« Le Mali, au-delà du jihad ». C’est le titre du livre que sort cette semaine le journaliste indépendant François-Xavier Freland. Un temps correspondant au Mali, entre 2007 et 2008, il y est très régulièrement retourné depuis. Mais c’est plutôt un livre de souvenirs, d’impressions et de ressenti qu’il a voulu écrire. Il répond aux questions de Xavier Besson
RFI: Ce livre raconte vos souvenirs ainsi que vos impressions du pays, en même temps que son histoire récente. Qu’est-ce qui était important, pour vous, de raconter au-delà du jihad ?
François-Xavier Freland: Evidemment, ce livre parle quand même du jihad et de la montée de l’islamisme radical dans un pays qui, il y a une dizaine d’années, était réputé pour son islam tolérant. J’ai donc découvert ce pays dès 2002, pour une enquête sur une femme qui avait vécu à l’époque coloniale et qui avait d’ailleurs œuvré pour la liberté des femmes.
Je suis tombé amoureux de ce pays parce que c’est un pays de douceur. Je raconte ces scènes parce que je trouve cela important, de se souvenir que le Mali était un pays où les femmes lavaient leur linge à moitié nues, dans le fleuve. Les Maliens sortaient à Bamako, le soir, dans les maquis. Il n’y avait presque pas de voile, ni à Gao, ni nulle part. C’était le Mali d’il y a dix ans, à peu près.
Evidemment, quand vous y retournez aujourd’hui, ce n’est plus du tout le même pays. L’islam radical a repris et continue de s’implanter, pas seulement au nord, même à Bamako. C’est un peu cet échec-là aussi que j’essaie de raconter.
Dans ce livre, il y a beaucoup de personnages – des Maliens, des étrangers – qui ont fait l’histoire malienne ou bien des anonymes. Y en a-t-il certains que vous préférez ?
En fait, sincèrement je les aime tous, même ceux avec qui je ne partage pas forcément des avis. Finalement, j’essaie de les rendre tous un peu humains. Même quand je suis parfois un peu critique, je ne les assassine pas totalement, c’est-à-dire que je leur laisse une part de ce qu’ils sont, de ce qu’ils veulent être ou encore de ce qu’ils veulent démontrer.
Donc effectivement, on rencontre des stars de la chanson que vous connaissez bien sur RFI comme Salif Keïta ou Oumou Sangaré mais on rencontre aussi beaucoup d’hommes politiques. C’est le cas de Moussa Mara, du président Ibrahim Boubacar Keïta et de l’ancien président, Amadou Toumani Touré, avec qui j’ai eu, indirectement, des liens. Il y a énormément de rebelles aussi – des Touaregs que je suis allé voir de nombreuses fois au nord – et des jihadistes que j’ai rencontrés en prison. Il y a également des militaires français, maliens, etc…
C’est donc aussi un livre de rencontres qui essaie – j’espère avec une approche humaine – de donner un petit peu des clés sur la crise sécuritaire, sans trop quand même donner mon avis, même si je reste un journaliste avec mon regard et mon bagage.
Justement, en tant que journaliste, il y a aussi pas mal de réflexions sur votre métier et sur la manière de l’exercer ?
Tout à fait. Je suis journaliste indépendant. J’ai eu finalement de la chance parce que je n’ai jamais eu de problèmes, ni économiques ni de santé, ni dans ce pays, ni même dans cette région, mais j’ai eu quand même des difficultés.
Quand vous êtes un journaliste français dans cette zone – rappelons-le, le Mali c’est l’ancien Soudan français. Il y a un vieux passif – vous restez quand même un journaliste spécial pour les Maliens. Vous n’êtes pas un Anglais, vous n’êtes pas un Américain, vous êtes un journaliste qui représente quand même le pays de l’ancienne puissance coloniale.
C’est malheureusement quelque chose que vous ne pouvez pas nier et qui parfois vous complique la vie. Ça vous ouvre des portes, évidemment, parce que nous avons des facilités – nous les journalistes francophones – mais ça vous enferme aussi. Je raconte quelques détails de censure qui sont arrivés au détour de certains reportages, voire même des emprisonnements. J’ai fait un petit peu de garde à vue à Gao, Bamako… On est venu me tracasser pour des histoires d’autorisation.
Il y a aussi un peu d’informations sur l’exfiltration de l’ancien président ATT – Amadou Toumani Touré ?
Effectivement. Il y a quelques scoops – comme on dit dans le jargon – sur Amadou Toumani Touré et notamment sur son exfiltration. C’est lui qui m’a fait passer l’information. Comme vous le savez, il vit toujours au Sénégal, exilé, dans une maison qui lui est prêtée par l’Etat sénégalais et il m’a donné quelques informations sur la manière dont cela s’est passé. Il a risqué sa peau – souvenez-vous, c’était en mars 2012 – et heureusement, à l’époque, Abdou Diouf, l’ex-secrétaire général de l’OIF, est intervenu auprès de Nicolas Sarkozy qui était le président français, à l’époque, et de Macky Sall, le président sénégalais, pour permettre à ATT de quitter le pays au plus vite. Il était poursuivi par les hommes du capitaine Sanogo. Il aurait pu mourir durant cette période.
Votre livre est dédicacé en particulier à trois personnes que nous connaissons bien ici, à RFI : Laurent Sadoux, l’ancien présentateur d’Afrique Midi, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les deux reporters assassinés à Kidal, dans le nord du Mali, en 2013. Pourquoi cette dédicace ?
Quand on écrit sur le Mali on ne peut pas, ne pas penser à eux. La mort les a touchés. Je suis allé aussi dans ces régions-là. J’aurais pu y laisser ma peau e là déjà, on réfléchit à son propre destin. Et puis, c’est une manière de rendre hommage à une maison pour laquelle j’ai travaillé aussi. J’ai travaillé un petit peu à RFI comme correspondant. Ensuite, pour moi, Laurent Sadoux c’est une des grandes voix de la radio – je dirais même tout court – en France.
C’est un garçon qui avait énormément de talent. Je l’ai beaucoup aimé. Nous avons eu beaucoup de relations. On s’écrivait beaucoup quand j’étais en poste. Il me faisait part de ses états d’âme parce que c’était quelqu’un de très humain. Donc, ça a été une grande perte, Laurent Sadoux. Je voulais absolument lui rendre hommage dans ce livre et je le cite d’ailleurs dans plusieurs des chapitres. Je raconte comment je le vivais, lui, quand je l’entendais sur le terrain, que ce soit au Mali ou à Madagascar où j’ai vécu aussi.