La crise du nord a entraîné pour la première fois la chute d’un régime politique au Mali, celui d’ATT. Le malaise général qui a suivi, le désarroi des populations devant la déconfiture de l’armée nationale, l’intervention de forces armées étrangères, les déplacements de populations consécutifs à l’invasion de djihadistes, ont fini par conférer à la crise une envergure nationale. Le choc créé par la crise et la volonté affichée du président de la république de situer les responsabilités rendent nécessaire la tenue d’assises au cours desquelles victimes, responsables présumés et témoins seront entendus, de nombreux Maliens continuant de penser que la catastrophe qui a failli emporter le pays ne doit rien au hasard. Au terme des assises, lorsque la justice aura accompli son travail d’identification des responsabilités, d’indemnisation des victimes, on mettra en œuvre les mécanismes du pardon dans le cadre d’une véritable réconciliation adossée au droit, à la morale et aux impératifs de cohésion sociale.
Réconcilier dans le respect du droit et de la morale
Le bon fonctionnement des Institutions de la république est le gage de la vitalité de la démocratie en ce qu’il garantit l’équilibre des pouvoirs, la bonne gestion des finances publiques, le respect des droits individuels et collectifs, le développement harmonieux du pays. A contrario, le dépérissement des autres institutions au profit du seul président de la république est une menace pour l’Etat de droit. Le Mali a chèrement payé le prix de ce dépérissement qui remonte assez loin même s’il n’a connu son épilogue que le 22 mars 2012. Expérience douloureuse dont il faudra protéger le pays et les générations futures. La légalité doit reprendre sa place pour assoir durablement la culture de la transparence et du résultat. Le respect du droit dans la gestion des finances publiques, l’exécution des décisions administratives, le règlement des conflits permet d’écarter les comportements opportunistes qui frustrent les plus méritants en propulsant des incompétents à des postes de responsabilité. Il est aussi un moyen efficace de moralisation de la vie publique et de préservation des équilibres sociaux. Les pratiques coutumières qui régissent encore une partie importante des relations sociales reconnaissent la propriété privée et la protègent comme elles condamnent sans équivoque les atteintes à l’intégrité et aux biens d’autrui. Le respect du droit permet enfin et surtout de donner un contenu à la politique de décentralisation. Sous la surveillance de l’Etat, plus de responsabilités et de moyens seront attribués aux collectivités locales (régions, district, cercles, communes) qui sont gérées par des organes élus au sein des populations. Cela renforce le développement local et la cohésion sociale, chaque groupe se sentant responsable de son propre destin au sein de la communauté nationale. A l’occasion de certaines crises majeures mettant à rude épreuve le tissu social, les peuples imaginent des mécanismes d’échanges plus souples en dehors du cadre législatif classique jugé trop rigide. Les résultats des consultations servent alors de matière au décideur pour la mise en œuvre d’un contrat social de gouvernance qui peut se décliner en politique sectorielle. La voix du peuple porte quelle que soit la forme sous laquelle elle s’exprime (vox populi, vox dei). Si le respect du droit et de la morale sont des impératifs pour une bonne administration de la justice, il doit tenir compte de la cohésion sociale.
Tenir compte des impératifs de cohésion sociale
Le Mali reste une grande famille dont les ramifications ont dépassé depuis longtemps les frontières géographiques du pays. C’est la raison pour laquelle y prospère une approche particulière des relations humaines qui ne se rencontre nulle part ailleurs. Le Malien ordinaire sait d’instinct que l’autre doit être respecté dans sa particularité, que dans sa relation avec lui, dans son approche de lui, la règle à observer est la prudence pour ne pas avoir à regretter le mot de trop, l’attitude qui blesse. Il se sent lié aux autres par des fils invisibles et, comme tel, soumis à un certain nombre de codes qu’il doit éviter de transgresser. Ce souci du prochain se rencontre au sein de toutes les communautés du pays qui ont tissé des liens souvent multiséculaires, bases de leur coexistence pacifique. Et plus on va des zones urbaines vers les campagnes, plus ce sentiment est développé. C’est le fruit d’un long et riche protocole dont l’origine remonte certainement à « Kurukan fuga », protocole entretenu et enrichi au cours des siècles grâce à l’œuvre d’hommes et de femmes qui sont restés dignes de leurs illustres devanciers. C’est cela l’exception malienne ! Dans ces conditions, obtenir le pardon et la réconciliation après la vérité et la justice restent des objectifs largement à la portée des héritiers de « Kurukan fuga ». Une fois le processus de la réconciliation engagé, la nouvelle gouvernance pourra se poursuivre dans la paix des cœurs et des esprits, en s’appuyant davantage sur la prévention des conflits à travers l’adoption d’un code de valeurs sous la forme d’un engagement des responsables politiques, administratifs, religieux, coutumiers à respecter en toutes circonstances le bien public, la propriété privée, l’équité sociale, l’autorité légale, le dialogue citoyen et le développement responsable du territoire. Dès lors, l’adhésion des populations aux politiques de développement du pays et leur volonté de vivre pacifiquement dans la république (res publica) seront plus faciles à obtenir. En tout état de cause, la république du Mali de part son histoire, son peuplement et sa situation géographique a une vocation naturelle à la paix. Elle ne peut s’attaquer à aucune république voisine sans s’attaquer à une partie d’elle-même comme aucune république voisine du Mali ne peut l’attaquer sans s’attaquer à une partie de sa propre population. C’est une très grande bénédiction ! Pourquoi ne pas en profiter pour taire les querelles de clocher et engager résolument le pays sur la voie du développement ?
La véritable réconciliation se nourrit de vérité, de justice et de pardon. Dans la tragédie malienne, il y a plusieurs catégories d’acteurs : des donneurs d’ordre, des bourreaux, des collabos, des complices, de nombreuses victimes à travers tout le pays et même à l’extérieur. Au nord précisément, des femmes et des hommes sont morts violentés avant d’être tués, des sévices corporels allant jusqu’à l’amputation de membres ont été infligés, les populations ont connu la peur, l’humiliation, la faim et la soif du fait d’illuminés qui ont violé leur intimité et saccagé des biens publics. Toutefois, si les actes ont été perpétrés au nord, les responsables eux étaient au sud, bien à l’abri avec femmes et enfants. Ceux qui ont souffert dans leur chair et dans leur âme ont besoin de repentance avant de pardonner. Par contre les morts eux, n’auront plus droit à la parole sur la terre des hommes. Tout le Mali porte sur la conscience le poids de leurs douleurs et de leurs souffrances infinies. C’est pourquoi, le peuple malien a lui aussi besoin de savoir pourquoi il a failli être réduit à l’esclavage pendant qu’il vaquait tranquillement à ses occupations, convaincu que le pays était entre de bonnes mains. C’est la condition pour que plus jamais le peuple ne soit amené à confier son sort à des apprentis sorciers qui l’exposeraient à toutes les aventures, à tous les risques.
Mahamadou CAMARA