barkhane. L’unité de Barkhane qui vient de Gao et les militaires maliens se donnent rendez-vous dans une localité non loin de Ménaka. Mais il y a une semaine, Barkhane a posé un lapin aux Fama à 50 Km de Ménaka. Un lieutenant et ses hommes ont été mobilisés pour la mission. Les soldats maliens sont arrivés au lieu du rendez-vous et sont restés pendant 72 heures à attendre la force Barkhane. C’est après qu’ils se verront informés par Barkhane que la patrouille n’aura finalement pas lieu.
Selon nos informations, c’est la même force Barkhane qui leur avait montré la voie à suivre pour rejoindre Ménaka. Il y a eu dans un premier temps 10 militaires maliens portés disparus. C’est après que deux d’entre eux sont revenus dans ville de Ménaka. Au même moment, le gouverneur a envoyé quelqu’un sur le lieu de l’attaque au sud-est de Ménaka, qui est une zone de forêt. Mais l’attaque s’est déroulée entre des dunes de sable et une mare.
Les militaires sont morts au combat, selon certaines informations. Ils avaient auparavant fait beaucoup de victimes du côté des assaillants qui étaient une cinquantaine à motos et avaient fermé toutes les voies d’issue aux soldats maliens. Lesquels étaient coincés entre des dunes de sable et une mare. Deux militaires se sont jetés dans la mare, deux autres voulaient les suivre, avant de se raviser d’autant qu’ils ne savaient pas nager. Ils ont été obligés de se battre. Seuls les deux militaires, qui ont traversé à la nage la mare, ont eu la vie sauve et ont regagné Ménaka. Les autres ont été tués au combat dont deux jeunes Tamasheq de Ménaka. L’armée malienne, qui patrouillait avec 8 véhicules, a en perdu 4. Le lieutenant de la mission a été sauvé par ses hommes. Il est revenu à Ménaka avec 4 véhicules équipés d’armes lourdes avec l’aide de certains de ses hommes.
En réalité, les militaires maliens ont longtemps patrouillé dans cette zone située au sud-est de Ménaka. Ils ont arrêté des jihadistes et des terroristes, avant qu’un groupe de jihadistes ne s’organise, une cinquantaine, pour leur tendre une embuscade. De fait, c’est à la fin de leur patrouille que Barkhane leur a demandé d’aller faire une reconnaissance dans une zone, et c’est en cours de route qu’ils sont tombés dans cette embuscade. C’est une semaine après l’attaque que les corps ont été reconnus par le gouverneur de Kidal, qui a fait des images pour les envoyer à l’état-major général des armées maliennes, en passant par la région militaire de Gao dont relève jusqu’à ce jour Ménaka.
Les corps ont été localisés et identifiés le samedi 15 juillet. Le gouverneur de Ménaka, Daouda Boureima Maïga, a présenté les condoléances de la nation aux familles des deux militaires originaires de Ménaka. C’est le même dimanche que 12 véhicules bien équipés des Fama sont arrivés à Ménaka. Ils se sont rendus sur les lieux de l’attaque afin de savoir si les corps pouvaient être transportés ou inhumés sur place.
À Ménaka, il y a beaucoup d’interrogations autour de cette embuscade. Certains parlent de trahison de la part de Barkhane, d’autres d’une mauvaise volonté. Les plus sages trouvent qu’il y a eu beaucoup de patrouilles réussies, et ce sont la force Barkhane et les Fama qui les ont menées ensemble. Ils estiment alors que l’échec cette mission ne devrait pas mettre à mal le cadre de travail et de collaboration entre Barkhane et les Fama. Qui, selon un autre interlocuteur, doivent se donnent la main et faire face aux terroristes. Parce que la ville de Ménaka est infiltrée par des terroristes qui ont des bases sur la route de Kidal, et une autre entre Ménaka et Amderaboukane.
En tout cas, la sécurité n’est pas assurée à Ménaka. Ce qui pousse Boina Baby à déclarer qu’il ne sera pas question de référendum dans ces conditions. «Il nous faut de l’eau, de l’électricité… sinon le référendum n’est nullement la priorité ici», nous a-t-il confié. Au demeurant, personne ne parle de référendum à Ménaka où le premier souci, c’est de pouvoir vivre en toute quiétude.
Kassim TRAORE