Blaise Compaoré a bouclé le mardi, 1er juillet 2014, une visite de travail de deux jours au Mali. Ce déplacement avait surtout pour but de réchauffer les relations entre son pays et le Mali en le repositionnant dans le processus de réconciliation entre les autorités maliennes et les groupes armés terroristes. Le président burkinabé a-t-il réussi à vaincre la réticence du nouveau pouvoir de Bamako à son égard ? Fait-il toujours objet de défiance et de méfiance dans sa gestion précédente du dossier malien ?
Le président du Faso a séjourné au Mali mardi et lundi dans le cadre, officiellement, d’une visite de travail et d’amitié. Mais, c’était surtout l’occasion pour lui de prendre langue avec les nouvelles autorités maliennes et de reprendre pied dans la gestion de la crise sécuritaire que vit le Mali depuis le déclenchement de la rébellion touarègue, en janvier 2012, et du coup d’Etat militaire qui a renversé le président démocratiquement élu, Amadou Toumani Touré, deux mois plus tard. Ce putsch avait eu pour conséquence la rupture de la chaîne de commandement militaire, favorisant ainsi la prise et l’occupation des deux tiers du territoire national par des groupes armés terroristes (GAT), Mnla, Ansar Eddine, Mujao et Aqmi.
En mars 2012, la Cédéao, dont le Mali est Etat membre, s’est saisi du dossier malien et a chargé Blaise Compaoré, coutumier du fait, comme médiateur dans la crise multidimensionnelle. Ainsi, Ouagadougou, la capitale burkinabé, deviendra le théâtre de plusieurs rencontres entre le médiateur et les forces vives du Mali : la classe politique, la société civile, la junte représentant l’armée nationale, les groupes armés terroristes.
Retour à l’Accord de Ouaga
Les efforts du médiateur ont permis le retour au retour à un ordre constitutionnel presque normal : avec la signature d’un accord-cadre, en avril 2012, dans lequel les militaires s’engagent à rendre le pouvoir aux civils, avec la démission forcée du président ATT pourtant démocratiquement élu et dont le mandat n’était pas arrivé à terme, avec son exil au Sénégal, avec son remplacement à la tête de l’Etat par le président de l’Assemblée nationale chargé d’assurer son intérim, avec la nomination d’un Premier ministre et la formation d’un gouvernement de transition.
Mais, c’est surtout après la libération du nord de la présence des jihadistes par la force française Serval, qui a commencé son intervention le 11 janvier 2013, que Blaise Compaoré est parvenu à ouvrir le dialogue entre le gouvernement malien et les GAT touareg, Mnla, MIA puis Hcua, et arabes, MAA. Les autorités maliennes étaient représentées par Tiébilé Dramé, Conseiller spécial du président de la transition Dioncounda Traoré pour certaines questions du nord. Choix inspiré, car cet homme, par ailleurs président du parti Parena, ancien ministre en charge du Développement des régions du nord, ancien député élu à Nioro dans le Sahel occidental, est le haut responsable politique le plus au courant des questions de sécurité et de développement des zones arides et semi-arides. C’est grâce à lui que le Gouvernement malien et GAT touareg et arabes ont fini par s’asseoir autour de la même table, discuter et parvenir à la signature d’un accord préliminaire, en juin 2013, qui permettra la tenue des élections présidentielle et législatives sur toute l’étendue du territoire national.
Le document prévoyait en outre que les positions des différents belligérants restent en l’état et que les GAT soient cantonnés, leur désarmement ne devant intervenir qu’après des négociations inter-maliennes inclusives trois mois après l’élection d’un nouveau président de la République et la signature d’une accord de paix définitif. En plus des parties signataires, Gouvernement et GAT mais aussi les représentants d’organisations internationales, régionales et sous-régionales, le médiateur était également présent à la cérémonie de signature de l’Accord de Ouaga. Les uns et les autres se sont engagés à accompagner et soutenir le processus. Tout semblait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais, concrètement, à part la tenue effective des élections, le dossier ne connaîtra plus aucune avancée, malgré la mise en place d’un groupe de suivi de la mise en œuvre de l’Accord de Ouaga. Pour le citoyen lambda malien, le bouc émissaire est tout trouvé : Blaise Compaoré. Les nouvelles autorités, par calcul purement politicien, partagent largement l’opinion nationale selon laquelle le président burkinabé roulerait pour les GAT. Elles se montreront donc réticentes à coopérer véritablement pour la mise en œuvre de l’Accord malgré les critiques qui fusent de toutes parts pour fustiger leur manque de volonté.
En réalité, même si le nouveau pouvoir affirmait diplomatiquement son attachement à l’Accord de Ouaga, il était de plus en plus tenté par d’autres médiateurs, les offres de service se multipliant au fil du temps. En plus du Burkina Faso, la Mauritanie et l’Algérie. Mais, ces trois pays n’ont pas bonne presse au Mali, accusés d’accueillir, d’aider, de soutenir, de financer les GAT. De plus, régulièrement sollicitée par le Mali, l’Algérie n’est jamais parvenue à la signature d’un accord de paix durable entre le Mali et les rebelles touaregs et arabes. Outre ces trois pays, le Maroc et la Tunisie montrent leur disponibilité à aider le Mali dans la résolution de la crise sécuritaire, tandis que l’Egypte et le Qatar font miroiter la perspective d’excellentes relations économiques et de coopération militaire. Comme dans le jeu télévisé, «tout le monde veut prendre sa place» à Blaise Compaoré, sauf que dans ce dossier il est loin d’être un champion.
Gestion exclusive
Les choses auraient pu en rester là, au stade des tergiversations et de l’équilibrisme entre un médiateur officiellement investi par la Cédéao, un facilitateur qui s’impose, une Communauté internationale qui grogne et un pouvoir qui se fait désirer, mais laisse à désirer, si les événements de mai dernier n’étaient pas survenus. Le 17 mai, la visite du Premier ministre Moussa Mara va mal tourner à Kidal, mettra le feu aux poudres, le 21, changera la donne dans tout le nord : le Mali qui se rend compte qu’il ne peut réussir l’option militaire face à une fédération reconstituée de terroristes, la fragilité du cessez-le-feu obtenu par le président mauritanien, la nécessité de reprendre le dialogue sous la pression internationale, le risque de recrudescence de la violence avec la réoccupation de toutes les régions du nord cette fois par des terroristes qui ont des revendications politiques que l’Occident s’empressera de légitimer. À cause de tout cela, tout le monde est désormais unanime à clamer haut et fort, même si personne n’en est vraiment convaincu, que le retour à l’Accord de Ouaga est la seule issue à la reprise du dialogue. Une aubaine pour Blaise Compaoré qui en a bien besoin. Harcelé et malmené par ses adversaires politiques qui fustigent sa volonté de faire réviser la Constitution afin pour se représenter à la prochaine présidentielle de son pays, le président burkinabé a besoin de solides arguments pour légitimer son désir de maintien au pouvoir. Et pour cela, rien de mieux qu’un succès personnel dans la résolution de la crise malienne.
Cependant, même s’il revient dans la course, il sait qu’il n’a plus désormais l’exclusivité du dossier malien, car il y a l’Algérie qui se veut incontournable dans la gestion d’un dossier dans un Sahel auquel elle veut imposer son leadership, à qui la Cédéao et une partie de la Communauté internationale veulent confier le rôle de facilitateur dans une crise dont elle veut la gestion exclusive.
Abdel HAMY