14 jan 2012 (AFP) – A Tombouctou, mythique ville du nord malien où des touristes ont été enlevés et un tué en novembre par Al-Qaïda, des milliers de personnes – dont des Occidentaux – ont défié les consignes sécuritaires… le temps d’un festival sur les dunes avec la rockstar Bono.
"Je suis là parce que d’abord j’aime le désert", dit Kateely, une sémillante Américaine parmi les quelques dizaines de touristes ayant bravé les recommandations de leurs pays à éviter cette région du vaste désert malien affecté par les activités d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
"Ensuite", dit-elle, "ne pas venir" à Tombouctou, "c’est isoler davantage"
la zone.
Nuit de vendredi à samedi. Le "Festival au désert", rendez-vous culturel annuel depuis dix ans, est à son deuxième jour. Le thermomètre qui affiche 12 degrés Celsius n’a pas découragé les spectateurs.
En chèche, manteau, veste ou chaussettes doublées sous les sandales, ils sont environ 3.000, massés autour de la scène: une estrade dressée au milieu nde quatre dunes de sable ou défilent pendant trois jours des artistes maliens, nigériens, mauritaniens, soudanais, indiens, canadiens…
Cela fait déjà une heure que se déroule le concert lorsque les projecteurs s’affolent et qu’une clameur s’élève. C’est Bono, leader du groupe U2 et invité-vedette, qui arrive. Tout de noir vêtu, coup de rein à gauche, puis à droite, l’Irlandais lève la main vers les spectateurs et hurle "Nous sommes tous ici des frères!", déclenchant l’hystérie de jeunes filles qui tentent de monter sur scène, sans succès: ses quatre gardes du corps veillent, tout comme le discret dispositif de sécurité encadrant l’évènement.
Le public, debout, applaudit à tout rompre le rocker, qui est rejoint sur scène par le groupe malien Tinariwen, composé de Touaregs, que certains surnomment "la voix des déserts".
Sa prestation finie, Bono s’éclipse sur d’enthousiastes "merci! merci"! de la foule. "Il est arrivé (à Tombouctou) malgré tout ce qu’on dit sur la sécurité ici. Nous n’oublierons jamais ce qu’il a fait", lance le musicien malien Bassékou Kouyaté.
Fin novembre, cinq Occidentaux ont été enlevés dans le nord du Mali, dont trois à Tombouctou. Un autre y a été tué en tentant de résister à ses ravisseurs.
Les rapts et le meurtre ont été revendiqués par Aqmi qui, à quelques heures de l’ouverture du festival, jeudi, avait menacé de tuer les otages, en faisant état "d’opération militaire" en préparation et en mettant en garde leurs pays d’origine: France, Royaume-Uni, Pays-Bas et Suède.
Nok, étudiant touareg, est venu du Maroc par militantisme, "pour dire +Non au terrorisme+". "C’est notre devoir", dit-il.
"Regardez les moyens déployés par l’Etat pour assurer la sécurité du festival", lâche son voisin, montrant une dizaine de "technicals" (véhicules chargés de mitrailleuses).
Une Française explique avoir fait "clandestinement" le voyage pour assister au festival. "Si mon pays le savait, on allait me l’interdire".
Un banquier britannique indique anonymement avoir relié Londres à Tombouctou à bord d’un jet privé, peu soucieux des consignes officielles.
"J’aime cette ambiance! J’aime le climat! Et les organisateurs (du festival) m’ont donné des assurances" quant à la sécurité.
"Il y a quelques années, ce sont des milliers de touristes qui accouraient vers le festival. A cause de la situation, ils ne sont aujourd’hui plus que quelques dizaines. Aqmi a gagné la première manche", déplore Bachir, un informaticien.
En dépit des risques, Manny Ansar, directeur du festival, a maintenu la manifestation. "C’est très important, malgré tout ce qui s’est passé, que l’événement de déroule", déclare-t-il.
Alous, patron d’une auberge, s’inquiète pour l’avenir. "Il faut tout faire pour amener les touristes", sinon "il n’y aura pas d’entrée d’argent, et la jeunesse de Tombouctou n’aurait rien à se mettre sous la dent, et c’est la porte ouverte à tout".
Serge Daniel