(Nairobi, le 5 avril 2017) – Des groupes armés ont commis une vague de meurtres dans le centre du Mali depuis janvier 2017, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Perpétrés par des groupes armés islamistes, des milices d’autodéfense et, dans une moindre mesure, des militaires du gouvernement, ces homicides ont entraîné la mort d’au moins 52 personnes et le déplacement de plus de 10 000 individus, et considérablement aggravé les tensions ethniques. Les autorités maliennes devraient enquêter sur ces meurtres et traduire en justice toute personne en portant la responsabilité.
Cela fait plus de deux ans que des groupes armés islamistes renforcent leur présence dans le centre du Mali, où ils ont exécuté des civils et des fonctionnaires du gouvernement, et commis d’autres exactions. Leur présence et le recrutement de résidents locaux ont exacerbé et exploité les tensions entre les membres des ethnies Peul, Bambara et Dogon, entraînant une prolifération de milices d’autodéfense aux pratiques souvent violentes.
« Depuis le mois de janvier, des violences attisées par des tensions ethniques explosives se sont propagées à travers la région centrale du Mali, faisant des dizaines de morts », a déclaré Corinne Dufka, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le gouvernement malien devrait redoubler d’efforts pour enrayer ces violences, d’une part en cherchant fermement à traduire les auteurs des meurtres en justice, et d’autre part, en multipliant les patrouilles pour protéger les populations vulnérables. »
Dans le cadre d’une mission de recherche menée au Mali pendant dix jours en février, ainsi qu’au moyen d’entretiens téléphoniques réalisés à la fin du mois de février et en mars, Human Rights Watch a interrogé 57 personnes qui ont été victimes ou témoins des meurtres et d’autres exactions commises dans le centre du Mali. Human Rights Watch a aussi interrogé des membres des communautés ethniques peule et bambara ; d’anciens détenus ; des agents du gouvernement local ainsi que des services de la sécurité et de la justice ; et des diplomates étrangers.
Le 11 février, des individus suspectés d’être des combattants islamistes peuls ont tué un commerçant bambara près de la ville de Ke-Macina, dans la région de Ségou, à 320 kilomètres de Bamako, la capitale malienne. Cet acte a déclenché des meurtres de représailles à l’encontre de villageois peuls, perpétrés par des membres d’une milice d’autodéfense bambara connus sous le nom de Dozos, et qui ont fait au moins 21 morts, dont des enfants.
Le 18 février, des islamistes armés ont exécuté neuf commerçants bozos et bambaras qui rentraient d’un marché local, au motif qu’ils auraient apporté leur soutien aux Dozos. Depuis, au moins 16 personnes – des civils comme des membres de groupes armés – ont été tuées lors d’attaques de représailles de plus en plus fréquentes. Des habitants peuls et bambaras ont déclaré à Human Rights Watch que les villageois étaient terrifiés par des groupes composés de nombreux hommes armés qui avaient été aperçus se déplaçant à moto et à bord de véhicules dans leurs villages du centre du Mali.
En outre, depuis janvier, trois représentants du gouvernement local de la région de Mopti ont été assassinés par des hommes suspectés d’être des islamistes armés.
Bien que les forces de sécurité maliennes aient globalement pris des mesures pour réprimer la violence ethnique, des témoins ont signalé que face à la présence croissante d’islamistes armés dans le centre du Mali, certains militaires avaient exécuté au moins huit individus soupçonnés d’être des islamistes et soumis plusieurs autres à des disparitions forcées depuis la fin décembre 2016.
Des chefs communautaires bambaras et peuls se sont plaints de la violence qui s’est emparée du centre du Mali ces deux dernières années. Des villageois, des autorités locales et des anciens des deux groupes ethniques ont affirmé que la pauvreté, la corruption au sein du secteur public, l’insuffisance des conditions sécuritaires et le manque d’enquêtes et de justice relatives aux violences communautaires et à la criminalité étaient autant de facteurs qui favorisaient les efforts de recrutement des groupes armés.
Sur la question du manque de justice face aux nombreux meurtres perpétrés depuis le début de 2015, un responsable de la jeunesse peule a ainsi commenté : « Dans le centre du Mali, nous, les Peuls, avons été les premières victimes des djihadistes… Nous avons aussi perdu des imams, des maires et des chefs à cause des djihadistes, mais personne n’en parle. » Un autre a souligné : « Il y a tellement de Peuls qui ont été torturés, tués ou victimes de disparitions forcées aux mains des militaires et des Dozos, mais ces crimes odieux n’ont jamais été traduits en justice. »
Un chef bambara a déclaré : « Depuis 2015, un très grand nombre de membres de notre communauté se sont fait tirer dessus dans leur ferme, chez eux ou alors qu’ils se rendaient au marché. Nous l’avons signalé aux autorités locales et à Bamako mais on ne nous donne que des prétextes pour ne pas enquêter – la pluie, le danger, le nombre insuffisant de véhicules. En fin de compte, aucune justice n’est rendue et les meurtres se poursuivent. »
Un villageois peul a expliqué : « Pour mettre un terme à tout cela, il faut que tout le monde soit traité avec dignité ; que chaque meurtre fasse l’objet d’une enquête. Sinon, si l’État n’y prête pas attention, les gens continueront de rejoindre les rangs des djihadistes et leurs effectifs et leur puissance iront croissant. »
Le gouvernement devrait enquêter et faire en sorte que les responsables d’exactions graves commises dans le centre du Mali par des groupes armés, des milices de défense civile et des membres des forces de sécurité étatiques répondent de leurs actes, a commenté Human Rights Watch. Le gouvernement devrait également rendre compte des progrès réalisés dans le cadre de son enquête sur les violences communautaires meurtrières qui ont éclaté en mai 2016 près de la ville de Dioura, dans la région de Ségou.
Le 2 mars, le gouvernement a annoncé la création d’une commission d’enquête d’une durée de 45 jours chargée d’examiner les violences perpétrées à Ke-Macina. Le gouvernement a demandé à cette commission, composée de neuf magistrats et 22 gendarmes, de remettre son rapport dans un délai de 45 jours. Si la commission accomplit son mandat de manière crédible et impartiale, ceci représentera un pas important vers la justice pour les victimes et leurs familles.
Human Rights Watch a recommandé la mise en place d’une commission de plus longue durée, de préférence à l’initiative de l’Assemblée nationale du Mali, pour se charger d’un éventail plus large de dossiers. Une commission de plus longue durée devrait :
- Enquêter sur les sources d’armement des groupes islamistes armés et des groupes d’autodéfense, y compris des Dozos.
- Enquêter sur les causes sous-jacentes des tensions intercommunautaires qui sévissent dans le centre du Mali, y compris la corruption gouvernementale, la nécessité de résoudre les tensions entre agriculteurs et éleveurs, et le besoin crucial de protéger les civils contre le banditisme généralisé et de leur rendre justice lorsqu’ils en sont victimes.
- Élaborer des recommandations claires et propices à la responsabilité, à l’octroi d’indemnisations et à la prévention des exactions.
« L’aggravation de la violence dans le centre du Mali propulse les membres de tous les groupes ethniques dans un cycle dangereux d’exactions et d’impunité », a conclu Corinne Dufka. « Le gouvernement malien et ses alliés devraient s’attaquer de front à cette insécurité avant de nouvelles effusions de sang. L’enquête sur les événements de Ke-Macina constitue un très bon point de départ. »
Pour de plus amples informations, veuillez voir ci-dessous.
Pour consulter d’autres communiqués et rapports de Human Rights Watch au sujet du Mali, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/afrique/mali
Pour tout complément d’information, veuillez contacter :
À Washington, Corinne Dufka (anglais, français) : +1-202-612-4348 ; ou +1-301-852-9972 (portable) ; ou dufkac@hrw.org. Twitter : @CorinneDufka
À Paris, Bénédicte Jeannerod (français) : +33 143-595-531 ; ou +33 674-328-894 (portable) ; ou jeanneb@hrw.org. Twitter : @BenJeannerod
Les germes de la violence
En 2012, les régions situées dans le nord du Mali sont tombées entre les mains de groupes armés ethniques séparatistes touaregs et liés à Al-Qaïda. Les opérations militaires déployées par les forces françaises et maliennes depuis 2013, ainsi que la signature d’un accord de paix en 2015, avaient pour objectif d’éliminer la présence des groupes armés islamistes, de désarmer les Touaregs et d’autres combattants et de rétablir le contrôle étatique dans le Nord. Cependant, dans les régions du centre et du sud du Mali, jusque-là stables, l’insécurité et les violences se sont accrues.
Depuis le début de 2015, un groupe armé islamiste, connu sous le nom de Front de libération du Macina ou Katiba Macina, placé sous les ordres d’un prédicateur islamique, Hamadoun Koufa Diallo, a attaqué des bases de l’armée et des postes de police et de gendarmerie. Ce groupe a exécuté de nombreuses personnes qu’il considérait comme étant des informateurs de l’armée, ainsi que des agents de l’État, dont des maires et des administrateurs locaux.
Les groupes islamistes armés ont fermé des écoles, averti les populations de ne pas collaborer avec le gouvernement, imposé un nombre croissant de restrictions sévères s’appuyant sur leur interprétation de l’Islam, interdit les fêtes traditionnelles y compris les mariages et les baptêmes et imposé la charia (loi islamique) dans certains villages. Cette insécurité a entraîné le déplacement de milliers de civils.
Si la nouvelle zone d’opération du groupe Katiba Macina est en grande partie habitée par des communautés des ethnies peule, bambara et dogon, les groupes islamistes ont concentré leurs efforts de recrutement sur les Peuls. Ainsi, depuis 2015, les chefs de la communauté peule sont préoccupés par la réussite de la campagne de recrutement menée par les islamistes, réussite qu’ils attribuent à l’exploitation par les islamistes des frustrations que ressentent les communautés face à la pauvreté ; à la corruption du gouvernement ; aux différends entre générations au sein des chefs de clan peuls ; au manque de justice rendue pour les crimes de droit commun ; au comportement abusif des services de sécurité maliens ; et à l’incapacité du gouvernement de protéger les civils confrontés au banditisme généralisé.
La faible présence des forces de sécurité maliennes dans la région a également entraîné la formation de groupes d’autodéfense selon des critères ethniques, notamment bambaras et dogons, près de la frontière avec le Burkina Faso. Plusieurs chefs bambaras ont déclaré avoir pris leur sécurité en main puisque les forces de sécurité maliennes n’avaient pas réussi à protéger leurs villages et leurs biens. Ils ont ajouté que les meurtres de nombreux fermiers, éleveurs et chefs locaux bambaras par des groupes armés islamistes n’avaient pas fait l’objet d’enquêtes, et que les responsables n’avaient pas été traduits en justice.
Cela fait fort longtemps que la question de l’eau et du foncier suscite des différends et des malentendus entre les communautés bambara et peule, l’une sédentaire, l’autre pastorale. Cependant, depuis la prolifération des groupes armés islamistes et le développement et la militarisation des Dozos, ces litiges sont de plus en plus meurtriers.
Violence communautaire à Ke-Macina
La violence communautaire meurtrière qui a explosé entre membres des communautés peule et bambara les 11 et 12 février autour de la ville de Ke-Macina a été déclenchée par le meurtre, le 11 février, d’un commerçant bambara, Chiaka Traoré, dans le village de Diawaribougou, à quatre kilomètres de là. Son meurtrier aurait été un combattant islamiste. Le ministre malien de la Sécurité a déclaré que 20 personnes avaient été tuées et 18 autres blessées. Cependant, des chefs communautaires peuls ont affirmé à Human Rights Watch que le bilan pourrait dépasser les 30 morts.
Un témoin du meurtre du commerçant a commenté : « Il a été tué vers 20 heures par deux hommes à moto qui faisaient semblant d’acheter du gasoil à son échoppe. Ils ont dégainé un fusil et lui ont tiré plusieurs balles avant de déguerpir. »
Un ami de la victime a expliqué à Human Rights Watch :
Chiaka m’a dit quelques semaines avant sa mort qu’il avait reçu des menaces de mort de bandits peuls – en général, ils vous donnent deux avertissements. Il a raconté que les djihadistes lui avaient dit que s’il n’arrêtait pas de parler de [Hamadoun] Kouffa et de s’adresser aux FAMA [l’armée malienne], ils viendraient le trouver. Il m’a dit qu’il avait porté plainte auprès du maire et des gendarmes, mais qu’ils ne pouvaient pas le protéger.
Depuis le début de 2015, Human Rights Watch a rendu compte d’une quarantaine de ce type de meurtres ciblés, qui visaient des personnes soupçonnées de fournir des renseignements à l’armée, et avaient été perpétrés par des groupes armés islamistes dans le centre du Mali.
Des témoins ont affirmé qu’après l’enterrement du commerçant le 12 février, un groupe d’une centaine de Dozos, dont certains vivent dans des villages aux environs de Ke-Macina et d’autres dans des zones administratives voisines, ont attaqué sept hameaux habités en grande partie par des Peuls, tuant des résidents et incendiant plusieurs maisons. Les hameaux attaqués étaient ceux de Wuro Hadji Samba, Wuro Botamkobé, Wuro Brahima Hadji, Wuro Nona, Wuro Thaté, Wuro Direbé et Sampey. Des témoins ont expliqué que les Dozos étaient armés de fusils de chasse et, pour certains, d’armes d’assaut militaires. Un habitant âgé blessé au bras par balle lors de l’attaque du village a déclaré :
Nous avons été tristes d’apprendre que le commerçant avait été assassiné, et je suis allé à son enterrement, mais malheureusement, les autorités et les Dozos nous ont ordonné de partir. Cela faisait une demi-heure que j’étais rentré chez moi quand j’ai vu s’approcher plusieurs jeunes en tenue dozo traditionnelle munis de fusils de chasse et de [fusils d’assaut] Kalachnikovs. J’en ai reconnu sept – ils étaient de mon propre village.
Sans rien dire, ils ont commencé à tirer. J’ai été frappé au bras et j’ai vu mon frère et un autre membre de ma famille s’effondrer, morts. Son fils de quatre ans a également été blessé par balle. Dans mon village, ils ont tué six personnes et en ont blessé trois… puis ils s’en sont pris au village voisin. Cela faisait très longtemps que nous vivions ensemble – comment ont-ils pu faire cela ?
Un homme d’un village situé à trois kilomètres de là et qui a également été blessé a donné une description similaire, affirmant qu’une femme et deux enfants de son village avaient été tués lors de l’attaque. Un éleveur a décrit l’enterrement de 21 victimes, dont deux avaient été brûlées vives et étaient méconnaissables :
La plupart des morts ont été enterrés le dimanche et le lundi, mais le mardi nous avons trouvé et enterré quatre autres dépouilles, dont celles d’un homme et d’une femme qui étaient morts brûlés vifs chez eux. Onze ont été enterrés dans une fosse commune à Ke-Macina, six autres dans un hameau, plus les quatre que j’ai aidé à enterrer. Certains avaient reçu des coups de fusil à bout portant, d’autres de plus loin… d’autres encore avaient été brûlés vifs.
Autres meurtres commis en guise de représailles
Depuis janvier 2017, au moins 24 personnes ont trouvé la mort dans des violences communautaires. Parmi les victimes figurent des membres des groupes ethniques peul, bambara et bozo. Les assaillants seraient des membres de groupes armés islamistes et des chasseurs traditionnels dozos.
Des témoins et des anciens des communautés bambara et peule ont déclaré que certains meurtres avaient été commis en guise de représailles suite aux violences perpétrées à Ke-Macina, tandis que d’autres meurtres auraient été commis en raison de vols de bétail de grande ampleur.
Le 18 février, des islamistes armés auraient intercepté et tué neuf commerçants—pour la plupart issus du groupe ethnique bozo— qui revenaient du marché du samedi à Niono, dans la région de Ségou. Trois personnes possédant une connaissance détaillée de l’incident ont expliqué que, vers 16 heures, plus de 20 islamistes lourdement armés, qui avaient circulé dans la zone à bord d’un pick-up Toyota beige et de plusieurs motos, avaient intercepté ces commerçants et leurs charrettes tirées par des ânes à 25 kilomètres de Niono. Les hommes armés, accusant les commerçants d’avoir été complices des meurtres de Ke-Macina, leur ont ordonné d’avouer s’ils avaient des liens quelconques avec les Dozos, puis ils les ont éloignés de la route principale, leur ont attaché les mains derrière le dos et ont tiré à chacun une balle dans la tête.
Au moins 15 autres personnes ont été tuées lors de combats entre Bambaras et Peuls relatifs à des vols de bétail. Des membres des deux communautés ont affirmé que si ces différends sont de plus en plus fréquents en raison de l’intensification de la concurrence autour des pâturages et des terres arables, ils sont aussi devenus bien plus meurtriers depuis l’apparition des groupes islamistes armés en 2015 et la prolifération des armes à feu qui s’en est suivie. Ces mêmes personnes ont déclaré que les islamistes étaient intervenus à plusieurs reprises dans des litiges pour le compte des Peuls, notamment après le meurtre d’éleveurs peuls.
Des chefs peuls ont affirmé que le 20 février ou vers cette date, un groupe de Dozos avait tué trois éleveurs peuls qui gardaient leurs vaches. Un chef dozo a déclaré à Human Rights Watch que, le 21 février, « À une vingtaine de kilomètres de Diabaly, dix membres de notre communauté ont été tués et 13 autres blessés dans une embuscade tendue par des djihadistes qui essayaient de nous prendre notre bétail… C’était une embuscade musclée – ils étaient vraiment bien armés. » Et d’ajouter : « Il y a des meurtres pratiquement tous les jours… ne serait-ce qu’hier [le 27 mars], des Bambaras ont été attaqués alors qu’ils amenaient un parent malade à l’hôpital. Deux membres de notre communauté sont morts ». Les chefs des deux communautés se sont plaints du manque de justice rendue suite aux nombreux meurtres.
Assassinats de représentants du gouvernement local
Trois dirigeants locaux de la région de Mopti – chefs du gouvernement local et chefs de village – ont été assassinés à ce jour en 2017. Dans ces trois cas, les meurtriers sont arrivés à moto et ont rapidement pris la fuite après avoir tué leurs victimes, dont deux étaient issues de l’ethnie Dogon. Si aucun groupe islamiste ne les a revendiqués, ces trois meurtres ressemblent à d’autres assassinats ciblés de personnes suspectées par des islamistes armés d’être des collaborateurs.
Le maire de Boni, Hamadoun Dicko, a été tué par balle le 18 janvier en sortant de la mosquée. Le maire de Mondoro, Souleymane Ongoiba, a également été abattu devant son domicile à Douentza, le 28 janvier. Adry Ongoiba, 72 ans, chef de la section dogon du village de Yirma, à 35 kilomètres de Boni, a été assassiné le 26 mars à son domicile. Un témoin du meurtre d’Adry a déclaré :
Vers 2h20 du matin, j’ai entendu des coups de feu et je me suis précipité dehors… J’ai vu deux hommes qui partaient en courant et, quelques instants plus tard, j’ai entendu le bruit d’une moto qui démarrait à toute allure. J’ai trouvé le chef couché sur le dos, touché par deux balles, une à la tête et l’autre à la poitrine … Cela a été la panique, les femmes se sont mises à hurler. Les gens disaient que les assaillants parlaient le pular et qu’ils avaient dit : « C’est toi que nous recherchons. » Il a été tué avec une arme automatique… les balles que l’on a trouvées ne venaient pas de fusils de chasse locaux, c’est certain.
Les forces de sécurité maliennes
Des villageois peuls et bambaras ont signalé que les forces de sécurité maliennes, qui sont chargées de la protection de tous les Maliens, ont protégé les villageois peuls vulnérables tout en semblant fermer les yeux sur les actes de violence. Plusieurs chefs peuls ont déclaré que, d’après eux, le gouvernement fournissait des armes à la milice Dozo.
Plusieurs résidents ont affirmé que suite aux incidents de violence communautaire, l’armée avait essayé d’apaiser les tensions en patrouillant dans la zone et que leur vie avait été épargnée grâce aux militaires. Deux anciens, issus de l’ethnie peule, ont déclaré à Human Rights Watch que, selon eux, un nombre bien plus important de Peuls aurait été tué si l’armée n’avait pas été déployée quelques jours après le 12 février pour empêcher d’autres meurtres. Un fonctionnaire local a déclaré : « Oui, l’armée faisait des patrouilles, mais elle ne peut pas être partout, et certains villages ont été attaqués soit juste avant, soit après son passage. »
Quelques villageois peuls ont déclaré qu’ils se sentaient à la fois protégés et parfois mis en danger par l’armée. Un homme d’un village situé près de Ke-Macina a ainsi commenté :
Le dimanche soir, nous étions sur le qui-vive ; nous avions entendu parler des hameaux incendiés et des personnes tuées. L’armée est arrivée en nous demandant comment nous allions. Nous avons répondu que pour l’instant, nous allions bien, et ils ont poursuivi leur chemin. Mais à peine une heure plus tard, les Dozos sont arrivés à moto et ont commencé à tirer, tuant trois jeunes et en blessant deux autres. Nous avons essayé de nous défendre contre les Dozos avec des armes de chasse, mais l’armée est revenue et s’est mise à nous tirer dessus. Mais plus tard, ils ont évacué les blessés vers Ke-Macina.
D’autres résidents se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles l’intervention des forces de sécurité n’avait pas été plus musclée pour arrêter la tuerie du 12 février, qui, d’après eux, a duré plusieurs heures. « L’armée n’était qu’à quelques kilomètres quand cela a eu lieu… et la détonation des fusils s’entend jusque dans la brousse », a déclaré un témoin. Un Peul a affirmé avoir averti les forces de sécurité et le gouvernement local « de la situation tendue au cimetière ». Et d’ajouter : « Dès que je suis parti, j’ai dit aux autorités : ‘La situation est tendue, il y a plus d’une centaine de Dozos et il en arrive encore d’autres, ils sont armés et parlent de vengeance… Les FAMA doivent y aller, sinon il va y avoir un problème grave’… mais ils n’ont pas réagi aussi agressivement qu’ils auraient dû le faire. La tuerie a duré de 11 heures à 16 heures ! »
Plusieurs villageois et chefs peuls se sont demandé pourquoi des membres Dozos, dont plusieurs chefs dozos, n’avaient pas été placés en détention pour être interrogés dans les jours qui ont suivi les actes de violence. « Des Dozos armés qui ont pris part à la tuerie étaient présents le jour où la délégation du gouvernement s’est rendue dans la zone pour évaluer les dégâts et tenter d’apaiser la situation », a commenté un témoin. « Ils étaient armés. Certains de ceux qui ont tué des nôtres traînaient par là… mais personne n’a été arrêté. »
Des chefs peuls se sont également demandé pourquoi l’interdiction de circuler à moto entre les villages de la région de Ségou, décrétée à la mi-février par le chef d’état-major Didier Dacko, par mesure de sécurité, ne semblait pas toujours s’appliquer aux Dozos.
Des gendarmes, des fonctionnaires de l’armée et des chefs dozos interrogés ont affirmé que l’interdiction s’appliquait à tout le monde. Cependant, plusieurs Peuls ont indiqué avoir vu à plusieurs reprises des groupes importants d’hommes armés, dont des Dozos, qui circulaient à moto dans la région de Ségou. Un jeune Peul a constaté : « Dans certains cas, les Dozos vont même jusqu’à arrêter les villageois, à leur demander leurs papiers, à fouiller les hameaux et à faire le boulot des militaires. »
Plusieurs chefs peuls ont expliqué que l’utilisation d’armes automatiques par certains Dozos suggérait que les services de sécurité maliens les soutenaient, accusation que des membres de l’armée ont catégoriquement réfutée lors de leurs entretiens avec Human Rights Watch.
Plusieurs villageois se sont dit préoccupés par la prolifération des armes, déclarant que les civils pouvaient facilement en acheter auprès des commerçants, y compris auprès de ceux qui se rendaient régulièrement en Mauritanie. Un villageois a ainsi déclaré :
L’État ne donne rien aux Dozos, sauf du riz et une aide pour les frais médicaux, mais ils aident aussi parfois les villageois peuls. Non, les Dozos et même les Peuls achètent leurs Kalachnikovs. L’État n’est pas présent alors nous le faisons tous. En général, on se les procure en Mauritanie – il n’y a pas de contrôles à la frontière – ou de douane… Nous savons comment faire pour en acheter et à qui nous adresser.
De même, un dirigeant de la jeunesse peule a déclaré :
Le prix d’une belle vache, c’est ce que coûte un Kalachnikov – environ 500 000 CFA (800 dollars US). Les gens les achètent à des commerçants qui se rendent tout le temps en Mauritanie et en Algérie – pour une raison que j’ignore, l’armée ne fouille pas toujours leurs voitures. Quand vous avez besoin d’un fusil, quelle que soit votre [ethnicité], vous passez votre commande, on vous demande d’attendre quelques jours, et puis votre marchandise est livrée.
Exactions perpétrées par les forces de sécurité maliennes
Depuis le début de 2017, Human Rights Watch a rendu compte de plusieurs exactions qui auraient été commises par des membres des forces de sécurité maliennes, dont l’exécution sommaire de trois hommes, la disparition forcée de six hommes et des sévices infligés à plusieurs personnes en détention. Ces atteintes présumées se seraient produites lors d’opérations de lutte contre le terrorisme lancées dans les régions de Ségou et Mopti.
Comparé aux années précédentes, le nombre d’allégations relatives aux exactions des forces de sécurité a connu une baisse régulière. Cependant, les autorités au sein des systèmes de justice militaire et civile n’ont guère consenti d’efforts pour enquêter ou exiger des militaires impliqués dans des atteintes visant des détenus qu’ils rendent compte de leurs actes.
Trois témoins ont déclaré que le 21 janvier, vers 6h30, des militaires qui menaient une opération dans le village de Yirma, dans la région de Mopti, avaient détenu puis exécuté trois membres de la même famille : Hamadoun Isss Diallo, 65 ans ; Amadou Hamadou Diallo, 27 ans ; et Hamadoun Boucari Diallo, 25 ans.
« Depuis chez moi, j’ai vu trois véhicules de l’armée avec des mitrailleuses et plein de militaires qui emmenaient les hommes », a déclaré l’un de ces témoins. Un autre a précisé : « Les militaires leur ont bandé les yeux et sont repartis à bord de leurs véhicules en reprenant le chemin qu’ils avaient pris à l’aller, [en direction de] Mondoro [à 26 kilomètres]. » Moins d’une demi-heure plus tard, les témoins ont déclaré avoir entendu des tirs au loin. Ils ont ensuite découvert les corps des hommes en les déterrant d’une tombe peu profonde près du village de Bamguel, à 18 kilomètres. Un témoin a expliqué qu’il avait suivi les traces du véhicule jusqu’à cet endroit où il a vu « une tombe, fraîchement creusée, recouverte de branchages et de nombreuses douilles usagées… Je suis rentré au village pour annoncer la mauvaise nouvelle ».
Les exécutions près de Yirma se sont produites à quelques kilomètres à peine du théâtre d’un incident très similaire qui avait eu lieu un mois auparavant, le 19 décembre ; des militaires avaient détenu et exécuté cinq hommes du village d’Issèye. L’un des témoins interrogés a déclaré :
Vers 11 heures du matin, dix véhicules des FAMA pleins d’hommes armés jusqu’aux dents se sont abattus sur le village. Ils ne sont pas restés longtemps. Ils ont d’abord détenu le chef du village, puis d’autres personnes. Vers 16 heures, nous avons entendu des coups de feu, et le lendemain matin, nous avons trouvé une tombe peu profonde à quelques kilomètres de là. Nous avons déterré les corps… celui du chef était au-dessus… chaque homme avait plusieurs blessures par balle. Il y avait du sang, et de nombreuses douilles usagées.
Les témoins ont déclaré avoir informé la gendarmerie de Boni de ces meurtres, mais un témoin a indiqué : « Nous n’avons connaissance d’aucune enquête… À ce jour, personne ne nous a contactés – personne n’essaie de trouver ceux qui ont assassiné des membres de notre communauté. Rendez-vous compte, en 2015, le chef a lui-même été détenu et torturé par les djihadistes, et maintenant les autorités l’ont tué. »
Human Rights Watch a aussi recueilli des témoignages sur la disparition forcée de six hommes. Des témoins ont déclaré que les forces de sécurité maliennes avaient détenuces hommes lors d’opérations menées en janvier et février. Depuis, les témoins les avaient cherchés en vain dans plusieurs centres de détention des régions de Mopti et Ségou, et même à Bamako.
Deux témoins ont expliqué qu’Ibrahim Barry, 35 ans, avait été placé en détention à Mopti le 3 février, lors d’une réunion organisée par une ONG locale. Un témoin a précisé : « Vers 10h30 du matin, deux personnes en uniforme sont entrées dans la salle avec une liste, en disant qu’elles recherchaient telle personne, qui n’était pas présente à notre réunion. Plus tard, vers 13h30, nous avons pris une pause pour déjeuner. Alors qu’Ibrahim se dirigeait vers la porte de sortie, des hommes en uniforme l’ont fait monter de force à bord d’un pick-up blanc. Depuis ce jour, personne ne l’a revu. »
Deux témoins ont déclaré que Boura Alou Diallo, 32 ans, avait été détenu près du village de Kokoli autour du 23 janvier, puis pendant deux jours au camp militaire de Mondoro. « On l’a vu attaché à un arbre près du camp pendant deux jours », a affirmé un témoin. « J’ai appris par des gens de notre communauté qu’ils avaient entendu des coups de feu dans le camp. Nous l’avons cherché partout, mais nous n’en avons pas trouvé la moindre trace depuis ce jour. »
Autour du 17 janvier, quatre membres de la même famille ont été arrêtés lors d’une opération de l’armée dans le village de Tomoyi, près de la ville de Ténenkou. Un témoin a déclaré : « Les militaires ont encerclé le village, fouillé une maison après l’autre, puis ils ont emmené quatre hommes de la même famille. Avant de partir, un officier a dit : ‘N’ayez crainte… Nous allons faire notre enquête puis nous les ramènerons.’ » Leurs noms et âges approximatifs sont : Hassan Sidibe, 53 ans ; Boubacar Sidibe, 49 ans ; Boubacar Sidibe, 30 ans ; et Yonousa Sidib, 30 ans.
Les autorités maliennes devraient enquêter en toute impartialité sur ces cas, ainsi que sur les meurtres d’Amadou Diallo et d’Amadou Dicko, le 30 mars dans le village de Konna, à 70 kilomètres de Mopti, qui auraient été perpétrés par des gendarmes. L’Agence France Presse (AFP) a cité un porte-parole de l’armée selon lequel les forces de sécurité avaient retrouvé les armes de ces hommes après qu’ils avaient tenté d’attaquer une gendarmerie à 2 heures du matin.
Cependant, des résidents locaux, dont le maire, ont affirmé que les deux hommes n’étaient pas armés à ce moment-là. Un résident a ainsi déclaré à Human Rights Watch que les deux hommes avaient été arrêtés peu après leur retour à Konna vers 23 heures. « Ils s’étaient rendus au marché de Boni pour vendre une douzaine de vaches », a expliqué le résident. « Nous les avons vus se faire arrêter après avoir acheté du pain dans une échoppe locale. Nous les connaissons… Ce sont des négociants, pas des rebelles. »
Sékou Touré, président de l’Association des jeunes de Konna et membre de la brigade de sécurité du village, a été cité par l’AFP comme ayant déclaré : « Nous connaissons tous ces deux jeunes. Ce ne sont pas des terroristes. C’est tout
On ne peut pas pardonner des crimes
pour avoir la paix il faut pardonner. je pense qu’il faut enterrer la hache de guerre. q ue de remuer les plais
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