Mali : des services de renseignement à reconstruire

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Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis. Deuxième volet d’une série sur l’histoire militaire récente du Mali : l’état des lieux des services de renseignement en 2012, année de la chute d’ATT.

À la veille de la crise de 2012, le service de renseignement stratégique de Bamako, la Direction générale de la sécurité d’Etat (DGSE ; à ne pas confondre avec la Direction générale de la sécurité extérieure française), dispose de nombreuses sources au sein des communautés nomades. Si, naturellement, peu d’informations sont disponibles, il apparaît que ces sources ont plus ou moins bien relayé le risque d’une nouvelle rébellion. Mais même si le danger d’une rébellion a certainement été signalé, son ampleur potentielle n’a pas été appréhendée.

Pourtant, la DGSE a sans doute aussi bénéficié de mises en garde du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) algérien, plus précisément de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE), organe de la DRS qui chapeaute les antennes présentes dans les représentations diplomatiques à l’étranger ainsi que les officiers de renseignement qui en dépendent.

Les liens entre les services algériens et maliens se sont renforcés dès le début des années 1990 : la guerre civile commence alors pour Alger, avec des membres du Groupe islamique armé (GIA) qui ne tardent pas à faire du Sahara un sanctuaire et une zone d’approvisionnement en armes, tandis que dans le même temps, Bamako affronte une rébellion nomade qui prend de l’ampleur de l’été 1990 à la fin de 1991.

Iyad Ag Ghali se rapproche

Liens qui restent étroit tout au long des années 1990 : à n’en pas douter, la DDSE algérienne a ses entrées auprès de la DGSE malienne, garde un œil sur ses activités en rapport avec le processus de paix avec les Touaregs, d’abord sous l’égide du général Saidi Fodil, puis à partir de 1994 sous l’autorité du général Hassan Bendjelti auquel succède finalement le général Rachid Laalali, alias Attafi. À noter aussi que l’attention épisodique portée par Kaddafi à la question touarègue fait que le Mathaba al’Tauriya al’Alamiya, office de la Sécurité extérieure libyen, entretient lui aussi des relations avec son homologue de Bamako.

C’est durant cette période, et très probablement via la DDSE, que Iyad Ag Ghali se rapproche de Bamako et que son nom trouve dès lors sa place dans les carnets d’adresses des responsables de la DGSE malienne. En conséquence de quoi, peu après, il œuvrera en tant que médiateur pour la libération d’otages occidentaux kidnappés par les Algériens du roupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC ; mouvement issu du GIA). Époque trouble qui voit la DGSE française, mais aussi le Bundesnachrichtendienst (BND) allemand prendre langue avec la DGSE malienne que dirige alors (de 1994 à 2002) l’ex-journaliste Soumeylou Boubèye Maïga. Quelques années plus tard, l’homme deviendra le dernier ministre des Affaires étrangères de l’ère ATT.

Suivent également, à la fin des années 1990 et dans le courant des années 2000 la Central Intelligence Agency (CIA) et la Drug Enforcement Administration (DEA), la première se préoccupant, dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, des salafistes qui s’implantent toujours plus au Sahel, la seconde s’intéressant aux trafics de drogue qui transitent dans la région depuis la Colombie via les ports du golfe de Guinée.

Méfiance de la CIA

Comme dans la plupart de ses représentations diplomatiques, la CIA dispose d’une importante antenne à Bamako, d’où les Américains gèrent collecte d’informations et opérations clandestines contre les jihadistes. Ils semblent ne pas toujours coopérer avec les services de renseignements maliens, par manque de confiance – attitude qui n’est pas sans fondement – quant leur probité et à leur efficacité. En 2004, le Mali intègre, via sa DGSE, le Comité intergouvernemental des services de sécurité africains (Cissa) au sein duquel les responsables du service malien peuvent échanger avec ceux des pays de l’Union africaine.

Bien que née le 1er mars 1989, et donc relativement jeune, la DGSE malienne a derrière elle un solide « vécu » : depuis les rébellions touarègues jusqu’à la lutte contre les terroristes algériens en passant par celle contre les trafiquants et bandits divers… Inévitablement, ses personnels sont confrontés à des réseaux où transitent beaucoup d’argent sale d’où des suspicions de corruption et de complicité qui surgissent à plusieurs reprises, par exemple lors de l’assassinat du lieutenant-colonel Lamana Ould Bou, tué chez lui le 11 juin 2009 par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

Le palmarès de l’officier est la hauteur des controverses qui le ciblent : à ses succès contre les terroristes font écho de forts soupçons de corruption et d’accointance avec ces mêmes terroristes… À sa décharge, les activités de renseignement dans un contexte « chaud » comme l’est celui du Mali ne favorisent pas l’irréprochabilité des méthodes.

“Boeing de la coke”

Cinq mois plus tard survient l’affaire du Boeing d’ « Air Cocaïne » : un appareil ayant acheminé plusieurs tonnes de drogue jusque dans le désert malien, et dont l’épave est découverte le 2 novembre 2009. Toujours la même année, le chef de la Direction de la sécurité militaire (DSM), le colonel Goita, est suspecté d’être impliqué dans un trafic de blanchiment de faux dollars… Le 28 février 2011, la DGSE défraie à nouveau la chronique : Béchir Sinoun, auteur d’une tentative d’attentat à la bonbonne de gaz contre l’ambassade de France de Bamako, le 5 janvier 2010, parvient à s’évader des locaux de la Sécurité d’État, entre deux interrogatoires ! Le DG, le colonel Mamy Coulibaly, est alors démis de ses fonctions le 1er mars 2011 ; il cède sa place à son adjoint, le contrôleur général de police Hildebert Traoré.

La piètre opinion qu’ont les Maliens de leurs services de renseignement, et tout spécialement de la DGSE, se nourrit de ces suspicions et scandales, mais aussi d’éléments plus concrets : le manque de discrétion de nombreux officiers, une corruption avérée, une propension au racket et aux activités illicites… Réputation sulfureuse d’un service qu’illustre encore l’affaire d’Abdallah Senoussi, chef de la sécurité intérieure de Kaddafi : détenteur d’un faux passeport malien, il est arrêté en Mauritanie le 17 mars 2012… D’aucuns estiment que la DGSE malienne aurait pu aider le Libyen, alors qu’il est pourtant recherché, notamment par Interpol.

Enfin, avec le coup d’État du capitaine Sanogo, le 22 mars 2012, c’est un des hommes-liges de ce dernier qui est placé à la tête de la DGSE : Sidi Alassane Touré, ex-chef de la DSM…

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08/04/2013 à 10h:02 Laurent Touchard
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