KIDAL : une autre rébellion ?

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En décembre 2010, le ministère de l’administration territoriale et des collectivités locales du Mali a délivré un récépissé au Mouvement National de l’Azawad (MNA). Un an après, l’association censée apporter sa contribution au développement local révèle son vrai visage, un mouvement séparatiste armé qui réclame l’indépendance de l’Azawad. Le Mnla est alors né et dès lors, au sein de l’armée malienne on enregistre la désertion de certains officiers et hommes de rang intégrés. La mort du guide libyen et la débâcle des troupes de Kadhafi précipite les évènements avec le retour de plusieurs centaines de mercenaires lourdement armés et revenus réaliser leur rêve. Reconquérir « leur » azawad. Sur le terrain, ils retrouvent d’autres hommes armés, les narcotrafiquants et les terroristes infiltrés dans le septentrion du pays depuis les années 2000. La connexion est vite établie et, le 17 janvier 2012, la ville de Ménaka est sous leur contrôle. Commence alors pour l’état du Mali, la descente en enfer avec l’occupation des 2/3 du territoire national et cela jusqu’au 10 juin où l’armée française lança l’opération de libération du Mali. Depuis, d’énormes efforts ont été menés par le Mali, la Cedeao, l’Union Africaine, la France, l’Union européenne, et l’ONU pour que le Mali retrouve la paix, la sécurité et un développement durable et harmonieux.

Des accords préliminaires sont signés à Ouagadougou le 18 juin 2013 ayant permis l’élection du président de la République et des députés à l’Assemblée nationale. Le  processus de démocratisation se poursuit lentement mais sûrement sous l’œil vigilant de la communauté internationale jusqu’à ce vendredi 16 mai où le chef du gouvernement malien Moussa Mara décide de se rendre en mission gouvernementale à Kidal pour se rendre compte de l’effectivité de l’administration malienne.

ACTE III

Le Premier Ministre Moussa Mara regagne Bamako. Il est convaincu que le pays a été attaqué, annexé : «une déclaration de guerre» à laquelle il faut préparer le peuple mais aussi les soldats de la république

Mara atterrit donc à l’aéroport de Bamako avec la délégation qui l’accompagne. Malgré les douloureux évènements qu’il venait de vivre, son séjour dans la Cité des Askia l’a requinqué et il sait déjà qu’il  peut compter sur le peuple qui ne pense qu’à laver l’affront infligé à Kidal.

La capitale du pays était en ébullition et à Gao qu’il venait de quitter les langues allaient déjà bon train. Sa conférence de presse, intégralement diffusée sur les radios locales, ont fait l’effet d’une bombe. Du coup, la cote de popularité du jeune président de Yelema est montée en flèche ; on ne parle plus que de son patriotisme, sa témérité, son courage, sa détermination à recouvrer l’intégralité du territoire national, son audace devant la France-mère, son opération Serval et les forces onusiennes dont la passivité frise la complicité. Le ton ferme du discours de Mara était sans ambigüité si bien que le peuple malien tout entier retiendra que les douloureux évènements de Kidal constituaient «une déclaration de guerre» à laquelle le Mali «apportera une réponse appropriée». Malgré la situation, Mara et tous les membres du gouvernement semblaient sereins et même confiants pour la suite des opérations. Et les multiples condamnations et marches spontanées de la société civile à travers le pays ont fini de «piquer» l’orgueil du Mali et éprouver la fierté des héritiers de Soundiata, Askia, Tiéba et autres illustres hommes qui ont fait la fierté et la grandeur de ce grand Mali.

Le Mali est désormais entré en guerre et 1.500 soldats sont annoncés pour renforcer la poignée de Famas cantonnés dans leur camp alors que le gouvernorat et même l’ensemble de la ville de Kidal est sous contrôle des forces ennemies.

Entre temps, les populations de Gao de se  demander pourquoi le ministre de la défense Soumeylou Boubèye Maïga, qui était pourtant à Gao, n’a pas fait le déplacement de Kidal, ni attendu le retour de la délégation pour rentrer à Bamako ?

Si la visite de Mara n’avait pour objectif que de rencontrer l’administration comment expliquer la présence à Kidal (et au même moment) de personnalités comme Mahmoud Dicko du haut conseil islamique, de l’ancien ambassadeur Oumrani, chef d’une communauté arabe, de Mohamed Ag Erlaf et d’autres figures non moins influentes mais emblématiques ? Peut-être que le Président du haut conseil islamique du Mali aura l’amabilité de dire au peuple quel rôle lui et beaucoup d’autres ont-ils ou devaient-ils jouer au cours de l’étape de Kidal. A moins qu’ils n’aient été invités à participer (comme nous l’indiquent certaines sources) aux rencontres prévues par le Mnla et le Hcua dans la capitale des Ifoghas ce même week-end. Et si cela était, «ces amis affichés» des rebelles séparatistes et de leurs alliés terroristes du nord Mali doivent des explications à la nation malienne, au  gouvernement du Mali mais aussi et surtout à tous les Maliens qui les ont élus et qu’ils sont censés aller représenter à Kidal où justement le Mali et tous ces symboles ne signifient plus rien.

Après 3 jours de débats houleux, de marches de soutien au gouvernement et à l’armée, d’interprétations diverses, et d’argumentations au plus haut sommet (y compris aux nations unies), les soldats maliens en renfort arrivent à Gao et prennent le chemin de Kidal.

A la surprise de tout un peuple, on apprend ce mercredi 21 mai que les forces armées maliennes ont repris le contrôle de la ville de Kidal d’où ont fui les forces ennemies. Une opération savamment menée par les généraux Mahamane Touré, El Hajji Gamou et Didier Dako. Un ouf de soulagement chez tous les Maliens, une euphorie qui ne durera que quelques petites heures car aux environs de 14 heures déjà, des nouvelles alarmantes commencèrent à semer doute et confusion.

Sur le terrain, la donne est en train de changer car plusieurs dizaines de véhicules et d’hommes lourdement armés ont refait surface et tirent sur tout ce qui bouge. Devant la puissance du feu de l’ennemi et ayant déjà enregistré de lourdes pertes en vie humaine, les soldats maliens abandonnent leurs positions à Kidal pour rallier Anéfis puis Gao, quelques heures plus tard. Une vraie débâcle qui profitera aux insurgés qui ont compris que la force était de leur côté et qu’il pouvait étendre leur conquête sur Ménaka, Andéraboukane, Anéfis, Tessalit, Labbézenga, Ansongo, Léré. Toutes ces localités (à part Ménaka) tombées sans combat parce que les quelques hommes qui y étaient avaient rejoint Gao. Des bilans contradictoires fusent de toutes parts pendant que le cessez-le-feu est décrété par le gouvernement malien. Et la communauté internationale de condamner et de déplorer.

Pauvre Mali. Qui retombe encore dans le déshonneur de la défaite militaire, du désarroi et de la domination de narcotrafiquants, d’intégristes, de mercenaires et autres aventuriers de tous bords.

En fait, on était revenu à la case départ : celle de l’occupation d’une partie du territoire national malgré la présence des amis et partenaires venus au secours. On ne pense plus seulement aux morts car les brimades ont repris sur les populations noires qui par dizaines commencent à « vider les lieux ». A Gao et Tombouctou, les gouverneurs de région sont montés au créneau pour tenter d’apaiser les populations ; les chefs militaires leur emboitent le pas mais la réalité est tout autre car déjà certains services (notamment les banques) ont fermé boutique, abandonnant les clients à leur sort. La panique commence à gagner les populations à la vue de dizaines de soldats blessés et évacués sur l’hôpital de Gao. Les rumeurs les plus folles font état de combattants français et d’avion cargo ayant largué hommes et armes pour aider les insurgés. Le peuple ne sait plus où donner de la tête et déjà des voix s’élèvent pour juger et condamner certains responsables au sommet de l’Etat. On parle d’impréparation, de manque de professionnalisme et même d’insouciance de la part de certains responsables. Les langues se délient et les avis les plus divers son tenus. Il faut des responsables. Peut-être même des boucs émissaires car le peuple veut savoir, à défaut de pouvoir comprendre. Des têtes doivent impérativement tomber. Et des voix pour demander la démission de certains chefs militaires, du ministre de la défense, de son collègue de la sécurité et même celle du Premier ministre accusé par l’opposition parlementaire et les responsables du Mnla, du MAA et du Hcua qui lui imputent la paternité de ce qui s’est passé au nord du Mali.

Entre temps, l’ONU déclare le cessez-le-feu et le président en exercice de l’Union Africaine en visite à Bamako se rend incognito à Kidal pour rencontrer les nouveaux maîtres des lieux et signer en lieu et place du président IBK des accords qui renvoient à la négociation (notamment les accords du 18 juin de Ouagadougou). Il est vrai que « le ridicule ne tue »plus dans ce Mali et on a déjà oublié que le président Mohamed Ould Abdel Aziz a longtemps été considéré comme « très proche » des mouvements armés qui déstabilisent le Mali. Mais que faire, se dit certainement le pouvoir ? Il faut faire avec et tenter de sauver la face alors que le Mali, une fois de plus, se retrouve éprouvé et obligé d’admettre qu’une partie de son territoire est sous contrôle des forces ennemies. En attendant qu’une solution idoine soit trouvée, des communiqués laconiques et autres entrefilets dans la presse essaient de peindre la situation à Kidal. A Washington, Paris et dans plusieurs capitales africaines et européennes, le cas Mali inquiète. A l’intérieur du pays, la panique se généralise et le peuple, bien que mobilisé derrière son armée et son gouvernement, commence à douter de la capacité de ses dirigeants à gérer cette nouvelle crise vu que le Mali ne parle plus le même langage que ses « amis ». Dans le nord du pays, les organisations humanitaires ne savent plus où donner de la tête et des centaines de populations commencent à fuir les zones de combat et même les villes comme Gao et Tombouctou qui apparemment n’étaient pas en danger.

Alors que le gouvernement malien s’acharne à convaincre ces partenaires sur le bien fondé de l’opération du 21 mai, des voix s’élèvent pour demander le départ du Premier ministre et de son équipe «trop» téméraire à leurs yeux. C’est ce moment «fatidique» que choisit Soumeylou Boubèye pour annoncer sa «démission» différemment interprétée par Koulouba pour qui le ministre de la défense et des anciens combattants a purement et simplement été «remercié» par IBK. Quoi qu’il en soit, une grande partie du territoire malien est aujourd’hui occupée par les forces du mal qui profitent du cessez-le-feu et de l’inertie des troupes maliennes pour reconquérir de nouvelles contrées et imposer aux populations «leur loi», celle du plus fort, au grand dam des soldats de Serval et de la Minusma, et surtout devant l’incapacité des pouvoirs maliens qui n’ont autre choix que des pourparlers auxquels le gouvernement malien prendra part très affaibli. En attendant, le facilitateur malien, S.E Modibo Keïta, est récusé par les groupes armés de Kidal qui exigent la nomination d’un médiateur international et la tenue des négociations dans un pays neutre. Pour l’heure, en plus du Burkina Faso, le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie se proposent d’abriter les pourparlers entre les groupes armés et le gouvernement du Mali alors que les autorités de Bamako souhaitent des négociations  inter-maliennes et inclusives sur le territoire du Mali. Une feuille de route avec quatre axes prioritaires (la sécurité dans le nord, le développement, la cohabitation pacifique entre les populations et la gouvernance locale) est en voie d’élaboration par le gouvernement. Ce document renfermera certainement les propositions de plan de paix pour le gouvernement de Mara qui persiste et signe que «le Mali exercera sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire y compris Kidal». C’est dire qu’aux futures négociations dont ni la date ni le lieu ne sont encore connus, le Mali ne parlera ni de fédéralisme, ni d’autonomie encore moins d’indépendance. En attendant, les populations du nord Mali s’en remettent à Dieu et prient pour que les démons s’en aillent pour toujours et à jamais.

Peut-être que d’ici là l’esprit patriotique et l’amour du grand Mali un et indivisible prendront le dessus sur les calculs machiavéliques et autres velléités qui sèment la mort et désolation dans cette partie du pays qui n’a que trop souffert.

Modibo TANDINA, Gao

( A suivre)        

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