La délégation était conduite par le chef de file de l’opposition malienne, Soumaïla Cissé de l’Urd et comprenait les présidents du Parena, Tiébilé Dramé, du Pdes, Ahmadou Abdoulaye Diallo et Yaya Coulibaly, secrétaire administratif du Prvm Faso Kô. Comme d’habitude, Modibo Sidibé des Fare a fait défection, en plus de Amadou Koïta du Ps Yeelen Kura et Daba Diawara du Pids. Reportage
En se rendant à Gao, les partis politiques de l’opposition partaient exprimer leur solidarité et compassion aux populations de la ville, suite aux évènements tragiques survenus le 27 janvier dernier. A titre de rappel : frustrée par la publication d’un accord louche entre la Minusma et la Coordination des groupes armés, la jeunesse de Gao manifeste devant le Q.G. de la Minusma et exige l’annulation dudit texte cosigné avec des séparatistes. Mais, cette marche pacifique tourne au drame quand les forces onusiennes ouvrent le feu sur la foule. Bilan : 3 morts et 18 blessés grave.
C’est aux environs de 11h, le 2 février dernier, que l’avion transportant la délégation des partis membres de l’opposition a atterri à l’aéroport de Gao. Au bas de la passerelle, le maire Sadou Harouna Diallo accueille les hôtes et la longue file de véhicules s’ébranle en direction du centre ville avec escale à l’hôtel Askia, au quartier château.
L’agenda très chargé et exécuté au pas de charge, a débuté par une visite de courtoisie au gouverneur de la région, Oumar Baba Sidibé. Lors de ce tête à tête, la délégation a informé le chef de l’exécutif régional des motivations de la visite, qui se situe dans un souci d’apaisement et pour aider à une sortie de crise.
Le gouverneur a remercié ses hôtes pour l’initiative. «Vous avez parlé d’apaisement, je vous avoue que nous en avons beaucoup besoin en ce moment», a-t-il déclaré. Oumar Baba Sidibé a ensuite fait la genèse de la dégradation fulgurante de l’atmosphère entre la population de Gao et la Mission de l’Onu. «Le vendredi seulement (ndlr : 23 janvier) tout allait bien. Les gens étaient mêmes sortis pour soutenir la Minusma. Mais, deux jours après, il y a eu dégradation de situation», regrette le chef de l’exécutif régional. Qui reconnait cependant que depuis deux mois, la situation sécuritaire ne cessait de se détériorer à Gao. «Il y a deux ans, ce n’était pas comme ça. Cela signifie qu’il y a quelque chose qui ne va pas, et qu’il faut ensemble trouver une solution», ajoute le gouverneur.
2,5 millions aux victimes
Après le gouvernorat, la délégation de l’opposition se rend à l’hôpital Hangadoumbou Touré où elle fait un don de 2,5 millions de FCFA aux victimes (1,5 million pour les familles endeuillées et un million pour les blessés). Les opposants prennent les nouvelles de l’état des blessés et leurs conditions de prise en charge auprès du directeur de l’hôpital, Dr Amadou Maïga, avant de se rendre à leur chevet dans la salle de réanimation, au bloc de physiothérapie et à la pédiatrie.
La délégation est ensuite allée présenter ses condoléances aux familles des trois victimes, avant de s’entretenir avec Francisco Osier, le chef de Bureau de la Minusma à Gao.
Les visiteurs ont également rencontré, au quartier Farandjirey, le cadre de concertation des sages et le conseil régional de la jeunesse de Gao. Après avoir prêté une oreille attentive aux observations du doyen Ali Bady Maïga (président du cadre de concertation des sages), écouté les plaintes et récriminations de la jeunesse et noté les doléances des femmes, les membres de la délégation ont pris, tour à tour, la parole pour saluer le courage de la jeunesse de Gao, partager la justesse de son combat. « Nous sommes venus inviter la jeunesse de Gao à l’apaisement », ont-ils lancé aux jeunes. Aussi, la délégation a mis ces évènements de Gao en lien direct avec la crise institutionnelle que traverse notre pays. Un pays malade et qui a besoin aujourd’hui d’un Etat fort et d’une armée restructurée. «C’est courageux ce que les jeunes font à Gao. Mais ce n’est pas leur métier. C’est le métier des militaires. Nous devons faire en sorte que notre armée soit sur pied et qu’elle défende le pays, sinon nous allons vivre dans un pays de milices. Et ça, ce n’est pas souhaitable », confie Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition malienne.
Oumar Diamoye
Envoyé spécial
APRES LA VISITE
Soumaïla et Tiébilé s’expriment à Gao
Au cours de la brève visite à Gao des leaders de l’opposition, Soumaïla Cissé et Tiébilé Dramé se sont adressés aux populations de la Cité des Askia pour dire leur vérité sur la situation chaotique du pays, notamment la gestion calamiteuse de l’insécurité généralisée qui fait qu’ « il n’y a pas d’Etat aujourd’hui au Mali ».
Soumaïla Cissé : « De Mopti à Kidal, il n’y a pas d’Etat»
«J’ai eu la chance de venir à Gao, au moment où il y avait les jeunes patriotes. Qui ont défendu Gao, ici, avec des cailloux et avec des pierres. Je les ai rencontrés, je les ai encouragés. A l’opposition, nous n’avons pas cessé de dénoncer le fait qu’il n’y a pas d’Etat. En réalité, de Mopti à Gao jusqu’à Kidal, malheureusement, il n’y a pas d’Etat. Il y a eu Nampala avant Gao, il y a eu Ténenkou, Dioura, Tombouctou, Goundam. Sans oublier Bamako. Vous avez entendu des tentatives d’assassinat à Bamako. C’est l’ensemble du Mali qui est en insécurité. Nous ne pouvons que continuer, avec vous, à interpeller notre Etat, pour que l’Etat existe. Nous avons des problèmes d’insécurité, mais nous avons aussi le problème de l’avenir tout simplement. Quand nos enfants ne vont plus à l’école, quand les malades ne sont plus soignés, quand les gens sont dans l’insécurité pour aller même au champ, faire paître les animaux, où va le pays ? Le pays va mal. Le pays va très mal.
Nous sommes venus ici parce que nous sommes Maliens ; nous sommes venus ici pour vous dire que ce n’est pas un combat d’opposition ou de majorité. Nous voulons que le Mali existe, que le Mali continue à exister. Mais, sans Gao, il n’y a pas le Mali. Notre histoire passe par ici. Nos valeurs passent par ici. C’est pour ça que nous sommes là aujourd’hui pour vous apporter notre solidarité, déplorer ce qui est arrivé à Gao pour que cela n’arrive jamais plus à Gao. C’est courageux ce que les jeunes font. Mais ce n’est pas leur métier. C’est le métier des militaires. Nous devons faire en sorte que notre armée soit sur pied et qu’elle défende le pays, sinon nous allons vivre dans un pays de milices. Et ça, ce n’est pas souhaitable. Nos enfants, nous voulons qu’ils étudient, travaillent, réfléchissent et qu’ils fassent développer ce pays. Nous ne voulons pas que nos enfants aillent mourir face à des balles, alors qu’ils ne savent même pas tenir un fusil. Ce n’est pas ce que nous souhaitons.
Aux femmes, je dis que depuis 2011, ce sont elles qui souffrent le plus de cette histoire. Ce sont leurs maris qui sont morts, ce sont leurs enfants qui sont morts ; ce sont elles qui sont violées au quotidien. Donc, nous ne pouvons pas parler des jeunes sans parler des femmes.
Ce que nous avons proposé au président de la République, c’est que ce problème dépasse la majorité, il dépasse l’opposition. Il faut que nous essayions de discuter de cela : la société civile, le gouvernement, la majorité, l’opposition. Qu’on discute de notre pays, de son avenir, de sa sécurité, des choix stratégiques qu’on fait. Qu’est-ce qu’on fait face à des rebellions ? Qu’est ce qu’on propose pour que nous soyons tous unis ? Pour qu’ensemble nous arrivions à trouver une solution. Nous l’avons demandé par écrit, nous l’avons demandé oralement, nous l’avons demandé partout. On n’a pas de solutions, on n’a pas de réponse. Nous allons courageusement continuer à dire ce qui ne va pas. Et nous sommes venus ici pour comprendre. Parce que ce qui arrive à Bamako, arrive toujours un peu déformé, parfois même très déformé. Nous sommes venus aussi pour vous dire « soyons ensemble », « restons tous ensemble ». Nous avons besoin d’un pays apaisé. La colère ne règle pas un problème; il faut qu’on réfléchisse, qu’on se dise attention ça ne pas, le pays est entrain d’aller à la dérive. Nous sommes des Maliens. La Minusma va partir un jour ; ceux qui nous aident vont partir un jour. Si nous-mêmes nous ne nous entendons pas, nous ne nous mettons pas ensembles, nous ne réussirons pas. Nous sommes venus vous dire ça aussi. Nous sommes avec vous, nous sommes des enfants de ce pays. Moi, je sais ce que les militaires font chez moi à Niafunké ; je sais comment j’ai fait la campagne électorale à Niafunké. Je sais qu’aujourd’hui, chez moi, c’est le même problème qu’ici. C’est le même problème à Tombouctou., à Goundam. Je voudrais vous dire que nous sommes avec vous ; nous vous encourageons. Mais, nous avons dit à la Minusma que son rôle c’est de protéger les civils. Il faut que cette communication s’améliore ; il faut que les gens se comprennent et que eux-mêmes ils comprennent leur mission, et que vous aussi vous les aidiez à comprendre leur mission. Nous sommes dans des difficultés, c’est pour ça que nous faisons venir des gens. Avant, à Gao, personne ne sortait avec des pièces d’identité. Les gens dormaient dans la rue. On dormait sur le toit des maisons. Personne ne s’inquiétait de rien. Ayons seulement la sagesse de comprendre la situation, ayons la sagesse de nous retrouver, de nous rassembler et de nous parler. Il faut se parler pour évacuer les choses ; il faut se parler. Ce qui est arrivé est très regrettable et ne devrait pas arriver. Une fois que c’est arrivé, scrutons l’avenir. Qu’est ce qu’on va faire dans l’avenir ? Est-ce qu’on va rester comme ça, fâchés ? Est-ce qu’on va réfléchir pour dire voilà des solutions ? Est-ce qu’on va continuer à interpeller notre gouvernement pour qu’il vienne au nord ? Je l’ai dit dès fois, Gao et Tombouctou auraient du être les premières villes visitées par le chef de l’Etat, après son élection. Ces deux villes ont souffert. Vous avez besoin de réconfort. Vous n’avez pas besoin qu’on ait l’impression qu’on vous a oubliés. Vous n’avez pas besoin qu’on ait l’impression que vous êtes délaissés, comme certains l’ont dit. Ça, c’est dangereux. Parce qu’une fois que les gens sont dépités, ils sont capables de tout. Ils sont capables de tout faire. Nous sommes venus vous réaffirmer notre solidarité, notre soutien dans ce combat. Nous serons à vos côtés, dans la vérité, avec sagesse».
Tiébilé Dramé : «Ce pays souffre énormément…»
« Je vous salue au nom de tous nos militants, de tout le peuple malien, qui est préoccupé aujourd’hui de son avenir. Je voudrais d’abord commencer par rendre hommage aux notables, au cadre de concertation de Gao. Nous n’oublions pas que, quand l’Etat avait abandonné Gao, quand ce pays était occupé, ce sont les notables de Gao qui, dans un cadre de concertation, ont semé les germes de la résistance à l’occupation.
Je voudrais aussi saluer les chefs religieux de Gao. Dans le contexte de l’occupation, ils ont aussi joué leur partition, en relation avec les notables.
Je voudrais rendre hommage à la résistance de la jeunesse de Gao. Qui a fait honneur à notre pays, qui a fait honneur à notre peuple, par sa résistance digne d’éloges à l’occupation.
Saluer les femmes de Gao. Nous ne sommes pas surpris que ce sont les jeunes de Gao, en relation avec leurs pères, avec les guides spirituels, les chefs religieux, avec leurs mères et leurs sœurs qui ont résisté à l’occupation et qui lèvent très haut le drapeau du Mali, le drapeau de la résistance. Quelle est la signification de ce drapeau ? C’est l’unité nationale. C’est que nous devons tout faire pour réunifier notre pays qui est divisé et, cette division n’a que trop duré. Votre combat rentre dans ce cadre. C’est pourquoi, au nom de nos militants, au nom du reste de l’opposition, nous sommes venus, ici, ce matin, à Gao, vous saluer, vous rendre hommage, présenter nos condoléances pour les victimes, saluer les blessés ; mais vous dire et vous redire que ce pays a besoin de vous ; que ce que vous faites à Gao n’est pas ignoré dans le reste du pays. Ce n’était pas ignoré, hier, en 2012 et en 2013, quand vous vous opposiez à l’occupation ; et ça ne sera pas ignoré aujourd’hui. Sachez-le.
Nous connaissons beaucoup d’entre vous, beaucoup des acteurs de la résistance de la jeunesse de Gao. La représentante des femmes a dit qu’il est important de prendre en compte les mouvements de résistance. Ceux qui, les mains nues, courageusement, font face pour que le Mali ne s’effondre pas, pour que le Mali ne reste pas agenouillé. Nous nous devons de venir vous dire Merci Gao. Nous sommes avec vous, nous aussi, depuis Bamako, depuis l’autre extrémité du Mali, nous sommes Gao. Sachez-le. Votre combat ne sera pas oublié ; il est connu, nous sommes venus pour témoigner, pour vous écouter, vous entendre, pour voir de visu quelle est la situation de Gao. Ce pays souffre énormément ; et Gao la fière, Gao la résistante, Gao, cité des Askia et des Sonni, Gao porte haut le drapeau du Mali, le drapeau du relèvement de notre pays, le drapeau de la dignité nationale. Vive Gao et vive le Mali».
Recueillis par OD