Hassan Fagaga. Instigateur de l’attaque du 23 mai 2006 au Mali : « Il faut un statut particulier pour Kidal »

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Le Colonel Hassan Fagaga est une figure emblématique de la rébellion touareg au Mali. Il s’est rendu célèbre pour avoir organisé et exécuté l’attaque du 23 mai 2006 contre deux garnisons à Kidal. Dans cet entretien, il explique les raisons de cette opération en posant les conditions d’une paix durable dans la région.

Vous êtes une haute figure de la rébellion touareg au Mali. Vous êtes notamment connu pour avoir dirigé la fameuse attaque du 23 mai 2006 à Kidal. Pourriez-vous nous raconter comment cette attaque a été planifiée et exécutée ?

En réalité, il n’y a pas eu vraiment de planification. Cette opération a été le résultat du traitement qui a été réservé à notre cause, et ce, depuis la colonisation française. La façon dont nous sommes traités nous oblige à nous défendre. Ce soulèvement n’est pas le premier du genre, mais le troisième. Le premier soulèvement remonte à 1963. La raison en était l’exclusion des Touareg de la gestion des affaires de l’Etat après l’indépendance du Mali en 1960. Le gouvernement par le passé a toujours eu un comportement hostile envers la population de la région. Après, il y a eu le soulèvement dirigé par Iyad Ag Ghali en 1990. De 1963 à 1990, il n’y a pas eu le moindre dialogue entre les Touareg et le pouvoir central. Il y avait une répression militaire féroce.

Le Mali, à l’époque, était dirigé par un pouvoir militaire dictatorial, un pouvoir dur, surtout dans notre région où tous les responsables étaient des militaires. Il est à noter que la rigueur de la dictature n’était pas aussi forte dans les autres régions du Mali, notamment le Sud. Il y avait donc une discrimination criarde vis-à-vis de notre population, que ce soit sous Moussa Traoré ou bien Modibo Keita. Tous les pouvoirs successifs nous regardaient, nous, les Touareg et les Arabes du Nord comme des sous-citoyens. C’est la vérité. Nous n’étions pas considérés comme des citoyens à part entière. Ils voyaient en nous des ennemis qu’il fallait soumettre à un régime particulier. En 1990, il y a eu l’insurrection qui a débouché sur les accords de Tamanrasset. Après, il y a eu le Pacte national en 1992 après le coup d’Etat d’ATT (Amadou Toumani Touré).

Vous étiez satisfait du contenu du pacte national ?

Le pacte a reconnu nos droits, mais il demeurait incomplet. Encore fallait-il qu’il fasse ses preuves sur le terrain. Jusqu’à présent, nous ne voyons pas beaucoup d’effets de l’application de ce pacte.

C’est ce qui vous a poussé à provoquer l’attaque du 23 mai ?

En effet. Dans le pacte national, il y avait des clauses qui ne résistaient pas à l’épreuve du terrain. Nous nous sommes d’ailleurs plaints de la non-application de certains points et nous avons poursuivi les négociations 3 ans durant. Moi-même, j’ai pris part à des négociations secrètes qui avaient lieu à Bamako de 2003 à 2005. Nous avons voulu attirer l’attention des autorités sur certains dénis flagrants. Dans le pacte national, il était convenu qu’un certain nombre de nos éléments devait être incorporé dans l’armée et dans les différents appareils de l’Etat ainsi que les services de sécurité. Mais nous avons constaté qu’il y a eu très peu de recrutements dans ce sens.

Nous avons signalé cela à nos responsables politiques. Nous avons rencontré des ministres et des dirigeants de l’état-major de l’armée et avons attiré leur attention sur les conséquences dangereuses de cette démarche. Il y avait une discrimination de fait à l’égard des Touareg en les écartant des services de sécurité. Notre population avait besoin d’être représentée au sein de l’armée, de la Garde nationale et dans les ministères, ne serait-ce qu’avec un petit nombre. Mais cette revendication n’a pas été satisfaite. C’est tout cela qui a provoqué l’attaque du 23 mai.

Justement, vous qui êtes au grade de colonel, comment êtes-vous parvenu à ce grade et quels sont vos rapports avec l’armée malienne ?

Il faut savoir que je n’ai intégré l’armée malienne qu’en 1996. J’ai été formé à l’étranger. J’ai fait ma formation dans les pays arabes, principalement en Libye et en Syrie. J’ai pris part aux guerres du Moyen-Orient, y compris celle de 1973. J’ai même vécu le siège de Beyrouth en 1982. Ce n’est qu’en 1993, après la signature du pacte national, qu’on a commencé à intégrer petit à petit l’armée malienne. Cette année-là, il y a eu une première promotion de 200 éléments touareg qui ont été incorporés dans l’armée, du grade de soldat à celui de commandant. Après, il y a eu un deuxième groupe en 1996, du grade de simple soldat à celui de lieutenant-colonel.

Pour revenir à l’attaque du 23 mai, comment s’est passée exactement l’opération ? Vous étiez basés où quand vous avez pris le maquis ?

Nous étions basés dans la région de Tigharghar. Il faut savoir que j’avais pris le maquis en mars 2006. Au total, je suis resté quatre mois au maquis. Après avoir déserté l’armée, je suis d’abord parti à Tinzaouatine. Je suis resté deux mois et demi. Ensuite, je me suis déplacé avec mes hommes vers les maquis de Tigharghar et de Tessalit. L’attaque s’est produite principalement à Kidal. Il y a eu une autre opération de moindre envergure à Ménaka. J’étais à la tête d’environ 75 hommes. Nous avons opéré une frappe surprise en donnant l’assaut à 5h. Nous avons choisi cette heure parce que les militaires, qui patrouillent à l’extérieur, ne sont pas encore rentrés à la caserne. Nous les avons devancés à leur cantonnement avant leur retour.

Nous avons foncé à bord de nos véhicules et pénétré de force à l’intérieur des garnisons. Il faut savoir qu’une fois à l’intérieur d’une caserne, il est très difficile de déloger les assaillants si bien que nous n’avons rencontré aucune résistance. Il convient de souligner que l’opération n’a pas fait beaucoup de pertes. Il y a eu deux tués dans chaque camp. Il faut dire que nous avons veillé à éviter le maximum de pertes pour les deux parties. En revanche, nous nous sommes emparés d’une grande quantité d’armes. Il y avait toute sorte d’armes et de tout calibre. Il y avait aussi des armes lourdes que nous n’avons jamais utilisées.

Etiez-vous structurés dans une organisation ?

Non, nous n’étions pas dans une organisation. Il n’y avait que Hassan Fagaga et ses hommes. Il n’y avait pas de structure qui me soutenait. Après l’attaque, nous sommes revenus dans nos retranchements et nous avons attendu. Il y avait les médias étrangers qui étaient en contact permanent avec nous. Nous avons utilisé ce canal pour expliquer que nous n’avions fait que défendre nos droits et que nous étions tout à fait disponibles pour les négociations.

Est-ce à dire que c’est plus l’impact psychologique que vous recherchiez ? Vous n’aviez pas la volonté de déclencher une guérilla durable…

Si nous avions voulu la guerre pour la guerre, nous aurions réitéré nos attaques et verrouillé toutes les voies du dialogue. Ce que nous n’avons pas fait. Nous avons pensé cette attaque comme un avertissement.

Comment se sont déroulées les négociations ?

Tous les contacts extérieurs se faisaient avec Hadj Iyad Ag Ghali qui nous avait rejoint au maquis. Nous avons exigé d’emblée une médiation étrangère et laissé le soin au gouvernement de choisir un partenaire. Il y a eu quatre candidats : les Etats-Unis, la France, la Libye et l’Algérie. Nous sommes restés une semaine, après, nous avons appris que l’Etat malien avait choisi l’Algérie. Le principal point d’achoppement lors des négociations était de reconnaître les spécificités de la région.

Quelles spécificités ?

Il y a beaucoup de problèmes auxquels est confrontée cette région et nous avons dit qu’il lui fallait un statut particulier. Le gouvernement voit dans cette revendication une menace à l’intégrité territoriale du pays alors que nous y voyons, au contraire, un facteur de stabilité. Le gouvernement voit les choses différemment et aujourd’hui, nous sommes dans l’impasse. Personnellement, je ne vois aucune solution dans l’état actuel des choses. Il faut savoir qu’après l’indépendance du Mali en 1960, au moment où la France s’apprêtait à quitter la région, nous, le peuple noir, ne l’avions jamais connu. Nous ne savions rien de cette partie du Mali. Quatre responsables sont venus [de Bamako] et ont dit à nos notables : choisissez entre nous et les Français. Nous, nous sommes des musulmans comme vous, alors qu’ eux, sont des « koufar ». L’erreur a été donc commise dès le départ.

Pensez-vous qu’une démarche indépendantiste est la solution ?

Je vous dis cela au moment de l’indépendance du Mali. Aujourd’hui, les choses se présentent différemment. L’erreur a été commise, on l’endosse.

La décentralisation ne répond-elle pas à ce souci d’autonomie ?

La décentralisation nous fait plus de tort que de bien. Pourquoi ? La décentralisation signifie qu’en ce qui concerne la commune, le cercle, la région, chacun se gouverne seul en puisant dans ses propres ressources. Or, il se trouve que notre région n’a pas de richesses. Nous n’avons ni ressources humaines ni ressources naturelles. Nous n’avons même pas de recettes fiscales. C’est une région pauvre, aride, qui a soif. Quand on demande à une commune comme Tinzaouatine (frontières algéro-maliennes) de vivre de ses ressources agricoles et de ses impôts, c’est comme si vous la condamniez à mort. Notre population manque d’instruction, de cadres. Nous ne sommes pas préparés à l’exercice de la responsabilité. Il faut du temps pour former les gens. Dans 20 ans, peut-être, les gens seront prêts pour la décentralisation.

Vous venez d’être nommé à la tête des unités spéciales. Quelle est la mission qui vous a été assignée ? On a évoqué la possibilité de vous associer à des opérations de lutte contre le terrorisme dans la zone Sahel, surtout depuis que le GSPC essaie de s’implanter au nord du Mali…

Rien n’est encore clair à ce propos. Nous n’avons pas discuté de ces aspects. Pour l’instant, nous sommes dans l’attente. Il a été créé un groupement spécial, un commandement opérationnel, ici, à Kidal. Nous avons une unité d’environ 200 éléments qui est stationnée à Tinizi. Nous sommes dans l’expectative.

Quelle appréciation faites-vous de l’accord d’Alger ?

Cet accord ne nous satisfait guère. Mais nous avons fait preuve de compréhension. Je pense que nous avons fait beaucoup de concessions. Il n’y a pas un seul point qui répondait à la réalité de ce que nous revendiquons. Nous, ce que nous exigeons, c’est de tenir compte des spécificités de la région. Or, il n’y a aucune clause qui parle de cela.

Est-ce à dire qu’en une année, il n’y a pas eu beaucoup de choses qui ont été réalisées ?

Ces derniers temps, on nous avait sorti l’excuse de la tenue de l’élection présidentielle pour justifier les lenteurs. Après, on a dit qu’il fallait attendre la constitution du nouveau gouvernement. Mais il n’est toujours pas constitué. Quand tout sera en place, nous verrons quelles seront les excuses qui vont être avancées. Pour l’instant, nous n’avons rien vu de concret.

Ce statu quo explique-t-il, selon vous, le coup d’Ibrahim Bahanga du 11 mai dernier ?

Concernant l’affaire Ibrahim Bahanga, je condamne fermement en premier lieu l’attitude de l’armée malienne pour ce qu’elle a fait juste avant cette attaque. En même temps, je condamne l’action d’Ibrahim Bahanga. Ce qui s’est passé, c’est que l’armée était sortie dans une opération de patrouille dans le désert. Elle a fouillé les gens. Une fois sa patrouille terminée, elle est allée provoquer Ibrahim en sachant pertinemment qu’Ibrahim Bahanga n’est pas tellement à l’aise par rapport à l’accord [d’Alger]. Les militaires ont poussé la provocation très loin afin d’amener Ibrahim à riposter. Et Ibrahim a fini par le faire. Donc, il me semble que les militaires sont tout aussi coupables dans cette affaire qu’Ibrahim.

Pensez-vous qu’Ibrahim Bahanga, qui est tout de même un cadre de l’Alliance, constitue une menace pour l’accord de paix ?

Je ne sais pas. Mais je dirais que si l’accord est respecté et appliqué, Ibrahim ne sera pas un problème pour l’accord. Il restera isolé. Mais si, au contraire, l’accord est bafoué, Ibrahim va gagner le cœur des gens. A ce moment-là, tous les exclus et les mécontents vont trouver une nouvelle alternative dans Ibrahim. D’ailleurs, ici, les jeunes commencent à dire qu’Ibrahim a raison parce que le gouvernement ne prend pas sérieusement en charge leurs revendications.

Pour conclure, la rébellion touareg pourrait-elle renouer avec l’action armée d’après vous ?

Dieu seul le sait. Pour le moment, nous sommes dans l’expectative. La plupart des points de l’Accord d’Alger n’ont pas été appliqués. Nous sommes encore en situation de crise.

Mustapha Benfodil
El Watan du 24 juin 2007

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