Mali : les mots de la guerre (partie 1)

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Soldats à l’aéroport de Bamako (photo d’illustration). © Jérôme Delay/AP/Sipa

La guerre au Mali est arrivée par surprise. Nous en avons relevé quelques mots-clés pour mieux comprendre et décoder les discours.

A comme armée de terre

Le 31 décembre, l’armée de terre terminait les opérations de retrait de la majorité de ses troupes présentes en Afghanistan. Le 11 janvier, à Mopti, elle stoppait l’avancée des djihadistes qui se dirigeaient vers Bamako. Puis, en moins de trois semaines, elle a fait preuve d’un savoir-faire exceptionnel en déployant sur le terrain une palette de techniques coordonnées que seules les plus grandes armées maîtrisent : départ immédiat sur alerte (cinq heures) de la première unité Guépard. Déploiement de colonnes blindées sur plusieurs centaines de kilomètres, d’Abidjan à Bamako, puis Sévaré. Parachutages de nuit. Coordination des forces spéciales et des troupes “régulières”. Coordination des feux avec l’armée de l’air. Sécurisation rapide des populations, etc. Selon Jean-Yves Le Drian, le dispositif français compte actuellement 3 500 soldats au Mali. Il comptera rapidement 600 hommes supplémentaires et leur matériel, dont des véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI), débarqués lundi à Dakar par le Dixmude (troisième bâtiment de projection et de commandement de type Mistral). 270 autres soldats doivent rejoindre ensuite le Mali. Ce qui fera un total de 4 400 hommes environ.

B comme bilan

Les Français affirment ne pas disposer de bilan exact des pertes subies par leurs adversaires ni des éventuelles pertes civiles. Ils parlent de “200 à 300 pertes ennemies”. Mais aucune source indépendante ni aucune communication des djihadistes ne sont en mesure de corroborer, de confirmer ou de démentir ces chiffres, qui doivent donc être pris avec une grande prudence. Côté français, un seul décès à déplorer, celui d’un pilote d’hélicoptère Gazelle, le chef de bataillon Boiteux. Dans une intervention sur France Inter le 31 janvier, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian s’est offusqué que “l’on ne dise pas que les djihadistes ont subi de lourdes pertes [lors de] frappes très nombreuses qui ont touché à la fois du matériel et des hommes”. Il n’a pour autant donné aucun bilan, même si les armées, et donc le ministre, disposent de chiffres très précis.

C comme cadavres

Les Français ont pris grand soin de ne pas permettre la diffusion d’images des combats, ni surtout de cadavres de djihadistes. Elles existent pourtant et circulent au ministère de la Défense et à l’Élysée. Elles n’ont pas été diffusées par l’Ecpad (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense), dont des membres accompagnent les forces spéciales, et les photographes de presse sont souvent arrivés trop tard sur les zones de combat, d’où les dépouilles de combattants avaient été enlevées. La guerre ne doit pas être montrée dans sa réalité, seulement dans les formes choisies par les autorités militaires, suivies sur ce point par les politiques. Les images de la guerre sont aseptisées, mais aussi comptées : celles des frappes aériennes sont parcimonieuses afin, explique-t-on au ministère de la Défense, de “ne pas accoutumer le public à l’idée que la guerre serait propre et sans risque. Il faut l’habituer à la présence de forces terrestres au sol.” L’absence d’images a évidemment une double fonction : laisser croire aux Français que cette guerre serait un genre d’opération humanitaire avec, certes, quelques effets létaux, malheureusement inévitables, mais sans intérêt pour la compréhension du conflit. L’autre raison est, bien sûr, de ne pas laisser voir à l’opinion publique arabe les effets mortels de l’intervention.

D comme drone

Petit rayon d’action, petite santé mécanique, petite puissance : deux drones français Harfang ont été envoyés au Sahel. Cet équipement est devenu indispensable, mais les Français avaient choisi de favoriser la composante pilotée. Pour des raisons de protection d’une industrie nationale qui a failli à développer des systèmes performants, le rattrapage du retard se fait attendre. Les Américains ont accepté de mettre à la disposition des Français un engin énorme aux capacités stratégiques, le Global Hawk, qui sera fort utile au-dessus du désert. Mais les Français n’envisagent pas de se doter, même à long terme, d’une telle capacité que seuls les Allemands ont acquise avec leur Euro Hawk.

E comme Europe

Dans l’affaire malienne, l’Europe s’est montrée en dessous de tout. Notre continent et l’Afrique sont pourtant indissolublement liés. Les routes de la drogue, de l’immigration clandestine et de tous les trafics imaginables passent par le Sahel. Que le Mali explose en tombant dans les mains de djihadistes et une crise majeure n’aurait pas épargné l’Europe. Au lieu d’aider les Français dans une guerre nécessaire, les Européens se sont contentés de prêter quelques avions et d’annoncer l’envoi d’une poignée de formateurs afin de mettre sur pied une armée malienne digne de ce nom. L’affaire se discute depuis juin 2012. Il n’est pas exclu que les premiers éléments arrivent au Mali d’ici peu…

F comme forces spéciales

Toutes les composantes des forces spéciales françaises sont présentes sur le sol malien. Des éléments de la BFST (brigade des forces spéciales terre), des commandos de marine et de l’armée de l’air ainsi que des hélicoptères et des avions de transport conduisent une guerre faite de coups de poing successifs, qui ont d’abord permis le coup d’arrêt de Mopti aux colonnes descendant sur Bamako, puis les prises des aéroports et des points névralgiques de Gao, Tombouctou et Kidal. Ces forces légères mais très mobiles, très aguerries et sans doute les mieux équipées de l’armée française sont présentes dans le Sahel depuis au moins trois ans. Elles connaissent bien le terrain, où elles avaient déjà conduit plusieurs opérations avant cette guerre.

H comme hétéroclite

Pour l’instant, pas de problème trop visible entre les différents acteurs de la guerre au Mali. Mais cela ne va pas durer ! À ce stade, aucune autorité politique ou militaire n’a été désignée pour coordonner – on ne parle même pas de commander ! – la multiplicité des forces présentes ou à venir sur le terrain malien. La force Serval est exclusivement française. C’est elle qui conduit la guerre, à la demande du président malien, mais sous la seule autorité du président de la République française, chef des armées, François Hollande.

Deuxième élément : l’armée malienne. Est-elle sous le commandement du président de la République Dioncounda Traoré, ou sous celui du chef des putschistes qui ont pris le pouvoir l’an dernier, le capitaine Amadou Haya Sanogo ? Les Français, qui jouent la carte Traoré, ont tant confiance dans l’armée malienne qu’ils ont fourni au président des gardes du corps envoyés par le GIGN. Quoi qu’il en soit, l’armée malienne n’est pas en état de combattre quelque force organisée que ce soit.

Troisième entité autonome : la Misma (mission internationale de soutien au Mali). Dirigée par un général nigérian anglophone, Shehu Usman Abdulkadir, elle comptera des Nigérians et des Sénégalais, des Togolais et des Béninois, qui n’ont jamais combattu ensemble. Un officier français souligne que “ce sont justement les troupes qui posent des problèmes de comportement et de discipline dans les missions de maintien de la paix”. Ça promet !

Mais ce n’est pas tout… Aux Français, aux Maliens, aux troupes de la Misma, toutes soumises à leurs autorités propres, s’ajoutent les 250 Européens de l’EUTM qui doivent former l’armée malienne, et seront commandés par le général français Lecointre, qui aura sous ses ordres un splendide patchwork : 40 Espagnols, 20 Polonais, des Lituaniens, des Tchèques, des Suédois. Mais pas les Anglais, qui formeront les Maliens à part. C’est la réinvention de la tour de Babel !

Le Point.fr – Publié le 31/01/2013 à 18:38

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1 commentaire

  1. je dirai que les européens font preuve de leur puissance. merci à la France et ses alliés surtout le pays de l’oncle same (Amérique)

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