Il est difficile de ne pas convenir que cette visite n’est pas vide d’intérêt, puisque la région de Mopti a aussi subi les conséquences de la guerre lancée contre les terro-djihadistes, les faussaires de la foi que sont AQMI, MUJAO et ANSARDINE, qui ont semé une terreur stalinienne dans les régions du Nord du Mali. Ensuite, parce que c’est à Kona que l’armée malienne, aidée par les soldats de l’armée bleu-blanc-rouge, a stoppé l’avancée des ennemis au prix de la vie d’un nombre incroyable de ses soldats, la DIRPA étant jusqu’à nos jours incapable de fournir un bilan. On ne va pas refaire l’histoire. Hommage rendu aux soldats de Sevaré, rénovation de l’hôpital Sominé Dolo où de nombreux blessés de la bataille de Kona ont été pris en charge, dépôt de gerbes de fleurs au monument élevé à la mémoire de tous les soldats tombés au champ d’honneur, défilé militaire, inauguration du lycée à Bandiagara, et des centrales électriques hybrides à Bankass et Koro. Voilà les éléments constituants de cette visite. Et on voit sans mal qu’il y avait vraiment de quoi jubiler pour les populations de Mopti.
Cette visite avait un sens pour ces populations dans l’esprit desquelles le souvenir de la bataille de Kona reste vif. Les regarder de travers en train de danser, chanter, crier « IBK ! IBK ! IBK ! » reviendrait d’abord à nier le droit à la reconnaissance à ceux et celles dont le fils, le mari, le père… est tombé sous les balles ennemies, ensuite à cracher sur leur joie d’avoir un lycée et des centrales électriques hybrides…
Cependant, il faudrait bien se garder d’abonder dans le même sens que ceux qui n’ont pas trouvé à redire, quelques soient leurs raisons, et qui sont prompts à montrer les griffes pour condamner toute voix discordante. Même le dernier des naïfs ne pouvait se défendre de s’interroger: pourquoi une visite à Mopti, et non à Kidal, Tombouctou ou Gao où les populations n’en finissent pas de hurler à l’abandon de la part du régime de Bamako ? C’est vrai, la réponse n’est pas banale. Surtout que, dans le contexte actuel, les susceptibilités sont, pour ne pas dire autre chose, grandes, et que la réconciliation nationale est devenue le sempiternel refrain qu’on fredonne à tout propos et en tout lieu…
« IBK est à Mopti ? Bah, on ne le savait même pas ! Nous, on a plus important à faire que ça », celui qui disait cela, depuis Gao, à l’autre bout du fil, est tout sauf déconnecté de l’actualité, et était mieux au courant que quiconque de la visite d’IBK à Mopti. Seulement, il exprime un sentiment qui n’est pas anodin. Pour qui s’intéresse aux affaires maliennes, il n’est pas besoin de consulter une boule de cristal pour savoir que la situation à Tombouctou, Gao et Kidal reste encore et toujours sérieuse, avec les tirs d’obus, le retour des djihadistes, la gestion d’une rare opacité de la situation à Kidal et, surtout, le blocage dans lequel se trouve les négociations entre le gouvernement malien, les groupes rebelles armés (MNLA, MAA, HCUA) et les groupes d’autodéfense (Ganda Izo, Ganda Koï). C’est comme le calme avant la tempête. Le dire, l’écrire, ce n’est ni être un oiseau de mauvais augure ni jouer à la Cassandre. C’est plutôt faire preuve de prudence.
Un Etat encore faible
Six mois après le plébiscite d’IBK en qui beaucoup voyaient – et voient toujours- l’homme providentiel, la situation dans les régions du Nord du pays n’a pas connu d’embellie. Surtout à Kidal, d’où est partie la rébellion MNLA qui a projeté le Mali dans les crises sécuritaire et institutionnelle. Mais il y a plus étonnant, quand on sait que les routes de cette région semblent interdites aux nouvelles autorités maliennes, malgré la présence de Serval et de la Minusuma. On se souvient que même le premier ministre, Oumar Tatam Ly, n’avait pu y mettre le pied en novembre dernier… C’est une région malfamée, où dorment tranquillement les bandits de tout acabit, les terroristes qu’il est vraiment difficile de distinguer des groupes rebelles armés. De quoi, en tous cas, renforcer le sentiment que le Mali est un pays coupé en deux, compartimenté, avec une partie du Nord qui semble hors du champ de contrôle du pouvoir central. Or, il est clair que les Maliens ont voté, massivement, pour restaurer l’ordre politique et l’Etat dont on dit qu’il n’a jamais été solide. Il ne fait aucun doute que ce qui se passe à Kidal sert de baromètre à la faiblesse du pouvoir en place, une faiblesse masquée mais réelle qui n’échappe pas un seul instant aux populations de Tombouctou, de Gao. Depuis le temps où ils vivaient sous la coupe réglée des faussaires de la foi, les habitants restés sur place se disent abandonnés par le pouvoir de Bamako. Rien n’a d’ailleurs encore été fait pour leur prouver le contraire.
Parmi les moins puissantes plumes de la presse locale, certaines n’ont pas résisté à dire qu’il eut été symbolique, six mois après son investiture, qu’IBK se rende dans l’une de ces trois régions pour faire oublier aux populations le sentiment qu’ils ont d’être séparées du sud du pays par un immense océan.
Pour parler de réconciliation, ce n’est pas à Mopti…
Dans son numéro du 17 mars, Le prétoire, en parlant de cette visite du président Keïta, a écrit :
« Au cours de cette tournée, le chef de l’Etat parlera sans cesse de dialogue et de réconciliation, termes à la mode et pour lesquels il a créé un ministère aussi inutile que factice. Mais pour se faire entendre, il serait mieux inspiré de s’adresser aux acteurs concernés, et ce n’est sans doute pas dans la « Venise » malienne qu’il va rencontrer les protagonistes du Nord, pas plus qu’il n’a pu les rencontrer tous à Bamako, lors des ateliers de la communauté internationale… »
C’est là un constat, des plus clairs, qui va recueillir l’adhésion de plus d’un dans l’opinion publique nationale, et même au-delà. C’est connu, à propos du dialogue et de la réconciliation nationale, beaucoup a été fait et dit mais il semble toujours que ce n’est pas assez. D’autres actions concrètes sont attendues de la part du pouvoir de Bamako. La plus symbolique serait la visite d’IBK dans l’une de ces 3 régions où se trouvent les vrais protagonistes. C’est là aussi qu’il apparaît nécessaire de poser la question de savoir pourquoi IBK tient à ce que les négociations se déroulent à Bamako, et pas à Tombouctou, Gao voire Kidal.
Boubacar Sangaré