Un pas supplémentaire a été franchi vers l’intervention « inéluctable » au Mali. Et l’Algérie se trouve, encore une fois, sous pression.
Pendant que l’Algérie était branchée sur la fréquence du nouveau gouvernement, pour tenter de savoir qui seraient les gagnants et les perdants du nouveau remaniement, une guerre se préparait aux frontières sud du pays, menaçant de jeter toute la région dans un engrenage de type afghan pour de longues décennies. En effet, un nouveau pas a été franchi au Mali pour y légitimer une guerre devenue « inévitable », selon le ministre français de la Défense.
Le président par intérim du Mali, Dioncounda Traoré, aurait formellement demandé à la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) d’intervenir dans son pays pour assurer « la stabilisation du pays et la reconquête du Nord », selon un émissaire français dans la région. La décision malienne n’a pas été rendue à Bamako même, mais les pays qui veulent à tout prix en découdre, notamment la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, sont pressés d’en finir, exprimant publiquement le souhait de la France de voir la CEDEAO intervenir en Afrique.
Ce changement intervient au mauvais moment pour l’Algérie. Il coïncide en effet avec des informations, non confirmées officiellement, sur l’assassinat de Tahar Touati, un employé consulaire algérien enlevé à Gao, au nord du Mali en avril dernier, par une organisation opaque, le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Ce mouvement, qui occupe le nord du Mali, en liaison avec une autre organisation islamiste, Ansar Eddine, détient en otage des employés algériens du consulat depuis avril dernier.
Le MUJAO a transmis à une agence mauritanienne un communiqué annonçant l’exécution de Tahar Touati, mais le ministère algérien des affaires étrangères s’est contenté de dire qu’il procède à des vérifications pour s’assurer de l’authenticité du communiqué. Ce qui signifie clairement que l’Algérie met en doute la teneur de ce texte.
Les raisons de douter de ce communiqué sont en effet nombreuses. Avec, en premier lieu, le statut du MUJAO lui-même. Cette organisation affirme occuper le nord du Mali avec Ansar Eddine. Elle aspire à négocier avec les autorités maliennes, pour participer éventuellement à la gestion du pays. Elle a désormais des dirigeants qui s’expriment publiquement, et dont l’identité est connue. Comment une organisation qui aspire à jouer un tel rôle commencerait son parcours par assassiner des fonctionnaires de l’état voisin le plus proche ?
Ces données perturbent évidemment l’analyse algérienne de la situation au Mali. Car si la mort de Tahar Touati se confirme, cela signifierait que toute la stratégie algérienne, basée sur l’apaisement et la recherche d’une solution politique au Mali, serait remise en cause. Il serait en effet malvenu, et politiquement improductif pour n’importe quel pays, de continuer à plaider pour des négociations avec une organisation qui kidnappe ses fonctionnaires et assassine les otages.
Mais dans le même temps, l’annonce de la mort de Tahar Touati, au-delà du choc émotionnel qu’elle suscite, apparait comme une étape décisive pour affaiblir la position algérienne, et l’amener à cautionner une intervention militaire au Mali, à défaut d’y participer. Ce qui jette une ombre sur cette affaire : visiblement, il y a un élément qui manque. Comme si le MUJAO avait fait le choix délibéré d’amener l’Algérie à intégrer l’agenda de l’intervention militaire au Mali. Et ce n’est pas le très discret Mourad Medelci, reconduit aux Affaires étrangères, qui risque d’apporter des éclairages sur cette affaire.
L’Algérie n’est visiblement pas le seul pays auquel on voudrait forcer la main dans cette affaire. Le Mali se trouve aussi dans la même situation. La demande adressée à la CEDEAO n’a pas été annoncée par le Mali, mais par un représentant du gouvernement français. Et ce sont les deux grands clients de la France dans la région, le Burkina-Faso et la Côte d’Ivoire, qui mènent le jeu de l’intervention, en s’apprêtant à fournir la force de 3.500 hommes considérée comme nécessaire pour reconquérir le nord du Mali et en chasser les milices du MUJAO, de Ansar Eddine et d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique.
Et alors que les bruits de bottes deviennent assourdissants, on ne peut éviter ce parallèle avec ce qui s’est passé en Libye : une intervention militaire en Afrique du Nord, une zone où existe une influence algérienne, passe d’abord par l’élimination de l’Algérie, une mise à l’écart favorisée par une forte mobilisation d’acteurs médiatiques algériens qui appuient la solution militaire.
lequotidien-oran.com / 16 septembre 2012