Mali: Tombouctou, 1000 ans de rires et de larmes

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La porte cassée de la mosquée de Cheikh Sidi Yahya.
RFI

Obsession de l’explorateur français René Caillié, Tombouctou, la “Cité des 333 Saints” a connu son âge d’or et ses années de plomb. 

Tombouctou, la “perle” du Nord du Mali, a les élans et les frayeurs du captif au sortir du cachot. Entre ivresse et vertige, le reclus cligne des yeux tant la lumière du soleil l’éblouit et avance d’un pas hésitant et craintif, encore calibré par l’étroitesse de sa cellule. Il se souvient des heures de gloire comme de l’instant de la déchéance.

“La ville exquise, pure, délicieuse”

Gloire, déchéance: Tim-Buktu -le puits de la vieille Buktu- a connu souvent l’une et parfois l’autre. Enfant du pays, le lettré Es-Sadi célébrait au XVIIe siècle “la ville exquise, pure, délicieuse”, “l’illustre cité bénie, plantureuse et animée”. Tandis que dans son fameuxJournal, cité par l’historien Bernard Nantet, le pionnier René Caillié, premier Européen revenu vivant de Tombouctou, notera sous le coup du dépit que “tout, ici, respire la tristesse” (1). Etrange verdict que celui de cet explorateur singulier, fils de galérien natif des Deux-Sèvres, voyageur en guenilles ravagé par le scorbut, mais tenaillé par le désir de rallier la cité mythique. “L’atteindre ou périr”, répétait-il. Il finira par l’atteindre, le 20 avril 1828. Et périra une décennie plus tard, terrassé à 38 ans par l’épuisement et la tuberculose.

Age d’or

C’est ainsi: la métropole qu’il découvre n’a pas -loin s’en faut- l’aura qu’eut au XIVe celle de Kankan Moussa. Au retour d’un fastueux pèlerinage à La Mecque, le roi du Mali l’éleva au rang de phare de l’islam, où l’on recensait paraît-il 180 écoles coraniques et 20 000 étudiants en religion. De même, le Tombouctou de Caillié a perdu l’éclat de son âge d’or, lorsque, aux XVe et XVIe siècles, le carrefour caravanier combinait prospérité et rayonnement culturel.

Clin d’oeil de l’Histoire: durant son bref séjour -pas même deux semaines-, René Caillié fut hébergé, rappelle Bernard Nantet, par un négociant maure très fier de son arsenal. Il vit chez son logeur “beaucoup de fusils doubles français à la marque de Saint-Etienne”. Lesquels fusils, écrira-t-il encore, “sont très estimés et se vendent toujours plus chers que ceux des autres nations”. Quiconque a parcouru les ruelles de la Cité des 333 Saints depuis sa reconquête par l’alliance franco-malienne, achevée hier lundi, vous le confirmera: légionnaire ou marsouin, le soldat hexagonal et son attirail jouissent d’une cote d’enfer.

Par le passé, Tombouctou a déjà ployé sous le joug de la charia

Une plongée dans la chronique de la “perle du désert” met en lumière d’autres réminiscences, souvent ignorées. Ainsi, si la débâcle des djihadistes suscite ici un intense soulagement, et si les musulmans du cru marient piété et tolérance, Tombouctou avait déjà ployé l’échine sous le joug de la charia. Vers 1800, au lendemain de sa “guerre sainte”, Cheikou Hamadou y imposa un ordre théocratique implacable et une version rigoriste de la loi coranique, qui perdurera durant un demi-siècle. Avant que, dès 1852, le khalife El Hadj Oumar Tall déclenche en pays bambara un nouveau Djihad.

Il n’empêche: la ville, inscrite en 1988 au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, sort en partie défigurée de ces dix mois de tyrannie importée, mélange de barbarie, de bêtise et d’ignorance. Il y eut bien sûr les amputations, les flagellations, les lapidations, les “mariages forcés” -qui ne sont rien d’autre que des viols légalisés-, le bannissement de la musique, du tabac et du sport. Mais il y eut aussi ces autres mutilations: l’anéantissement de milliers de manuscrits, dont certains dataient de l’ère préislamique, et la destruction, à la houe et au burin, d’une dizaine de mausolées voués au culte de sages révérés, ces “amis de dieu” dont on invoque le concours ou la protection, qu’il s’agisse de l’enfant à naître ou de la pluie qui tarde. “Idolâtrie!”, vociféraient les saccageurs barbus et bas de plafond. Salafisme et wahhabisme, il est vrai, s’accommodent mal de la tradition soufie, qui veut par exemple qu’auprès de la tombe du maître apparaisse un cimetière où reposeront disciples et fidèles.

Peut-être Tombouctou retrouvera-t-elle un jour son lustre d’antan. Peut-être attirera-t-elle de nouveau des cohortes de touristes avides de désert, de mystiques et de mystères. Mais il lui faudra d’abord prendre le temps de panser ses plaies et de purger le poison de cette année de plomb.

lexpress.fr/

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