Il est de nos jours indéniable qu’il y a péril en la demeure au Mali avec la situation de plus en plus confuse et alarmante qui prévaut dans son septentrion depuis quelques années. En effet, cette région, géographiquement très excentrée, est notoirement devenue le réceptacle d’hors-la-loi paramilitaires de tout acabit, qui la régentent arrogamment comme en terrain conquis. Pour bien débrouiller l’écheveau de cette nébuleuse aux allures chaotiques, il faut faire un bref état des lieux des forces déclarées ou occultes en présence :
AQMI : Il n’est un secret pour personne que cette organisation y a implanté certaines de ses cellules opérationnelles dans le but principal de s’en prendre aux intérêts de ceux qu’elle considère comme les " croisés " judéo-chrétiens et des gouvernements qu’elle taxe d’en être les suppôts. Face à des adversaires nettement plus forts, ses combattants désespérés opèrent généralement en posant des actes plutôt lâches et aveugles (prises d’otages assorties de rançons, attentats, attaques d’objectifs forts en symbole, etc.)
– Les réseaux tentaculaires de contrebande : Le Sahara malien a toujours été une zone de trafics illicites de tout genre. Les cigarettes ont longtemps été le principal produit qui les alimente mais, depuis 2005, la coke latino-américaine, très lucrative, a aiguisé les appétits voraces des groupes mafieux qui écument ces contrées. Une véritable compétition s’est alors engagée entre des caïds de circonstance, obnubilés par la recherche effrénée d’un profit alléchant : un terreau particulièrement propice à la prolifération des armes de tout calibre et à l’explosion d’une criminalité organisée transfrontalière redoutable !
– Les filières des migrations clandestines sur l’Europe, favorisées par les facilités que les étrangers – candidats à ces voyages bien souvent sans retour – ont de se procurer des papiers maliens, pour les détenteurs desquels, aucun visa d’entrée n’est requis en Mauritanie, au Maroc, en Tunisie et en Algérie.
– Un groupe marginal de transfuges irrédentistes des anciens mouvements d’opposition armée au Nord, spécialisé dans la surenchère mercantiliste (dissidents de l’Alliance du 23 mai, éléments des milices dites " arabes " et " imghad " mal recyclés dans la vie civile, Gandiso, etc).
Il faut préciser que des connexions puissantes peuvent exister entre ces divers acteurs, apparemment hétéroclites, lorsque leurs intérêts stratégiques et immédiats convergent. Dans la pratique, les plus dangereux se prêtent, le cas échéant, mutuellement main forte, car ils sont tous mis indistinctement au ban de la société, dont ils rejettent et violent allègrement les règles de bonne conduite internationalement admises.
Symétriquement à ces menaces graves et quasi permanentes, notre Sahara suscite de multiples autres convoitises inavouées qui concourent aussi à le mettre dans l’œil du cyclone. Les fortes odeurs de pétrole qu’il dégage, les mines d’uranium qu’il recèle et sa position géostratégique à bien d’égards idéale en font inexorablement un champ où s’affrontent les intérêts les plus controversés des grandes puissances de ce monde. Ainsi donc, d’autres intervenants plus sournois troublent aussi constamment sa sérénité et contribuent à radicaliser de nombreuses positions, habituellement hostiles à ces formes d’ingérence :
– Les services algériens, pour qui le nord du Mali, étant le prolongement naturel de leur propre territoire, est une extension vitale qu’il faut coûte que coûte avoir dans leur giron. Aucune autre présence étrangère ne saurait donc y être tolérée. Ils ont toujours joué au pyromane-pompier à l’occasion des rebellions récurrentes qui ont secoué la région et y supervisent présentement l’essentiel de la recherche pétrolière. Des mauvaises langues les accusent même d’instrumentaliser certains groupes islamistes actifs sur place pour conforter leur suprématie. Un fait reste en tout cas troublant : leurs équipes sont restées de longs mois à Taoudenit et n’ont jamais été inquiétées par la mouvance salafiste, pourtant fortement présente sur ces latitudes et réputée très remontée contre eux. Autre énigme : comment les cargaisons de cocaïne, qui franchissent les frontières reconnues poreuses du Mali, se retrouvent-elles ensuite dans les " go fast " méditerranéens ?
– Les services américains, qui recherchent désespérément un siège approprié pour leur Commandement Militaire en Afrique, sont aussi une autre pièce du puzzle parce qu’ils auraient, dans ce cadre, des visées persistantes sur la localité de Tessalit (un des lieux-dits de la planète les mieux pourvus d’une couverture satellitaire optimale). Naturellement, leurs collègues algériens et français regardent d’un très mauvais œil, avec des motivations antagoniques, cette tentation hégémonique.
– Les services français considèrent la région comme une partie de leur pré carré inviolable. Ses ressources naturelles doivent, à leur entendement, prioritairement servir à faire prospérer leurs industries et ses institutions politico-administratives, calquées sur leurs modèles, pour bien se laisser apprivoiser. Eux aussi agissent donc, souvent dans l’ombre, pour que les autres ne viennent pas leur ravir un premier rôle dont ils restent historiquement jaloux.
– Les services du Général Abdoul Aziz pour qui toutes les katiba d’AQMI, paradant sur ce vaste no man’s land sahélo-saharien ont, avant tout,
Cette escalade diplomatique rappelle une histoire qui s’est déroulée aux premières heures de la pénétration coloniale dans la région de Tombouctou. Le Chef des Kel Antessar de l’Ouest, devant la supériorité militaire écrasante de l’envahisseur (et après avoir subi de nombreux revers tragiques) a décidé de faire la paix avec lui. Ayant appris la nouvelle, le Chef des Kel Antessar de l’Est, furieux, lui a écrit pour demander l’article de la loi islamique sur lequel il s’est fondé pour pactiser avec des mécréants. Il lui répondit alors en ces termes laconiques : "Cher frère, quand ils seront à ton niveau, tu retrouveras cette référence toi-même ! "
Les services libyens et même burkinabé jouent aussi des cartes non moins importantes dans " la gouvernance " visiblement partagée de la sécurité du Nord de notre pays.
Les questions qui se posent maintenant sont : que doit faire le gouvernement malien pour tirer son épingle du jeu, face à cette somme de menaces pernicieuses, que ni son Armée, ni son opinion publique ne sont pas encore préparées à affronter ? Faut-il continuer à privilégier la politique de l’autruche ou croiser le fer, dans une guerre des sables aventureuse, avec un ennemi insaisissable qui tergiverse encore à " découvrir son front " ouvertement contre nous?
ATT a l’habitude de dire qu’aucun des groupuscules armés qui ont fait des confins de notre Sahara un de leur sanctuaire, n’a demandé de visa encore moins de titre de séjour pour s’y établir au gré de ses pérégrinations. Il ne cesse aussi de rappeler que la mobilité transfrontalière avérée dont ils font montre doit interdire, à tout esprit honnête, de leur donner une quelconque " adresse postale ", même éphémère.
Il s’agit donc d’une équation transversale, qui concerne au premier chef, tous les riverains de cette vaste zone grise que tous les tracés approximatifs situent sur les lisières de plusieurs pays à la fois.
La position de " ni guerre, ni paix " que le Président ATT affiche face à ces " faucons " du désert – sans loi peut-être mais avec une foi souvent inébranlable – est incontestablement la plus sage en attendant que tous les Etats impliqués décident vraiment d’en découdre de concert. On n’ira évidemment pas jusqu’à passer, comme les italiens en Afghanistan, des accords secrets moyennant finance avec eux, pour se prémunir de leurs agissements imprévisibles mais, on fera tout pour les tenir en respect jusqu’à ce que l’ensemble des protagonistes intéressés par cette bande acceptent de se retrouver autour d’une table pour discuter franchement de tous les contours de cette épineuse question.
Une autre " mesure conservatoire " doit aussi consister à traquer sans répit les narcotrafiquants pour limiter les risques d’utilisation de nos établissements bancaires et de notre patrimoine immobilier dans le processus de blanchiment de l’argent sale qui circule à flots dans notre pays. Les " nouveaux riches ", qui sont en train de se la couler douce dans les buildings luxueux bamakois généralement achetés cash, ne doivent dormir que d’un œil jusqu’à ce qu’ils fournissent des explications convaincantes sur les origines douteuses de leurs fortunes colossales subites.
Il faut également accélérer la mise en place effective d’un état civil fiable afin que nos documents internationaux de voyage, cessent de se vendre comme de petits pains et de servir d’ingrédients pour alimenter une délinquance rampante portant sur la falsification à outrance de nos pièces d’identité.
On le voit, la stabilité de notre septentrion est certainement hypothéquée pour longtemps par ce catalogue d’intérêts disparates pour le contrôle desquels, des meneurs de jeu souvent sans visage – qui sont loin d’être des enfants de chœur – se livrent une guerre mortelle de positionnement.
Notre grande Nation séculaire, qui vient de fêter en grande pompe son cinquantenaire d’existence moderne, doit puiser en elle les ressources nécessaires pour surmonter victorieusement cette accablante adversité. Et pour que cela soit réellement possible, il faut qu’on arrête la stigmatisation fantaisiste de certains groupes ethniques, notamment " les Touaregs ", chaque fois qu’un acte répréhensible – même manifestement isolé – est commis sur ce vaste corridor dont la vocation criminogène est unanimement aujourd’hui reconnue. Actuellement, il ne se passe malheureusement pas un jour sans qu’une radio, un journal, un site WEB et même un officiel ne culpabilise abusivement " les Touaregs " parce qu’AQMI a commis un forfait – qu’elle revendique d’ailleurs publiquement – ou qu’un individu enturbanné a volé un véhicule à Kidal ou Léré.
Al-Qaïda compte certainement dans ses rangs une minorité de Touaregs mais aussi des Américains, des Français, des Haoussas, des Mossis, des Somaliens, des Arabes, etc. Beaucoup de Touaregs sont aussi engagés, il est vrai, au service de nombreux réseaux criminels. Mais, il faut surtout se rappeler que chaque société du monde a son élite et sa lie !
C’est pourquoi, il est absolument scandaleux de tomber dans des amalgames faciles ou de conclure à des généralisations abusives en épinglant, sans discernement, " les Touaregs " comme une espèce de fauves, simplement parce que des ressortissants présumés de leur communauté ont eu à commettre un fait détestable. En effet, de plus en plus, les gens ont tendance à réagir par des raccourcis diaboliques qui mettent " les Touaregs " sur la sellette, peut être inconsciemment, comme l’éleveur de moutons qui constate à son réveil que des prédateurs ont dévoré nuitamment des bêtes dans sa bergerie et qui s’exclame : " Ce sont les chacals ! "
De la même manière, dès qu’un crime odieux est perpétré dans ces régions, on pointe arbitrairement un doigt accusateur en s’écriant avant la moindre enquête : " Ce sont les Touaregs ! "
Il n’y a pas de mot si fort, par exemple, pour exprimer à quel point ces derniers ont été profondément blessés par la salve de dénonciations infondées dont ils ont fait atrocement l’objet au lendemain de la stupéfiante prise d’otages d’Arlit.
Dans la région de Sikasso, des braquages violents sont fréquents sur nos routes. Cependant, il est, par exemple, totalement absurde de les imputer aux Senoufos ou aux Miniankas, même dans le cas où il ya une forte probabilité que des membres de ces valeureux groupes ethniques en soient les auteurs.
Pour raffermir davantage notre unité nationale maintes fois mise à l’épreuve ces derniers temps, il faudrait que le sentiment d’appartenance à
Le grand Mali de nos rêves ne se réalisera qu’à ce prix !
Par Mohamed Ag Ahmedoun