Me Harouna Toureh, vice-président de Air-nord à propos de la crise qui secoue le mali dans sa partie septentrionale

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«La solution partielle immédiate, c’est d’user des forces traditionnelles de recours,  d’intermédiation et de règlement des conflits dont seuls disposent les chefs traditionnels».

Dans cette interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder, le vice-président de l’Alliance inter-régionale pour la paix et le développement (Tombouctou, Gao et Kidal) Me Harouna Toureh, nous faire part de son analyse sur la situation, des rapports (plutôt difficiles) de son association avec l’Etat, de ses liens avec les autres partenaires sociaux et enfin de sa proposition de sortie de crise.

L’Indépendant : Maître Harouna Toureh, vous êtes vice‑président de l’Alliance inter-régionale pour la paix et le développement (Tombouctou, Gao et Kidal). A la faveur de la révolte d’un groupe de ressortissants des régions du Nord-Mali le 23 mai 2006, votre organisation était allée jusqu’à Teghargharet en juin 2006 pour plaider en faveur de la paix. Aujourd’hui encore, le même problème ressurgit. Quelle lecture faites-vous de cette situation?

Me Harouna Toureh : Nous pensons qu’il n’est pas inutile de rappeler que notre mouvement appelé «Alliance Inter Régionale pour la Paix, la Sécurité et le Développement» des régions de Tombouctou, Gao et Kidai, est un creuset de toutes les communautés, des notabilités et d’anciens dirigeants des ex‑ mouvements (MFUA, GANDAKOYE) des régions sus­citées. Si vous voulez, c’est aussi un creuset de civilisations et de valeurs sociales indissociables, d’où sa grande capacité à mobiliser nos populations, à communiquer avec elles et à canaliser les ardeurs hélas parfois guerrières et bellicistes de certains de ses membres.

Tout le Mali se rappelle avec tristesse les effets dévastateurs que la confrontation entre MFUA (Mouvement et Front Unifiés de l’Azawad) et Armée du Mali d’une part et Gandakoye d’autre part, a crées sur les valeurs séculaires de cohésion sociale, de fraternité et de solidarité liant toutes les composantes humaines du Nord entre elles.

En acceptant d’oublier l’inoubliable et de penser à notre passé commun fait de mixité, notre mouvement AIR NORD se veut conjuratoire des folies guerrières et meurtrières des années 1990.

Pour revenir à votre question, effectivement au lendemain des évènements du 23 mai 2006, nous avons de notre propre initiative, selon nos propres moyens et malgré les risques et les difficultés liés au terrain et avec la bénédiction de Dieu, conduit une forte délégation dans les montagnes de Teghargharet, afin de plaider la cause de la paix, amener nos frères en armes à garder l’arme au pied et à inscrire leurs actions à venir dans un cadre consensuel et réglementaire.

Notre intercession a certainement largement contribué à désarmer psychologiquement les parties prenantes sur le terrain d’où l’accord d’Alger du 21 juillet 2006.

Vous affirmez qu’aujourd’hui encore, ce en dépit de l’accord d’Alger du 21 juillet 2006, que le même problème ressurgit, c’est à dire qu’il y a à nouveau des insurgés et vous parlez de rébellion touareg.

Vous vous méprenez sur deux points, primo, il ne s’agit pas de rébellion touareg, secundo, la révolte du 23 mai 2006 n’est pas comparable ni en terme de moyens et de ressources humaines, ni en terme de dimension à la révolte de Ibrahim Bahanga.

En effet, parler de rébellion touareg, c’est faire preuve d’ignorance d’un pan important de l’histoire et du fait démographique de cette région Nord du Mali. En ce que Touareg signifie et concerne un ensemble d’environ 12 tribus composées elles‑mêmes de plusieurs centaines de fractions au Mali.

Ibrahim Bahanga, bien que ressortissant de l’une de ces tribus, n’est pas représentant de cet ensemble, ni de cette communauté profondément musulmane et pour cause, soucieuse de paix et de fraternité. Et si Ibrahim Bahanga s’appelait Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK), un ressortissant de Kangaba, pourrait‑on parler de rébellion mandingue ?

Cet amalgame entre l’individu et sa communauté d’origine est généralement porteur de dérive raciale, de bavures et de crimes innommables. Trois grandes communautés, les noirs, les arabes et les juifs sont presque quotidiennement victimes de cette malencontreuse confusion entre l’individu et sa race. Alors sachez, confusion éviter.

Par ailleurs, comme nous l’annoncions, la révolte du 23 mai 2006 était nettement plus importante en terme de ressources humaines et de moyens et donc plus inquiétante que celle de surcroît presque circonscrite de Ibrahim Bahanga, ce dernier ne constituant qu’un maillon de l’immense chaîne d’insécurité et de troubles de tout genre que la révolte du 23 mai 2006 aurait pu engendrer si lyad Agaly ne les avait pas rejoint dans le seul et unique dessein d’adoucir les moeurs guerrières de Fagaga et de ses hommes et si l’accord d’Alger du 21 juillet 2006 n’avait pas eu lieu.

De plus, vous avez suivi la déclaration de l’Alliance du 23 mai 2006 pour le changement et la démocratie se désolidarisant et condamnant les actes de Ibrahim Bahanga et appris que l’Alliance du 23 mai 2006 pour le changement participe militairement avec effectivité auprès de l’armée malienne en vue d’amener la paix et la sécurité dans cette partie de notre beau pays.

N’est‑ce pas la preuve inespérée que le chef incontesté de l’Alliance du 23 mai 2006 Iyad Ag Agaly, qu’une certaine presse mal informée diabolisait à tort il y a peu, est un homme de paix et de conviction. Il est dit ceci en milieu Arma (Touré) que la bienveillance et le respect de l’autre veulent que l’on cherche à identifier chez quiconque ce qu’il a de bon et de meilleur pour ne pas médire de lui.

L’Indép. : En tant qu’organisation non gouvernementale oeuvrant pour la paix au Nord-Mali, quel rapport existe entre vous et l’Etat d’une part et d’autre part avec les structures similaires telles que le collectif des ressortissants du nord?

Me H. T : L’Etat du Mali ou plus spécifiquement les autorités en charge de ce dossier nous ont superbement ignorés jusqu’à notre médiation réussie des 06 et 07 juin 2006 à Teghargharet. Cultivant la paix et la tranquillité des coeurs et des esprits, nous faisions ombrage à la réalisation de certains desseins mal intentionnés, c’est ainsi que certains va‑t‑en en guerre, nichés dans les nébuleuses du pouvoir militaire et politique poursuivant des buts étrangement mercantilistes, égdistes et personnels, ont longtemps cru pouvoir excommunier notre mouvement de paix.

Vous vous rappelez certainement que de retour de notre mission de paix de Terghargharet le 07 juin 2006, la délégation que nous conduisions et nous‑mêmes avions été manu militari éconduits de Kidal. Notre expulsion, commanditée par on ne sait qui, a été sommairement exécutée par le chef de la Compagnie de Gendarmerie de Kidal accompagné de deux gendarmes, tous armés de kalachnikov.

Et qu’à notre arrivée à Gao le 07 juin 2006 vers 22 heures, nous avions eu le privilège d’avoir été accueillis, escortés et conduits par des véhicules 4 x 4 débordant de policiers en armes jusqu’au commissariat de Gao où après nous avoir fait subir une fouille corporelle, nos véhicules également furent passés au peigne fin, après quoi le contrôleur général de la police de Gao tenta de nous obliger le soir même à quitter la cité des Askias.

Seule notre résistance à cette oppression et notre détermination eurent raison de la volonté du contrôleur général de police de Gao de nous éconduire manu militari à défaut de nous embastiller dans les geôles d’enfer de son commissariat.

Tout ceci appartient désormais au passé car nous avons accordé notre pardon à tous ceux qui nous ont délibérément offensés et maltraités, convaincus de ce que le drapeau blanc de notre combat pour la paix ne peut s’accommoder de haine ni de vengeance.

Nous pouvons gaillardement affirmer que notre course effrénée et plein de risques vers la paix et la cohésion sociale de nos populations ne vise aucune reconnaissance de qui que ce fut. Ne dit‑ on pas qu’on recherche la reconnaissance des autres quand on se trouve dans l’incapacité de se reconnaître soi‑même.

Quant aux Associations poursuivant et cultivant comme nous la paix, la sécurité, la cohésion sociale, la fraternité etc. nous leur avons toujours déclaré et prouvé notre disponibilité à combattre ensemble en rangs serrés.

L’Indép. : Il nous est revenu que le président de Air Nord,, Alghabass Ag Intallah et deux autres responsables de cette association ont largement participé à la médiation qui a permis d’observer la trêve actuelle sur‑le‑champ de bataille de Tinzawaten. Pouvez‑ vous confirmer cette information ?

Me H.T : Nous confirmons que le président de notre mouvement de paix Air Nord, l’Honorable Algabbas Ag Intallah, Député de Kidal et fils du patriarche des Ifoghas, Intallah Ag Attaher accompagné du représentant régional de Air Nord Bayen Ag Khaweli et de Alladi Ag Alla bivouaquèrent pendant des jours entre les troupes de l’armée malienne et celle des insurgés. Leurs missions :

1. Obtenir une trêve pendant le mois de Ramadan,

2. Ouvrir les voies sahariennes de ravitaillement et du commerce entre l’Algérie et le Mal!,

3. Obtenir la libération des otages et des prisonniers détenus par Ibrahim Bahanga,

4. Obtenir de Bahanga qu’il s’engage à déminer ou à laisser déminer toutes les voles vitales au commerce, à la transhumance et à la circulation des hommes, des femmes et des enfants,

La libération sans condition des 7 otages le vendredi 21 septembre 2007 grâce à l’intercession des honorables personnes sus‑citées est la preuve indestructible qu’en temps de guerre le turban et le boubou conviennent mieux quand on cherche sincèrement la paix, que les BRDM et les Kalachnikovs.

L’Indép. : Avez‑ vous une solution toute faite pour résoudre de façon immédiate cette crise récurrente ?

Me H.T : Il n’y a pas de solution miracle à la crise. La solution militaire non plus n’est pas la bonne, elle a l’inconvénient majeur de renvoyer sinedie les causes et le problème. C’est ce qui s’est passé en 1963 et 1991, car à la faveur d’un semblant de paix on a renvoyé au calendre grec les vraies causes du problème qui ne portaient et ne portent encore que sur la misère, l’extrême pauvreté, l’absence d’Etat, l’irresponsabilité de l’administration, l’absence d’éducation des enfants, l’autoritarisme invétéré des représentants de l’Etat etc.

Et puis les armées ont vocation à faire la guerre, et comme le dit François Proust «Méfiez‑vous des gens qui ont une vocation : il leur faut des victimes».

Les années 1990, l’armée malienne, les Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad et Gandakoy, nous ont tristement prouvé oh combien cette crainte de l’écrivain était justifiée. Mais en réalité la solution partielle immédiate (la SPI) réside dans l’organisation sociale, la culture et l’histoire de ces peuples du Nord dont les ressortissants dit‑on souvent, sont plutôt enclins à la révolte, àl’insoumission, à la bagarre, au bellicisme.

Cette solution ne procède d’aucun miracle, d’aucune incantation et surtout pas de la violence; nous l’avions expérimentée avec succès en juin 2006 quand nous visitions Iyad, Fagaga et tous les autres à Téghargharet.

Les Touareg, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, les Arabes non sédentarisés dans une moindre mesure ont gardé intactes leurs valeurs sociales et culturelles que l’on peut un temps soi peu jugées comme féodales, mais qui ont résisté aux invasions hispano‑marocaines de 1591 et occidentales du 19è siècle et à l’essor de la vie moderne.

Nous avons mis en oeuvre une seule de ces valeurs à Téghargharet, celle du respect dû au chef (et Iyad ce jour-là en était un), cette valeur dans une société hiérarchisée, pyramidalement organisée et disciplinée telle que les Ifoghas est d’une préciosité inestimable. Reéditée les 13, 14, 15 et 16 septembre courant avec Ibrahim Bahanga, les mêmes voies empruntées par les mêmes voix autorisées ont permis d’obtenir, ce que vous savez depuis le vendredi 21 septembre, à travers notre président.

Alors la Solution Partielle Immédiate (SPI) de notre humble point de vue, c’est user des forces traditionnelles de recours, d’intermédiation et de règlement des conflits dont seuls disposent les chefs traditionnels authentiques.

Et pour ce faire, nos dirigeants nationaux doivent tirer avantage de la trêve dès à présent pour mettre en oeuvre sur le terrain toutes les forces traditionnelles par ailleurs déjà disponibles afin d’arracher la paix pour le bonheur du Mali.

Pour les solutions à court, moyen ou long terme, nous nous en remettons au forum inter‑ communautaire que nous envisageons d’organiser très prochainement.

Propos recueillis par Chahana TAKIOU

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