Me Mamadou Konaté répond à Souleymane Koné du Mouvement Citoyen: «Les accords d’Alger violent bel et bien la Constitution»

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"Le texte des accords d’Alger n’est pas en conformité avec les dispositions de la Constitution, encore moins, celles de la loi sur les collectivités locales. L’institution du Conseil Régional Provisoire de Coordination (CRPCS) n’est pas conforme à ces textes parce que non prévue par la loi, elle ne l’est pas non plus parce qu’elle viole la légitimité des membres élus d’une assemblée régionale elle-même issue de la loi, elle l’est encore moins, au regard des missions nouvelles qui lui sont confiées, bien au-delà de celles dévolues à l’organe qu’il est chargé par ailleurs d’appuyer et d’assister. A travers cette importante contribution dont nous vous proposons l’intégralité en page 4 et 5, l’éminent avocat à la Cour Me Mamadou Ismaïl Konaté, répond à Souleymane Koné, ancien membre de la Commission Constitutionnelle de la Conférence nationale du Mali qui lui avait porté la contradiction, dans des termes peu amènes dans l’Indépendant n° 1522 du lundi 31 juillet 2006. M. Koné répliquait ainsi à un article de Me Konaté intitulé "les accords d’Alger violent la Constitution du Mali" paru dans l’Indépendant n°1514 du 19 juillet 2006.
J’ai eu l’occasion de signer dans votre parution du 19 juillet 2006, un article sous le titre " Les Accords d’Alger violent la Constitution du Mali". Monsieur Souleymane Koné, anciennement, honorable membre de la Commission Constitutionnelle de la Conférence Nationale du Mali vient de me porter la contradiction dans votre numéro du 31 juillet 2006.
Je me réjouis de cette heureuse initiative qui permet le débat et l’échange. J’aurai volontiers et avec beaucoup d’enthousiasme salué et applaudi de mes deux mains Monsieur Souleymane Koné, non pas forcément pour la qualité de son article, mais plutôt la démarche qui l’aura amené à prendre sa plume pour tenter de me donner la réplique.
En le faisant, il contribue sans nul doute au moins à faire avancer le débat sur la question de la légalité des Accords d’Alger II. Dans la contradiction, il aurait certainement apporté lui aussi son éclairage, son autre opinion qui ne serait pas forcément celle que d’autres ou moi-même auraient jusque-là avancée, soutenue, voire défendue.
Mais je ne pus le faire en raison de l’angle de tir utilisé pour me répondre, alors même que l’espace offert n’était pas des plus étroits. Mon contradicteur s’est plutôt laissé aller à mon égard, emporté vraisemblablement par une franche détermination à invectiver par des attaques au-delà de l’intellect.
A propos des échanges autour de la question de la légalité et de l’opportunité de la signature des Accords d’Alger II dans la forme actuelle, certaines personnes, notamment les lecteurs assidus de ces colonnes et bien d’autres peuvent se lasser de lire ces nombreuses prises de positions à n’en pas finir. Pourtant, toutes ces opinions qui s’expriment dans un sens comme dans l’autre, tous ces soutiens qui se donnent en faveur ou contre, participent du débat démocratique.
Je suis de ceux là qui pensent que ces débats et échanges sont nécessaires et même utiles. Tous les citoyens maliens, qui le souhaitent, doivent pouvoir prendre la parole pour s’exprimer, exprimer leurs opinions sans jamais qu’ils en soient empêchés d’une manière ou d’une autre. Aucune opinion, aucune idée ou analyse n’est a priori superflue dans un débat de cette nature et de cette importance. Chacun dans son rôle, dans sa position, dans son rang, devra, en intervenant dans ce débat, contribuer à le faire avancer.
Pour revenir au sujet, il m’est fait le reproche de faire un usage fort "abusif" des dispositions constitutionnelles pour les besoins de mon analyse et de ma démonstration juridiques du texte des Accords d’Alger II. Ce reproche peut sans nul doute être fondé. Mais, comment pourrais-je ou aurais-je dû faire pour lire un texte aussi complexe que celui des Accords, le comprendre et l’analyser sans aucun instrument de " guidage juridique ".
Assurément, cela ne m’a pas été possible. C’est pourquoi j’ai abordé mon analyse de ces Accords en utilisant les dispositions constitutionnelles pour aboutir à la conclusion qu’ils ne sont pas conformes à la Constitution du Mali.
Ils ne le sont pas à mes yeux (au moins) sur les deux points développés dans mon précédent article, à savoir :
        D’une part, l’institution et l’implantation par l’entremise du Ministre de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales d’un «Conseil Régional Provisoire de Coordination et de Suivi» (CRPCS),
        D’autre part, la création d’une "Unité Spéciale de Sécurité" dont la composition (est dominée par les éléments issus des régions nomades) et le commandement, à l’avance confié à un "personnel militaire" déjà «identifié».
Pour battre en brèche l’argument de l’inconstitutionnalité du texte des Accords d’Alger II sur ces points, les tenants de la légalité soutiennent entre autres arguments :
 Que le CRPCS (que je mets principalement en cause tant dans la forme que dans les conditions qui ont prévalu à sa mise en place) n’est en rien un substitut de l’Assemblée Régionale de Kidal. D’ailleurs, selon eux, il ne saurait en être autrement dans la mesure ou cette Assemblée Régionale de Kidal n’a jamais été dissoute. Soit !
Contre cet argument, je réponds ceci :
En République du Mali, la région est la collectivité territoriale dotée de la personnalité morale. Dans chacune des huit d’entre elles, la loi y a institué une "Assemblée Régionale". Cette structure composée de membres élus est mise en place pour une période de cinq années.
Le mandat des membres de l’Assemblée Régionale ne peut aller au-delà de cette durée (sauf dans les cas prévus par la loi). L’Assemblée Régionale ne peut être dissoute que dans les seules conditions fixées par la loi. Cette dissolution est prononcée au moyen d’un «décret motivé» pris en Conseil des ministres.
– Les attributions de l’Assemblée Régionale sont clairement précisées par le Code des Collectivités Territoriales (Loi N° 95-034/A N-RM du 12 avril 1995). A ce sujet, la lecture des dispositions de l’article 131 de la loi précitée permet de retenir par exemple que :
– L’Assemblée Régionale est l’organe qui «règle par ses délibérations les affaires de la région notamment celles relatives aux programmes de développement économique, social et culturel et de sa mise en cohérence avec les programmes nationaux».
– Elle délibère entre autres sur :
· les budgets et les comptes de la région ;
· le schéma d’aménagement du territoire et de développement régional ;
· les actions de protection de l’environnement ;
· l’acquisition du patrimoine et la gestion du domaine régional ;
· la politique de création et de gestion des équipements collectifs d’intérêt régional etc.…
Concernant bien d’autres matières limitativement énumérées par la loi précitée (budget, impôts et taxes, police administrative), l’Assemblée Régionale ne délibère qu’avec le "concours " de l’autorité de tutelle, en l’occurrence le MATCL.
Enfin, l’article 134 de la même loi permet à l’Assemblée Régionale de donner «son avis toutes les fois qu’il est requis par les lois et règlements ou demandé par l’autorité de tutelle».
Les pouvoirs de l’Assemblée Régionale s’arrêtent là et la loi N° 95-034/A N-RM du 12 avril 1995 ne laisse de place à aucune autre structure, fut t-elle la tutelle (le MATCL) encore moins le CRPCS- pour administrer la région de Kidal, même dans le cas d’un «appui» ou d’une "assistance".
L’administration et les tenants de la légalité avancent l’argument de la "non fonctionnalité" de l’Assemblée Régionale à Kidal. Mais alors, pour ce cas précis, la loi a prévu un mécanisme pour répondre. Il s’agit de la procédure de "dissolution" ou de "suspension" selon les hypothèses. On répondra certainement que cette dissolution devra être suivie de nouvelles élections et que le contexte actuel à Kidal ne le permet pas.
Pour autant, une telle situation ne doit pas conduire à la mise en "quarantaine" d’une Assemblée Régionale. Et c’est bien pour contourner les difficultés et les contraintes liées à la mise en œuvre des procédures légales que j’ai indiquées et qui sont certes contraignantes, que les Accords d’Alger II ont fait le choix d’installer le CRPCS. La mise en place d’une telle structure – de cette manière là – viole la loi.
Peu importe la durée qui y est fixée. Ce qu’il faut retenir en droit, c’est que l’on ne peut "substituer" un "organe nommé" par «un organe élu» sans anéantir les lois en faveur de la décentralisation. L’Assemblée Régionale est issue du suffrage. C’est ce qui lui confère en droit la légitimité que n’a pas et ne pourrait avoir le CRPCS.
En fixant le CRPCS dans le rôle et la mission :
d’"appuyer l’Assemblée Régionale (de Kidal) dans l’exercice de ses compétences, en matière:
d’action de coopération avec les bailleurs de fonds dans le cadre du développement économique, social et culturel de la région, conformément à l’article 32 du Pacte National ;
de tous les aspects de la sécurité de la région, conformément aux alinéas C et D de l’article 15 du Pacte National ;
budgétaire pour la région, conformément à l’article 33 du Pacte National".
Le texte des Accords d’Alger II n’est pas en conformité avec les dispositions de la Constitution, encore moins celles de la loi sur les Collectivités locales.
L’institution du CRPCS n’est pas conforme à ces textes parce que non prévue par la loi (1), elle ne l’est pas non plus parce que, violant la légitimité des membres élus d’une Assemblée Régionale elle-même issue de la loi (2), elle l’est encore moins, au regard des missions nouvelles qui lui sont confiées, bien au-delà de celles dévolues à l’organe qu’il est chargé par ailleurs d’appuyer et d’assister (3).
Non ! Cette démarche n’est ni bonne, ni cohérente en droit. Elle s’assimile à un "détournement de la loi" consistant à mettre en «sommeil» une Assemblée Régionale (structure légale) qui voit ses missions et prérogatives se transférer au CRPCS, une structure (para légale), qui les exerce pendant une période de douze mois. Naturellement, les Accords d’Alger II prennent bon soin de prévoir qu’au terme de ce délai, l’Assemblée Régionale reprendra la plénitude de ses prérogatives.
C’est bien là la preuve que l’Assemblée Régionale avait bien perdu ses prérogatives au profit du CRPCS, ne serait ce que pendant l’année de vie de celui-ci.
Curieusement, dans les missions du CRPCS telles que précisées dans le corps du texte des Accords, celui-ci peut également «appuyer» l’Assemblée Régionale de Kidal dans des affaires relevant de la "sécurité de la région". La mission de «sécurisation de la région» est nouvelle en ce sens qu’elle n’était même pas «listée» dans les prérogatives de l’Assemblée régionale. Ma lecture du pacte National ne m’a pas permis de savoir qu’une telle mission avait été concédée non plus.
La mission d’assurer "la sécurité régionale" est une "mission régalienne" qui n’avait auparavant jamais été ni confiée, ni concédée. Les "aspects sécuritaires" de la région relèvent en principe du seul domaine de compétence de l’Etat qui les prend à sa charge, au travers de ses services centraux chargés d’assurer la Défense Nationale du territoire.
Un second sous argument consiste pour les tenants de la légalité à dire que les Accords d’Alger II ne sont rien d’autre qu’"un volet et un prolongement" des Accords d’Alger I, à l’origine du Pacte National.
Au sujet du Pacte National, il faut tout de même rappeler ce qu’était le contexte de l’époque :
Une véritable adhésion populaire avait précédé et accompagné la signature des Accords d’Alger I ;
Un large engouement et enthousiasme, certes suscités, n’ont laissé aucune place à aucune dispute politique, encore moins à un débat juridique ou philosophique.
Sur cette question justement, une voix plus autorisée que la mienne, celle du Doyen Amadou Aliou N’Diaye, Ancien Président de la Cour Suprême du Mali, éminent Juriste (auquel je souhaite prompte rétablissement) a dit des Accords d’Alger I qu’ils étaient "conformes aux dispositions de la Constitution en vigueur", parce que non «discriminatoires» et "n’empiétant pas sur les droits des autres ".
Peut on seulement en dire autant des Accords d’Alger II ?
A force d’entendre dire que le texte des Accords d’Alger II n’est qu’"un volet et un prolongement" de celui des Accords d’Alger I, j’ai été tenté de faire une lecture comparative des deux accords, notamment en ce qui concerne leurs domaines d’intervention et objets :
Les Accords d’Alger I qui ont servi de base à la rédaction du Pacte National ont traité des domaines suivants. Le "cessez-le-feu définitif dès le lendemain de sa signature" ;
" L’intégration totale avec leurs armements sur une base individuelle et volontaire et selon les critères de compétence des combattants des mouvements et fronts unifiés dans les différents corps en uniformes de l’Etat" ;
Le «changement des missions dévolues à l’armée nationale chargée à l’avenir des missions de Défense Nationale par :
L’élaboration d’ "un programme de rapatriement des personnes déplacées, de leur réinsertion et de l’assistance aux personnes victimes du conflit armé» ;
L’ "installation d’une commission indépendante d’enquête qui a pour charge d’enquêter sur tous les évènements qui ont eu lieu au Mali en relation avec les problèmes du nord (crimes, vols, pillages, destruction de bétail…)" ;
La fixation d’un "statut particulier du Nord Mali, lequel définit les compétences des assemblées interrégionales, régionales et locales. Ces assemblées élues sont compétentes pour organiser, en accord avec le gouvernement central, leur vie communautaire, urbaine et rurale…sociale, culturelle qu’elles désirent…assurer les contrôles des forces et des activités de maintien de l’ordre… " ;
La "promotion de la solidarité nationale par la création d’un fonds de développement et de réinsertion ainsi que d’un fonds d’assistance et d’indemnisation aux victimes de toutes les conséquences du conflit armé, que la consécration de l’unité nationale par l’intégration à titre spécial des cadres des mouvements et des personnes des populations du Nord Mali dans les instances centrales de l’Etat major de la défense et des autres corps de sécurité ".
Dans ces Accords, il n’a pas point été question de CRPCS ou même de son équivalent, aucune mission de sécurité régionale n’a été confiée…
En ce qui concerne la création d’" Unités Spéciales de Sécurité ", d’aucuns ont soutenu que ces unités ne sont pas spéciales au regard de leur "composition" mais plutôt par rapport aux «missions» qui leur seront confiées. Incroyable jeu de mots !
Si c’était tant le cas, quel besoin avait-on alors de dire dans un acte officiel comme celui des Accords d’Alger II que lesdites unités seront composées "d’éléments issus des régions nomades" et que le commandement en serait confié à tel «personnel» militaire.
Non ! Une telle rédaction viole la légalité constitutionnelle.
L’article 2 de la Constitution n’a-t-elle pas prescrit que "tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée " ?
Pour conclure, je note que le débat sur la légalité des Accords perdra quelque peu de sa saveur dès qu’ils auront été publiés dans le Journal Officiel de la République.
Cette publication sera certainement précédée par la promulgation desdits Accords par décret du Président de la République.
Cet «acte de gouvernement» incombe seulement au Président de la République.
Par ce moyen, le Président de la République authentifie les Accords en question et les engagements qui y sont souscrits deviendront immédiatement exécutoires, parce que rentrant désormais dans l’ordonnancement juridique interne de la République du Mali.
Pour autant, la question de la légalité à leur sujet, loin d’être réglée, est susceptible de se poser ailleurs, plus loin et tout autrement.
Pour ma part, je n’entends plus jamais aller au-delà de cet article. Mon souhait en prenant la plume dans cette chronique et sur ce sujet était de participer moi aussi et en ma seule qualité de citoyen à un débat de portée et d’importance nationales.
Je n’entends nullement polémiquer. Mon rôle et ma mission sociale me commandent d’œuvrer moi aussi pour que la paix règne sur nous et sur notre pays.    
 
Mamadou KONATE
Avocat à la Cour, mkojce@yahoo.fr

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