Après l’échec de l’opération de sauvetage de Michel Germaneau, menée, sur le territoire malien et sans en informer son président, la France de Nicolas Sarkozy se trouve, aujourd’hui, fort embarrassée. Tant auprès de la communauté internationale qu’auprès de sa propre opinion publique. Le président français Sarkozy, qui vient de viser et de rater sa cible, a compris toute la complexité de ce genre d’opération. Ne se déclarant pas, pour autant, vaincu, il veut, maintenant, pousser à l’escalade en demandant aux chefs d’Etat des pays concernés de monter au front contre Aqmi, avec Kalachnikov en bandoulière.
Plus que jamais nous sommes décidés à lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et à soutenir les pays qui ont le courage de combattre ce terrorisme barbare… Le crime commis contre Michel Germaneau ne restera pas impuni."
Ainsi s’exprimait à chaud le président Sarkozy, après l’échec du raid franco-mauritanien en territoire malien, le 22 juillet 2010.
C’est clair, aujourd’hui, la France de Sarkozy, parce qu’elle vient de perdre un citoyen, veut aider nos pays à s’armer et à monter au front pour aller combattre Aqmi dans l’immensité désertique du Sahara. Est-ce là une bonne proposition pour des pays déjà confrontés, comme le nôtre, à des rebellions internes qui, de temps en temps, s’agitent en prenant d’assaut la presse internationale pour vilipender le gouvernement qui ne se serait pas acquitté de telle ou telle clause de tel accord. N’ayant pas fini de régler cette délicate question, si le gouvernement du Mali devait s’aventurer sur un autre théâtre, cela apparaitrait, principalement aux yeux de l’opinion nationale, comme une ambition démesurée. La difficulté résidant également dans l’identification des terroristes qui, comme de petits poissons dans l’eau, savent nager, d’un rivage à l’autre, dans l’ignorance totale des caïmans. Rappelons-nous seulement l’avion qui a atterri incognito, il y a de cela quelques mois, dans le septentrion de notre pays, avec sa présumée cargaison de drogue.
Quels que soient les moyens humains, matériels et technologiques que l’ex-puissance tutélaire mettra à la disposition du Mali, par exemple, il sera très difficile voire impossible de gagner, comme d’un coup de baguette magique, le combat contre Aqmi. C’est pourquoi, la proposition française d’aller traquer ces narcotrafiquants de terroristes, aussi alléchante que cela puisse paraître, ne saurait être, pour le Mali, une voie facile à emprunter. Même si cela ne semble pas être l’avis de " consultants en stratégie ", qui commencent déjà à donner de la voix par presse interposée allant dans le sens, même si c’est encore voilé, de la stratégie sarkozyenne. Dans laquelle, précisément, notre pays n’a, réellement, pas à gagner. Imaginons, seulement, que la France, généreuse mais très en colère présentement, envoie aux pays de la bande sahélo-saharienne 10 000 soldats, 20 avions de combat et des centaines de véhicules tout terrain pour ratisser le Sahara à la recherche de ces terroristes, sans foi ni loi, mais puissamment armés et maîtrisant mieux le terrain. Cela nous renverrait directement au scénario afghan, avec son éternel bourbier dans lequel sont englués, et cela depuis des lustres, des bataillons entiers des grandes armées du monde occidental. Avec en prime le résultat que nous connaissons. C’est pourquoi, des voix, en France même, à l’instar, plus récemment, de celle de Paul Quilès, ancien ministre français de la Défense, demandent, aujourd’hui, le retrait pur et simple des troupes françaises d’Afghanistan. Il en de même des opinions publiques en Angleterre sans parler des Etats-Unis.
Hypothèque sur les
De ce constat, vouloir lancer notre armée aux trousses des terroristes, dont personne ne sait, d’ailleurs, dans quel trou ils se terrent, c’est ouvrir une véritable boîte de Pandore. En effet, qui peut imaginer les risques potentiels que nous ferons prendre à nos militaires en les engageant dans une opération sans issue réelle. Et dont les conséquences, pour la stabilité et la paix à l’intérieur de notre pays, restent incommensurables. Point besoin d’être stratège militaire pour cerner de telles éventualités. Car les télévisons du monde entier nous les distillent au quotidien. De même qu’un simple coup d’œil sur la carte de la région concernée, le nord-Mali, suffit également pour s’en convaincre. En effet, le Sahara ce n’est ni la Corse ni la Côte d’Azur. Et les terroristes qui y pullulent n’ont rien à craindre de la police de proximité. Dans cet immense no man’s land où circulent, comme en terrain conquis, ces terroristes armés jusqu’aux dents, c’est le pistolet mitrailleur Kalachnikov (du nom de son créateur russe) qui a droit de cité.
Qu’à cela ne tienne. Ces terroristes invétérés, au cœur endurci comme s’ils en voulaient à l’humanité toute entière, ne sont pas totalement réfractaires au dialogue. Loin de là. Même si leurs méthodes sont abjectes et inhumaines, il n’est pas donné au premier venu de prétendre les ceinturer et les clouer au sol, tels de petits malfrats. D’où une certaine circonspection à afficher pour ne pas tout gâcher y compris des intérêts de la France, elle-même.
Avec le pétrole, le gaz et même l’uranium qui pointent le nez, par exemple, au nord-Mali et même dans la zone frontalière avec la Mauritanie pour le pétrole, il serait suicidaire, pour notre pays, que nos dirigeants s’aventurent à adhérer aux thèses des apprentis va-t-en-guerre. Cela équivaudrait à aller, de son plein gré, devant un peloton d’exécution et prendre des coups fatals notamment pour l’avenir du pays et, plus spécifiquement, celui des générations futures. Surtout que le Mali, de même que les autres pays de la sous-région, lutte déjà, mais à sa manière, contre le terrorisme et le trafic de drogue transsaharien. Mais de là à monter, de toutes pièces et sous l’égide de la France, des soi-disant unités d’élite, ce n’est certainement pas la solution idoine. L’impression de nos populations, principalement celles habitant la zone concernée, serait également, surtout suite aux propos cavaliers venant de l’Hexagone, comme si l’ancienne puissance tutélaire venait, en treillis, faire le gendarme dans notre pays et plus, spécifiquement, dans le Sahara. Comme s’il s’agissait d’un défilé militaire sur les Champs-Elysées. Alors que le Sahara ce n’est pas le bois de Vincennes. Le raid franco-mauritanien raté vient de démontrer que la France n’a pas d’amis mais des intérêts. La mise à l’écart du président malien, par son " frère et ami " Nicolas Sarkozy l’atteste amplement. Et l’observation est loin d’être une récrimination.
Eviterl’afghanisation du Sahara
La méthode de lutte, telle qu’elle est actuellement menée, et qui allie la carotte et le bâton avec des objectifs bien ciblés, est celle qui paraît, en tout cas, la mieux adaptée en ce qui concerne, principalement, le Mali. Le cas qui nous intéresse. Car, en lâchant des forces spéciales sillonner le désert, pour traquer des bandits et des présumés terroristes, le risque d’un éventuel dérapage est grand. De même que cela pourrait réveiller des rebellions internes qui, aujourd’hui, par la grâce de Dieu, sont, somnolentes voire endormies. Qui veut alors réveiller le chat qui dort ?
L’idée même d’unités ou de forces spéciales est à même de faire rehausser le ton du côté des terroristes. Contre lesquels, ce n’est que pure réalité, le Mali ne saurait lever une expédition punitive armée avec un grand déploiement de soldats et débauche de sommes faramineuses pour très peu de résultats. Tout ce qu’on voit en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, au Yémen et ne parlons même pas de la Somalie, suffit pour saisir toute les limites des opérations militaires contre les Talibans ou les Shebabs. Combien de militaires étrangers y a-t-il dans ces pays engagés à combattre le terrorisme ? Combien d’engins engagés, de satellites déployés, sans oublier ces milliers de soldats mobilisés et ces pluies de dollars déversées ? A quoi tout cela a-t-il servi et pour quel résultat ? Cela n’a pas évité que des journalistes français, par exemple, soient même actuellement détenus en Afghanistan. Où sont-elles alors les unités d’élite, les forces spéciales?
Au Mali, contrairement à certains pays voisins, qui taxent nos dirigeants de laxistes voire de complices des preneurs d’otages, l’option a été faite, sous l’impulsion et la haute autorité du président ATT, sur la négociation en cas de prise d’otage, par exemple. Une option qui est, certes, loin d’être la recette miracle mais qui a fait les preuves de son efficacité. C’est vrai que la vie humaine n’a pas de prix. Et c’est tout cela qui devrait pousser à ne point souscrire à une méthode qui va, surtout, voir nos forces armées et de sécurité constamment sur le qui-vive. Dans de la merzlota où le glissement, d’une situation de combat à celle d’une véritable guerre de tranchées, est assez vite fait.
C’est dire, encore une fois, que la voie sarkozyenne conduira, tout droit, dans un tunnel avec impossibilité garantie d’en ressortir. Si la surmédiatisation des propos tels : " Le crime commis contre Michel Germaneau ne restera pas impuni " peut faire remonter la cote de popularité de Sarkozy, fortement malmenée ces derniers temps, elle tend, au contraire, à jeter l’anathème sur les chefs d’Etat des pays censés ne pas avoir eu " le courage de combattre ce terrorisme barbare ". Alors que Sarko vient, lui-même, de viser, de tirer et de rater sa cible. Alors qu’il est loin d’être un tireur à l’arbalète. Lui qui fut, auparavant, ministre de l’Intérieur. C’est dire que la lutte contre Aqmi est un long processus. S’y précipiter équivaudrait à se jeter, les yeux fermés et les deux pieds joints, du sommet d’une montagne pour un ravin où nichent des serpents venimeux. Après une telle chute, même un parachutiste, aguerri dans les conditions du froid sibérien, ne survivrait pas. Il ne faudrait pas alors que l’on se laisse séduire par ces promesses hexagonales, mirobolantes. Même si, aux dires de Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères : " Le recours à une opération militaire ne veut pas dire que la France ait changé de stratégie et renonce désormais à négocier ". L’escalade voulue par Paris ne saurait, en tout cas, conforter cette thèse.
Maintenant, on se demande si le président ATT sera sensible au chant de sirène de Sarkozy qui a, pourtant, failli le faire humilier et le mettre au ban de la communauté internationale si, toutefois, le raid franco-mauritanien avait réussi.
Certainement que le président ATT, en stratège avisé et en soldat de la paix, pourra reconnaître, sans même porter de gants ni de lunettes, le bon grain de l’ivraie dans le paquet de propositions que Nicolas Sarkozy ne tardera point à envoyer aux chefs d’Etat des pays concernés. Afin de donner un coup de fouet à sa croisade contre Al-Qaïda au Maghreb islamique.
Mamadou FOFANA
Chroniqueur politique