Mercredi 10 décembre 2014. Alors que Serge Lazarevic, le dernier otage français au Sahel et dans le monde est attendu en France par le président François Hollande, le quotidien « Le Républicain » s’est fait l’écho de cette libération. On a pu lire dans son éditorial : « Il (l’ex-otage) a été donc échangé contre le tueur de son ami Verdon et d’un Malien qu’il a tué dans sa rocambolesque évasion de la prison de Bamako. Si rançon il y a eu, payer aux émirs d’Aqmi un bronzage à Saint-Tropez. La manne sera investie dans plus d’armes, plus de mines anti personnelles. Pour tout dire dans l’idéologie meurtrière d’un intégrisme qui viole, vole et asservit des musulmans. La volonté de puissance ainsi mieux armée pourrait ainsi faire de nouveaux Claude, Ghislaine, Germaneau, Dwyer. Ou tuer encore plus de soldats maliens, nigériens, onusiens ou français (1)». Et l’éditorialiste Adam Thiam s’avance jusqu’à poser une question, gênante, mais qui vaut tout de même d’être posée : tant qu’à faire, pourquoi refuse-t-on de dialoguer avec les mouvements jihadistes d’un côté alors qu’on les renforce de l’autre? »
Comme nombre de Maliens, il faut se réjouir pour Serge Lazarevic, qui retrouve sa famille, libre. Surtout que les risques que cela débouche sur l’horreur et l’impensable étaient grands tant il est vrai que le Mali reste empêtré dans le jihadisme. Ce pays, disons-le tout de suite, est perdu dans un bazar. Les choses semblent embrouillées : Ebola, économie, perte totale de repères de la société… Mais cela est une autre histoire. Aujourd’hui, après la mort de Verdon, l’assassinat dans le pire style mafieux de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, il est clair que la libération de Lazarevic apporte une sorte de bouffée d’oxygène. Mais il se trouve qu’Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamiste) n’a pas libéré Lazarevic pour se faire connaître. Non, pas du tout ! On en sait un peu des conditions de sa libération. Comme cela se fait souvent, il a été libéré en échange de quatre prisonniers islamistes détenus au Mali. Même si jusqu’à présent il est difficile d’affirmer qu’une rançon n’a pas été payée. Mais ce qui est bizarre en l’espèce, c’est que parmi les quatres noms cités l’un d’entre eux au moins est un de ceux qui ont enlevé Serge Lazarevic et son compagnon d’infortune, Verdon ! Ce qui est grave, en plus du fait de remettre des bandits dans la nature !
« Mais ça, c’est toujours comme ça, ceux qui sont libérés en échange sont toujours des bandits qui demandent des échanges. Les otages libérés par Boko Haram dernièrement au Cameroun ont été libérés en échange de gens du Boko Haram. En Amérique latine, pareil, ils demandent toujours la libération des leurs. Partout. C‘est très compliqué ! Mais là, dans ce cas précis, c’est surtout l’ironie de libérer les kidnappeurs eux-mêmes ! Hier, l’on entendait qu’ils avaient été transférés à Kidal, il faut demander à IBK, Issoufou et François Hollande de s’expliquer. Aussi, il est important de se demander ce que pense la famille de l’autre monsieur, Philippe, celui que leurs ravisseurs ont tué ; ils doivent être heureux pour Serge, mais les gens libérés, si ce sont eux, sont tout de même ceux qui ont repassé leur père, frère, fils aux mains de ceux qui l’ont exécuté » , a réagit le mercredi matin une consœur, française, observatrice critique de la situation politique malienne.
Oui, il ne fait aucun doute que c’est grave, très grave. Car c’est l’industrie du terrorisme qui gagnera encore et encore. Et beaucoup de pays ont payé chèrement le prix de la libération des jihadistes, comme l’Égypte. Car le problème, c’est qu’une fois libérés, on ne peut surveiller leurs activités, à croire qu’ils vont renouer avec leurs mauvaises habitudes d’avant. Cela étant dit, il y a aussi l’autre question : que faire ? On laisse Lazarevic, on ne fait rien, on ne paye pas de rançon, on ne fait pas d’échanges? C’est là une question qui n’est pas facile à répondre. Et c’est là que la voix de ceux qui entonnent le chant du « c’est très, très grave ! » cesse d’être audible. A moins qu’on ne soit partisan de la méthode musclée dans les libérations d’otages, comme savent le faire Israël (les Jeux olympiques de Munich), les États-Unis, l’Algérie (In Amenas).
Nul doute qu’à propos de la libération de Lazarevic- qui continue de faire du bruit, déclencher des indignations-, on ne nous a pas tout dit. On dira ce qu’on voudra, mais, il est impossible de ne pas dire que cette libération est aussi le signe manifeste de faiblesse de l’Etat malien qui tire sa source surtout de la crise, mais pas seulement de la crise. Faiblesse qui l’empêche de décider souverainement même dans les questions le concernant, apportant encore une fois la preuve que partout où presque en Afrique, dans les pays qui restent dans le pré carré de l’ancienne puissance coloniale, même un pouvoir démocratiquement élu n’est pas en capacité de défendre les intérêts des citoyens.
La rébellion, le péril jihadiste au Nord, les pourparlers, une économie plombée, le spectre d’une grogne sociale, un gouvernement de plus en plus contesté…Ce sont là des difficultés qui font que le régime se sent incapable d’être ferme, y compris dans les questions d’intérêt national. Et puis, il y a surtout que dans cette affaire des pourparlers, la solution n’est pas venue du Mali, mais des autres pays impliqués, parmi lesquels se trouve la France. Les responsables maliens savaient bel et bien qu’ils allaient soulever la colère du peuple, mais cela ne les a pas empêchés de libérer quatre sinistres islamistes pour celui qu’on appelle au sein de l’opinion publique « un espion français ». « Le fait du prince pèse plus lourd que le droit. Des terroristes libérés contre un espion. », s’indignait ainsi un jeune écrivain au cours d’une discussion. C’est-à-dire qu’il y a vraiment lieu de se demander pourquoi les autorités maliennes ne se sont pas alignées derrière le sentiment profond du peuple malien.
Dans cette affaire de libération, loin de toute subjectivité, deux constats se dégagent. Le Premier, les dits, c’est que Serge Lazarevic a été échangé contre 4 dangereux terroristes et beaucoup d’argent. Le second, les non-dits, c’est qu’il doit sa libération à la pression de son pays sur le Mali. Et de ces deux constats, il ressort une évidence : un deal entre le Mali et la France. Un deal qui permettra certainement à François Hollande de redorer son taux de popularité et au Président IBK de relancer ses relations avec la France. Le peuple Malien a beau être déçu, le plus important est que les pendules sont désormais à l’heure entre le Mali et la France : telle semble la quintessence du choix opéré par les autorités maliennes !
- Adam Thiam, La seconde mort de Verdon, Le Républicain
Boubacar Sangaré