Les atrocités commises par les groupes armés islamistes et les réponses de l’armée sèment la peur
(Dakar, le 19 février 2016) – Les atrocités commises par des groupes armés islamistes au Mali et les ripostes abusives des forces de sécurité maliennes se sont étendues dans le sud du pays au cours de l’année passée, exposant davantage de civils aux risques liés à ce conflit, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les groupes islamistes ont menacé, violé et tué des civils. Les forces de sécurité maliennes ont mené des opérations militaires à l’issue desquelles ont été perpétrés des détentions arbitraires et des actes de torture. Les deux camps ont commis des abus depuis le début de l’année 2016.
L’intervention militaire conduite par la France en 2013, suivie d’opérations visant à chasser les forces islamistes qui continuent à ce jour, ainsi que l’accord de paix de juin 2015 entre le gouvernement et plusieurs groupes armés, ont permis d’établir une certaine stabilité dans le nord du pays. Mais au même moment, des groupes armés islamistes ont mené des opérations plus loin dans le sud du Mali.
« Les groupes armés islamistes au Mali ont tué, violé et dépouillé des civils, tandis que les forces de sécurité ont répondu en maltraitant sévèrement de nombreuses personnes qu’elles ont arrêtées », a déclaré Corinne Dufka, directrice de recherches sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « La propagation troublante de la violence et des abus vers le sud du Malimet en danger encore plus de civils. »
En février, en mars et en décembre 2015, Human Rights Watch a interrogé plus de 130 victimes et témoins d’abus dans le centre et le sud du Mali, des chefs de communautés représentant les ethnies Peul et Dogon, des personnes détenues par le gouvernement, des représentants des gouvernements locaux, des services de sécurité et du ministère de la Justice, des diplomates et des représentants des Nations Unies, ainsi que des leaders religieux et communautaires. Les constats font suite à de précédentes recherches menées par Human Rights Watch au Mali depuis 2012.
Les groupes armés islamistes impliqués dans des abus comprennent Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Al-Mourabitoune et le Front de libération du Macina. En 2015, ces groupes ont illégalement tué au moins 44 civils. Parmi ces victimes se trouvaient des civils exécutés en détention, dont un certain nombre étaient accusés de fournir des renseignements à l’armée, les civils tués pendant les attaques d’une discothèque et d’un hôtel dans la capitale, Bamako, et lors d’une attaque contre la ville-garnison de Sévaré.
Human Rights Watch a documenté les meurtres s’apparentant à des exécutions de 19 hommes par les groupes armés islamistes opérant dans le centre et le sud du Mali en 2015. Tous ces meurtres ont eu lieu dans les régions de Ségou et Mopti. Des résidents d’Isseyé ont décrit avoir vu des combattants islamistes arrêter un homme qu’ils accusaient de fournir des informations à l’armée malienne le 23 décembre ; trois jours plus tard, « au réveil, les villageois ont trouvé sa tête qui avait été déposée devant sa boutique », a raconté un des résidents. En octobre, des islamistes ont pénétré de force dans la maison du maire adjoint de Douna-Pen et l’ont assassiné devant sa famille. En août, des combattants ont violé quatre femmes dans un hameau entre Bandiagara et Sévaré. Des témoins ont décrit l’exécution de six personnes en juillet par des combattants islamistes près du village de Niangassadiou.
Les groupes armés islamistes utilisaient régulièrement les rassemblements publics et les SMS sur les téléphones portables pour dissuader sous la menace la population locale de collaborer avec le gouvernement, les forces françaises ou la mission de maintien de la paix de l’ONU. Des chefs de communauté ont indiqué que les groupes semblaient exploiter des ressentiments de longue date entre les groupes ethniques et contre le gouvernement pour marquer des points auprès des populations locales.
Les forces gouvernementales ont mené des opérations militaires contre les groupes armés islamistes qui ont fréquemment débouché sur des arrestations arbitraires, des mauvais traitements et des actes de torture. Les Forces armées maliennes (FAMA) ont souvent été impliquées dans de graves abus, prenant pour cible des civils des groupes ethniques peul et dogon. Ces abus ont généralement cessé après que les militaires ont remis les détenus aux mains des gendarmes.
Parmi les cas décrits à Human Rights Watch : une dizaine d’hommes peuls, y compris un chef local âgé de 55 ans, qui ont été ligotés pieds et mains derrière le dos, suspendus à un poteau et sévèrement battus à la base militaire de Nampala ; un berger de 60 ans qui a perdu plusieurs dents après qu’un militaire l’a frappé au visage avec son fusil ; et la disparition forcée et l’apparente exécution d’un berger de 47 ans par des militaires dans la région de Ségou en juillet. L’armée a visiblement déployé peu d’efforts pour enquêter sur les militaires impliqués dans ces violations, y compris sur les officiers qui ont participé.
Les abus commis par les deux camps se sont poursuivis en 2016. Le 7 février, des islamistes ont tué Abdoulaye Hama Dicko à Boni, près de Douentza. Le 8 janvier, des militaires auraient exécuté sommairement deux hommes peuls arrêtés près de Karena.
Toutes les parties au conflit armé malien sont soumises à l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et au droit de la guerre coutumier, qui prévoient le traitement humain des combattants capturés et des civils en détention. L’article 3 commun interdit les exécutions sommaires, la torture et les autres traitements cruels, ainsi que le viol et les autres violences sexuelles. Les civils devraient être relâchés à moins qu’ils ne soient inculpés rapidement pour une infraction dûment reconnue et devraient recevoir la visite des membres de leur famille et l’aide d’un avocat.
Les groupes armés islamistes et les forces gouvernementales devraient mettre un terme aux abus et aux menaces à l’encontre des civils et le gouvernement devrait mener des enquêtes et traduire en justice les membres des forces de sécurité impliqués dans de graves violations des droits, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch.