«Le journalisme, on l’oublie souvent, c’est aussi prendre des risques et aller sur tous les fronts où se joue l’Histoire. Ce n’est pas dîner en ville où l’on ricane entre people» (Christine Ockrent). Claude Verlon et Ghislaine Dupont sont partis et le monde entier est en deuil. Comme l’écrit René Maran dans Batouala, «Les yeux clos à jamais, pour ce noir village qui n’a pas de chemin de retour».
La nouvelle de l’assassinat à Kidal des deux reporters de Radio France Internationale (RFI), tombée samedi 2 novembre 2013, a été pour tous une douche écossaise : elle est survenue au moment même où les Maliens, impatients, attendaient une opération spéciale de RFI au Mali. Et c’est en préparant un sujet sur Kidal dans le cadre de cette opération que les deux journalistes ont été enlevés, puis exécutés par…par…comment d’ailleurs les qualifier ?
Une nouvelle qui a ébranlé, à n’en point douter, la rédaction de RFI encore haletante d’indignation. Indignation, parce que la mort de ces deux journalistes -dont le professionnalisme ne souffre d’aucun doute -, est une perte énorme non seulement pour cette radio, mais aussi pour le monde de la presse. Indignation encore, parce qu’on a, d’un côté, deux journalistes qui se battent pour la liberté d’information et qui sont morts pour la défendre; et de l’autre, des lâches, des forbans qui, sous les étendards du terrorisme, n’ont pas la honte honteuse de tuer des innocents.
Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, il y a 4 ans de cela, Christine Ockrent, alors à la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France (RFI et France 24), interrogée par François Soudan, a confié ceci : «Le journalisme, on l’oublie souvent, c’est aussi prendre des risques et aller sur tous les fronts où se joue l’Histoire. Ce n’est pas dîner en ville où l’on ricane entre people».
Et pour abonder dans le même sens, on ne peut pas ne pas dire que le journalisme est un métier à risques, même si le risque zéro n’existe pas : en toute chose il y a des risques. Ghislaine Dupont et Claude Verlon, en choisissant de se rendre à Kidal, «où se joue encore l’Histoire», étaient conscients des risques qu’ils prenaient. Surtout qu’ils étaient à leur deuxième mission dans cette partie du Nord du Mali, après s’y être rendus le mois de juillet dernier pour couvrir la présidentielle. Elle, Ghislaine, a plus de 20 ans de carrière ; lui, Claude en a 30 ans. C’est au Mali qu’ils sont tombés, sous les balles d’invétérés assassins. C’est au Mali qu’ils ont été «mangés» par la mort. Ils sont partis, comme l’écrit René Maran dans Batouala, «Les yeux clos à jamais, pour ce noir village qui n’a pas de chemin de retour».
Mais, arrêtons un peu de nous perdre en délire et essayons de saisir la réalité dans cette ville de Kidal qui va au-delà de tout cauchemar. Après la mort de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, il n’y a plus personne à duper à propos de cette ville que des représentants de la Communauté internationale se sont dépêchés de qualifier de «zone de non droit». Les forces onusiennes déployées dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilité au Mali (Minusma), l’armée malienne et les forces de Serval-très concentrées sur le Sahara-, sont dans l’impuissance de «siffler la fin de la recréation» dans cette zone où les armes circulent, comme si nous étions encore en période de guerre civile. On sait aussi que Kidal, c’est le fief des groupes rebelles targui du Mnla, Hcua, Maa, voire des islamistes d’Ançar Dine (dirigé par qui, on sait, Iyad Ag Ghaly). Un cocktail de groupes rebelles qui sont loin de désarmer, en violation de l’Accord du 18 juin qu’ils ont signé à Ouagadougou avec le Gouvernement malien. En effet, cet Accord réaffirme un certain nombre de choses pour le Mali : l’intégrité territoriale, la forme laïque de la République, l’acceptation du principe de désarmement des groupes armés, le retour des forces de sécurité et de défense et le redéploiement de l’administration générale et des services sociaux de base à Kidal. Contrairement à toute tarte de crème, il faut dire que c’est le contraire de tout ce que stipule cet Accord qui se produit à Kidal. Un gouverneur qui n’a rien de gouverneur que son nom, les groupes rebelles demeurant armés jusqu’aux dents et une radio «Radio Azawad» qui, depuis le siège de l’Ortm, distille des propagandes racistes et séparatistes. Kidal, c’est un no man’s land.
C’est pourquoi d’ailleurs, j’adhère au point de vue de Tiébilé Dramé- qui a été l’émissaire spécial du chef de l’Etat malien à Ouagadougou-, dans lequel, il crie à une impuissance nationale et internationale dans la mise en application dudit Accord. C’était sur RFI, en réaction à la mort des deux journalistes.
Boubacar SANGARE