Jusqu’à Gao pour se rendre au chevet des forces françaises de Barkhane, sans passer par Bamako, la capitale malienne… Obligeant dès lors le président malien, déjà tant critiqué dans l’opinion nationale pour ses multiples voyages, à se déplacer, lui, pour l’accueillir.
C’est la couleuvre que le nouveau manitou français, Emmanuel Macron, a fait avaler à tout un peuple dont il a sans doute froissé l’orgueil. N’en déplaise à ceux qui, en haut lieu, essayent de faire bonne contenance en objectant que la visite vaut plus que les petits détails qui pleuvent en provenance du «Hassidistan», ces gens qui, au Mali, osent critiquer le pouvoir en place.
Et on reste bouche bée de stupéfaction en constatant que l’équipe de communication du nouveau président français n’a pas pris la peine de mesurer qu’en se rendant à Gao, sans passer par Bamako, il allait se mettre à dos une partie de l’opinion publique malienne, de moins en moins complexée et qui a tourné, en attendant que ses dirigeants lui emboîte le pas, la page de ce qu’elle considère comme de la condescendance, du rabaissement. Qu’on se le dise! C’est ce qui caractérisait- et caractérise toujours- les relations entre la France et les pays de son ancien pré-carré!
Mais celui qui se présente comme l’homme de la rupture n’avait pas du tout l’air embarrassé lorsqu’il se promenait sur la piste de la base de l’opération Barkhane où, avec des mots qui jaillissaient en d’étranges giclées, il a déclaré qu’il allait continuer à mener la « guerre contre le terrorisme ».
Le message ne souffre d’aucune ambiguïté : le contre-terrorisme musclé va se poursuivre dans le désert malien, où le décompte macabre se poursuit « en même temps », celui des morts issus des rangs des forces françaises, maliennes, voire onusiennes.
Autrement dit, Macron a chanté la même vieille chanson que son mentor, feu François Hollande, dont il était le secrétaire général à l’Elysée au moment où était lancée l’opération militaire Serval, en janvier 2013. Mais sont-ce les bonnes paroles qu’il a poussées hors de sa bouche ? Pas si sûr, car au Sahel où l’interminable crise malienne est considérée comme le cœur du problème, des voix discordantes émergent et regardent le contre-terrorisme pratiqué par les troupes françaises – et maliennes aussi- comme une erreur stratégique. Ces voix- des chercheurs, experts et diplomates- s’opposent, de plus en plus audibles, à ceux qui ne savent pas que l’option militaire n’a pas de lendemain dans une région devenue une poudrière. Et, s’il y a aujourd’hui un constat abyssal, qui recueille de plus en plus d’adhésions, c’est qu’au Mali la situation sécuritaire a moins évolué qu’on s’y attendait malgré la présence de Barkhane.
Au contraire. La menace terroriste étend son horizon au centre du pays, déjà labouré par les conflits inter-communautaires, les révoltes contre une élite traditionnelle devenue archaïque. Et Emmanuel Macron l’a compris, dont le déplacement avait aussi un enjeu économique.
Mais il reste que la France compte donner la priorité à l’option militaire, malgré ce constat patent d’enlisement de l’opération Barkhane. Macron marche donc avec la vieille vision des choses, celle d’un système dans la gueule duquel il a pénétré. Car en France, comme partout ou presque, ce sont les hommes qui changent, pas le système.
Macron, pour le Mali, c’est en définitive un peu comme du réchauffé ! Et la déception est bien au rendez-vous: il n’y a rien à attendre et il n’y a pas de rupture.
Cela, à l’énorme détriment des Maliens, dont une partie, quoi que minoritaire et de plus en plus silencieuse, appelle discrètement à négocier avec les jihadistes nationaux, comme Iyad Ag Ghaly et Hamadou Koufa, dont il est difficile de dire pour l’instant s’ils voudront discuter ou non. Mais l’intention a le mérite de démontrer que les Maliens comprennent mieux eux-mêmes que quiconque la situation dans laquelle ils sont embourbés pour de longues années. Cela, Macron ne le sait pas.
Et on est tétanisé de colère en remarquant que jusqu’ici, personne ne semble avoir la solution, pas même la communauté internationale, qui n’a qu’un seul objectif: contenir le conflit dans le Sahel, et l’empêcher d’exploser.
Les Maliens ont certainement compris, aujourd’hui, qu’eux-mêmes et leurs dirigeants ne peuvent rien dans leur propre pays, tant qu’il sera sous tutelle.
Boubacar Sangaré