Ibrahim Ag Bahanga : La menace permanente

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Le 16 janvier, RFI consacrait une émission spéciale à la sécurité dans le Nord du Mali, nous rappelant les périls encore vivaces. Le temps est pourtant  à la paix et aux discours de réconciliation. Mais l’irréductible chef de guerre Ibrahim Ag Bahanga n’a pas dit son dernier mot. Nous avons regroupé les faits et détails, les informations, pour disséquer la stratégie de celui qui continue à croire que l’Azawad ne fait pas partie du Mali. Il est écrit dans le ciel que nous en entendrons encore parler…

Nous sommes au milieu des années 90. Après quatre ans d’un mandat tourmenté, marqué par l’agitation permanente des groupes politiques et sociaux à Bamako, des tentatives de renversement du pouvoir démocratique et un redressement économique qui piétine, Alpha Oumar Konaré a enfin un motif de satisfaction. Le Septentrion est apaisé. Après des dizaines de mois de guerre civile, d’attaques meurtrières, d’opérations de ratissages, d’offensives et contre-offensives, les armes se sont tues. Les rebelles du Nord, réunis sous l’appellation MFUA (Mouvements et forces unifiées de l’Azawad), les Gandakoy et les francs-tireurs à leur propre compte ont tous trouvé satisfaction dans le Pacte national. Symboliquement, la Flamme de la paix est allumée et des armes brûlées. Toutes les commissions sont en place, notamment celle qui est chargée du recrutement dans l’armée et de l’attribution des grades.

Pendant tout le processus politique, un homme se tient résolument à l’écart. Il attend seulement la décision de la commission : A quel niveau reconnaîtra-t-on sa valeur militaire ? Cet homme se nomme Ibrahim Ag Bahanga. Il n’est pas instruit en français, il n’aime pas parler. Il rumine une rancune tenace contre l’Etat malien en souvenir d’un épisode tragique de sa vie au début des années 60. Il a connu les grandes famines, l’exode et ce qu’il considère comme un « mépris » souverain de sa région par les « Sudistes ». Une note de la Sécurité d’Etat, datant de 1995, le décrit comme un homme « renfermé, pas bavard, cruel et sans état d’âme ». Bahanga fait ce qu’on lui demande de faire et prend des initiatives personnelles pour se  « venger ».

Dans la tête de cet homme qui se vante d’avoir dirigé des raids meurtriers « réussis » jusques dans le cercle de Tenenkou et à Toguèrècoumbé, d’avoir fait un tour dans le Sud sans être capturé, l’attribution des grades est importante même s’il fait mine de ne pas trop s’y intéresser en disant à ses amis qu’il est « un simple berger qui lutte pour la cause ». Cependant, Bahanga est un chef militaire du MPA (Mouvement populaire de l’Azawad) qui a pour leader politique, un certain Iyad Ag Ghali dont on entendra toujours parler. Il surveille de près une autre décision : Quel grade sera attribué à Elhadj Ag Gamou, brutal chef militaire de l’ARLA (Armée révolutionnaire pour la libération de l’Azawad). L’ARLA était un groupe sanguinaire, ne faisant pas de choix stratégiques, attaquant et tuant pour toutes les raisons possibles et imaginables. En outre, Bahanga est un Ifogha et Gamou, un Imgad. Une rivalité séculaire écrite dans le sang oppose les deux clans et surtout, quand Gamou avait osé attaqué et tué par surprise des éléments du MPA, Bahanga avait juré de l’occire un jour. Il n’avait d’ailleurs pas épargné les véhicules d’Abdou Salam Ag Assalat, opérateur économique de Kidal qu’on ne pouvait soupçonner d’animosité envers le MPA.

 

A l’époque, rappelons-le, le gouvernement du Mali qui voulait à tout prix la tête de Gamou et de Zahabi, le chef du Front islamique arabe de l’Azawad, avait doté le MPA en puissants moyens militaires pour traquer l’ARLA et l’anéantir. El Hadj Ag Gamou avait pris la fuite. Il avait réussi à se réfugier auprès des Chammamanas du Front patriotique pour la libération de l’Azawad, FPLA. Zeidan Ag Sidalamine, actuellement diplomate qui rentre d’un séjour en Chine, chef politique de cette fraction a refusé de la livrer au MPA, lui sauvant ainsi la vie car s’il avait été remis à ses ennemis, ils l’auraient pendu haut et court. Dans le sillage de Gamou, Ibrahim  Ag Bahanga retrouve Ahmedou Ag Badi, reconnu coupable de mort d’homme, condamné à perpétuité et gracié après plusieurs années de prison. C’est ce Badi qui est aujourd’hui accusé d’être le chef des « milices de Gamou » selon les détracteurs du Comzone de Gao.

Toujours est-il que la commission chargée d’attribuer les grades commet une erreur qui rattrapera le Mali, dans le sang, plusieurs années après, car Bahanga considère sa décision comme une tentative d’humiliation. Ibrahim Ag Bahanga qui se considère chef militaire le plus valeureux, le plus courageux et le plus téméraire du MPA, premier mouvement rebelle, hérite du grade de « caporal » dans la garde nationale. Pour lui, c’est une injure. D’autant plus que son cousin sans lequel il ne fait rien au monde, Hassan Fagaga, est admis officier de la garde nationale. Bahanga considère que le seul fait qu’il ne soit pas lettré en français est l’objet du mépris. Il ne comprend pas le classement de Gamou au grade d’officier. S’il s’agit de crimes commis pendant la rébellion, il est aussi « coupable » que ce dernier. En plus, celui qu’il a pourchassé et qui s’est réfugié auprès  d’un autre clan ne peut avoir plus de valeur militaire que lui. Il pense aussi que les hautes autorités de l’Etat ne lui ont pas pardonné les descentes meurtrières au Sud. Pour Bahanga, c’est désormais une affaire d’honneur et d’orgueil.

 

Dans l’entendement d’Ibrahim  Ag Bahanga, le Pacte national, la Flamme de la paix, les intégrations sont de nul effet. En revanche, il est content d’obtenir de l’Etat, l’érection de son patelin en Commune et en cercle. Tin Essako pouvait se voir sur la carte du Mali et le chef de guerre veut « cultiver » son jardin et élever son bétail en toute tranquillité. Il rumine sa colère et attend son moment. Car, pour Ibrahim  Ag Bahanga, une querelle ne finit jamais. Il obtient la promesse ferme de trois notables de Kidal que jamais, il ne se retrouvera en état de nécessité et pour Iyad Ag Ghali, cet impétrant guerrier est une carte à jouer sur l’échiquier politique. Il a besoin de cette réserve militaire pour maintenir son statut social et son train de vie ostentatoire.

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