L’ACCORD D’ALGER ANALYSE PAR LE MPR: Le diagnostic du MPR

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Le professeur Oumar KANOUTE, secrétaire politique du MPR et non moins vice-président à l’Assemblée nationale, a posé un regard critique sur l’Accord d’Alger qui fait encore couler beaucoup d’encre et de salive dans le pays. En mettant plutôt l’accent sur la gestion «politique » du dossier, M. KANOUTE comprend la position «contradictoire » des uns et des autres et explique, pour cette raison, la complexité même du sujet qui met en lumière la confusion qui règne dans les esprits et les cœurs, ainsi que celle des institutions modernes (régime présidentiel, législatif ou semi-présidentiel) qui nous servent de boussole en matière de gestion politique, sociale et cultuelle.       
 
La pratique de la liberté de l’information dépend largement du contexte politique dans lequel elle s’exprime. Notre démocratie en construction se caractérise par la double logique de la permanence des conflits d’intérêts et de l’impératif de cohésion et de stabilité qui animent la classe politique et la société civile.
La signature de l’Accord d’Alger nous en donne une belle illustration. Le débat est, on ne peut plus enrichissant même s’il tombe parfois dans l’excès. Au déluge de motions de soutien répond une logorrhée d’articles au vitriol pourfendant ‘‘les lâches et les traîtres qui osent brader l’intégrité territoriale’’, exhalant parfois les relents du racisme le plus primaire.
Est-ce notre passion pour la patrie qui explique tout ceci ? Quoi qu’il en soit, il y a lieu de ramener la raison au dessus du cœur.
Quel régime avons-nous ?
Le débat sur l’Accord a révélé qu’il existe une confusion autour de la nature du régime dans lequel nous évoluons. Certains se plaignent de ce que le Gouvernement a signé sans avoir demandé et obtenu au préalable le quitus du Parlement. D’autres reprochent aux Députés de s’être prononcés sur ledit Accord avant de s’en référer à leurs mandants.
Sommes-nous dans un régime présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire ? S’adresse-t-on au peuple de la même façon dans une démocratie directe que dans une démocratie représentative ?
Le débat a en outre donné un début de réponse à un questionnement qui taraude l’esprit de maints observateurs de la scène politique malienne. Dans un système de démocratie consensuelle, il est possible de ne pas être d’accord avec les actes posés par le Gouvernement, d’exprimer son désaccord sans rompre le contrat de confiance.
Le débat a surtout mis en exergue une certitude : nul n’a le monopole de la vérité : kuma la tinyè tè ban.
L’Accord a ses défenseurs et ses détracteurs. Tout le monde s’accorde cependant sur un point : il faut sauver la paix. La divergence naît de l’exégèse. Ce sont certaines clauses du texte qui sont jugés inacceptables.
Pas d’unanimité 
Nulle part, ce genre d’accord ne fait l’unanimité. Pour preuve, même le Pacte National accepté par tous, comporte des dispositions inappliquées et inapplicables.   
On peut comprendre que la troupe piaffe d’impatience d’aller déloger les frères d’armes égarés. Mais il est du devoir de l’autorité politique de la tenir en bride, pour éviter une reddition au prix du massacre.
Il est aussi compréhensible que les Censeurs du droit relèvent certains aspects qui paraissent une atteinte à la Loi Fondamentale. Nous ne leur ferons pas l’injure de rappeler l’éternel débat entre l’opportunité politique et l’observation rigoureuse du droit depuis l’affaire Catilina et consorts devant le Sénat de Rome.
Dans le Mali moderne, il a été reproché au pouvoir US-RDA d’avoir violé la Constitution quand, vu l’urgence, il a suscité l’autodissolution de l’Assemblée Nationale et son remplacement par une Délégation Législative, et a substitué au Bureau Politique National, le Conseil National de Défense de la Révolution (CNDR).
Il sera également reproché au Régime de l’UDPM d’avoir fait du juridisme en refusant de violer la Constitution, vu l’urgence, pour attendre un congrès qui devait décider du renoncement du Parti à son monopole constitutionnel du pouvoir.
Juridisme exacerbé
Comparaison n’est pas raison, mais en République sœur de Côte d’Ivoire, ceux qui sont considérés comme les durs du camp Gbagbo sont ceux-là qui ne demandent que le respect strict de la Constitution Ivoirienne. Il leur est cependant reproché d’être un obstacle à la paix.
La situation née de la signature de l’Accord d’Alger fait penser à la trame de Une si belle leçon de patience de Massa Makan DIABATE. La pièce campe un épisode de la guerre de Sikasso. Samory TOURE l’émir du Ouassoulou assiège Sikasso où règne BA Bemba militairement mieux équipé. Ba Bemba, successeur de Tièba veut amener Samory à composer afin de mettre sur pied une grande alliance qui tiendrait tête à l’armée française. Situation dramatique que celle de Ba Bemba : voilà un homme assiégé qui, au lieu de repousser l’assaillant, lui propose l’union. Ba Bemba aura à briser l’opposition de ses compatriotes impatients d’en finir avec l’émir de Ouassoulou. Ce sont principalement les membres du clan qui l’a élu et surtout la veuve de Tièba, Ba Mousso SANO l’icône de Sikasso qui lors d’un précédent siège, avait consenti, à la demande des fétiches, à donner son fils de sept jours en holocauste.
Il lui faudra également briser le caractère spartiate de Samory. Ba Bemba mène de ce fait une double lutte, une lutte extérieure contre son frère ennemi pour l’amener à laisser son sabre dans sa gaine, contre les siens pour éteindre en eux la flamme belliqueuse et une lutte intérieure contre l’amour-propre, l’orgueil. Il réussit au prix d’une très longue patience, d’où le titre de la pièce.
Le Conseil du Clan par la voix de Daoula lui présente ses excuses. Samory l’ennemi irréductible se rend sans combattre. Ba Mousso SANO-à-qui-on-ne-refuse-rien, vient se mettre à genoux devant lui : « Pourrai-je seulement trouver les mots pour dire tout mon regret ? » III, Se 5.
La paix contre la guerre
Les forces de la paix l’emportent sur celles de la guerre. La différence avec la situation actuelle est que personne ne revendique le parti de la guerre même si une bonne partie des citoyens exprime son exaspération face au comportement de ceux qui veulent destabiliser le pays en voulant prendre en otage son développement.
Devant une telle circonstance, « l’aîné sans être le plus âgé », a le choix : prendre à son compte le ressentiment des siens en récupérant le ras-le-bol général, ou se hisser à la dignité d’homme d’Etat en endiguant la houle des ressentiments, recommandant à l’occasion la sagesse et la tolérance. « Le chef est vérité. La grande parole jaillie du souffle commun, nourrie de toutes les lumières. Il incarne la permanente primauté du village. Le chef est la somme des parcelles d’éternité laissée en chacun, le premier matin. Il est convergence des volontés supérieures, faisceau des désirs nobles. Mais que la peur s’installe, chacun aussitôt enterre sa vérité, le chef devient la somme de tous les vices, l’ennemi de la grande parole » (Seydou Badian : Le Sang des masques.)
Privilégier la négociation
La levée des boucliers est donc parfaitement compréhensible. Ce qui l’est plus difficilement c’est la position de ceux qui prônent le rejet de l’Accord et l’application rigoureuse de la loi tout en disant soutenir une solution pacifique. Ceci me semble antinomique.
L’application du règlement militaire aux insurgés réfugiés dans les grottes passe forcément par l’usage des armes. Qu’à cela ne tienne, disent-ils, ce sont des déserteurs, de vulgaires terroristes. Ceci est une raison de plus à notre avis pour privilégier la négociation. Car l’histoire du terrorisme international prouve à suffisance qu’on ne vainc pas ce fléau avec la force armée.
D’aucuns disent qu’il faut craindre que d’autres communautés n’imitent les insurgés de Théghargharett. Ceci me semble être une réaction de dépit. Une lecture plus optimiste est possible. En effet les autres communautés ont depuis longtemps pris conscience de leur appartenance commune à la mère patrie. La situation actuelle prouve aussi à suffisance que tous les Tamasheq ne sont pas des rebelles.
Hier, toutes les Régions du Nord étaient concernées. Aujourd’hui la rébellion se limite à une portion de Kidal. C’est une petite minorité qui s’est laissé entraîner dans l’aventure par un quarteron de déserteurs.  
Le verdict de la postérité
Il faut donc admettre qu’il y a eu depuis le Pacte National une grande évolution. On peut penser à juste titre que l’irrédentisme résiduel est en voie de disparition. Il sera définitivement vaincu quand les autres, au lieu de dire, faisons comme eux, travaillent au contraire à les ramener dans le giron de la patrie en faisant preuve de compréhension et de tolérance.
L’intolérance, faut-il le rappeler, est la pire des violences, le risque le plus grave qui puisse peser sur une société de progrès.
L’Accord n’est pas une solution juridique, c’est un moyen politique de résoudre une situation de crise. Un Etat qui accepte de se mettre autour d’une même table que des dissidents -entendez ceux qui contestent tout ou partie de son autorité- apparaît aux yeux d’une certaine opinion comme un Etat offensé et humilié. Chaque concession faite par l’Etat pour sauver la paix le place dans une situation de faiblesse. Et pourtant nous sommes unanimes à prôner la solution pacifique donc négociée.
L’Accord d’Alger a été signé. Ce qui est présenté comme faiblesse du texte en est aussi sa force : l’absence de contrainte de délai dans l’exécution des clauses. Seul le Conseil de suivi du fait justement de son caractère anti-constitutionnel, a une durée de vie limitée ; un an, le temps de ramener la sérénité et de restaurer la confiance.
Il faut prendre l’Accord pour ce qu’il est : un compromis politique né d’une volonté politique partagée. Seul son triomphe consacrera sa légitimation unanime. C’est dire que la balle est dans le camp de Diagouraga et de son équipe. Tout dépend de l’habileté et de l’intelligence avec lesquelles ils mèneront leur mission. Le verdict sera donc prononcé par la postérité. Le débat sur l’Accord d’Alger aura eu un grand mérite, celui de faire partager par tous qu’il y a une guerre juste, « la guerre que livrent les forces de la paix contre celles de la guerre.» C’est à ce combat que devraient participer tous les hommes. 
 
Par Oumar KANOUTE
Secrétaire général du MPR

Les titres et intertitres sont de la rédaction

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