Kidal vit deux tristes réalités : elle voit passer armes – pour quelle destination ? – et anciens soldats de l’armée libyenne. Et puis, la mort de Bahanga semble avoir fauché l’herbe sous les pieds de fauteurs de troubles qui avaient, par force déclarations, dénoncé le non respect par l’Etat de l’accord d’Alger. Au point que la thèse de l’accident de circulation est suspectée. « Tous les gens de Kidal ne peuvent quand même pas mourir de la même façon par un tonneau ! » lance un ressortissant de la région en faisant allusion, aux circonstances de la mort, quelques mois plus tôt, de l’ancien président de l’Assemblée régionale de Kidal. A Menaka dans le Tamesna précisément où sont revenus plusieurs Touareg maliens de l’armée libyenne, les esprits s’échauffent depuis peu.
Tout passe, pêle-mêle dans un argumentaire qui va du faible ratio d’intégration des combattants du cercle à la détresse des Ishoumars. En fait, les récits sont flous. Cependant, ils laissent entrevoir un bouillonnement et une confusion propices aux partisans d’une nouvelle rébellion. Plus loin et en même temps, à Talataye, cercle de Ansongo, région de Gao, depuis la semaine dernière, le drapeau malien ne flotte plus sur le toit de l’aride sous-préfecture. Un petit groupe de jeunes lui a préféré planter les couleurs dites de l’Azawad. Dans la foulée, la gendarmerie de Tarkint, dans le Cercle de Bourem et sur la route de Kidal reçoit, elle aussi, la menace d’une attaque imminente de la part d’un groupe de jeunes Qui ? Impossible d’être catégorique. Car s’il est un habitué des crises, le Nord-Mali, au cœur du Sahara-Sahel, subit de plein fouet les retombées de la crise libyenne. Celle-ci sert à la fois de prétexte, d’amplificateur et de vecteur de ruptures qui constituent autant de menaces à l’intégrité nationale. Le gouvernement l’a si bien compris qu’il a dépêché une mission de sages dans ces vastes contrées de plus de 900 000 km2.
Revoilà le MNA
Objectif : anticiper le retour de nos compatriotes retournant de la Libye où plusieurs milliers d’entre eux sont enrôlés dans l’armée désormais indésirable de Kadhafi. C’est par centaines -six cent selon certaines sources- que ces soldats touareg dans leur écrasante majorité se seraient repliés dans les Régions de Kidal, Gao et Tombouctou qui les ont vu naître mais dont ils étaient partis depuis plus d’une vingtaine d’années. « Personne ne peut dire exactement combien sont retournés » prévient un ancien député de la localité. « Ils transitent peu par les capitales régionales et vont directement dans les campements surtout que c’est l’hivernage et qu’il y a de l’eau partout ». Si rien n’est vraiment très clair dans les récits en provenance du Nord, il est, en revanche, indiscutable que flotte dans l’air un projet autonomiste depuis déjà un an.
Il est articulé de manière très explicite par le Mouvement National de l’Azawad (Mna). Ce mouvement sécessionniste a fait couler beaucoup d’encre en fin 2010 suite au congrès dit « des jeunes du Nord » tenu à Tombouctou le 1er novembre 2010. Deux responsables du mouvement seront arrêtés dans la foulée. Il s’agit de Mossa Ag Acharmatane et Aboucacrine Mohamed Ag Fadhil, tous dans leur vingtaine et étudiants. Ils seront transférés à Bamako où ils déclarent avoir été détenus et interrogés pendant dix huit jours à cause du manifeste de leur mouvement qui est d’une inquiétante limpidité : l’autonomie pour les trois régions Nord. Pour tout dire, un projet de sécession. Avec en plus une mise en garde à l’Etat central : « étant donné que le peuple azawadien n’a pas encore recouvré sa terre pour qu’il puisse gérer ses affaires politiques et économiques, investir et extraire les richesses que regorgent l’Azawad est illégal ». Nombre de ressortissants du Nord voient la main du Mna derrière les manœuvres de subversion en cours. Une hypothèse battue en brèche par ceux qui revendiquent une meilleure connaissance du mouvement et de ses acteurs. « Trop jeunes, trop peu, pas connectés » dissuadent-ils. « Sans compter que ce mouvement avait opté pour l’autodissolution après leurs ennuis avec l’Etat en novembre dernier ».
Pourtant, le communiqué appelant les communautés du Nord à se mobiliser contre les infrastructures sécuritaires du tout nouveau Pspsdn, c’est bien eux. « Personne n’a dit que ce n’est pas un mouvement qui est mauvais en électronique ! » relativisent les mêmes. Alors qui donc est responsable du projet de déstabilisation dans le Nord si ce n’est pas le Mna ? Il y a, répond-on, plusieurs mobiles et plusieurs acteurs. Chaque zone a ses problèmes : « Kidal est un plus vieux problème qu’il ne faut pas surestimer », analysent certaines parties prenantes. Il faudra voir si les troubles à Ansongo ne sont pas liés aux futurs élections législatives et communales ». Idem, déduit-on, pour Menaka dont certains ressortissants estiment que c’est un cercle à l’abandon, prenant en exemple la route aujourd’hui dégradée qui y mène à partir d’Ansongo désormais reliée à Gao par une route bitumée. Des problèmes purement parcellaires donc. Mais attention, avertit toujours l’ancien député évoqué plus haut : « si tous ces griefs, faux ou vrais sont fédérés et qu’ils bénéficient d’un soutien, bonjour les dégâts » !
Adam Thiam