Guerre au Mali : soutiens prudents, réserves timides

5
Un hélicoptère de l’armée française à Sévaré. © AFP

Soulagement de voir la menace terroriste traitée, influences islamistes, opposition à toute ingérence occidentale… Les capitales subsahariennes et arabes doivent composer.

Afrique subsaharienne

Rien. Encéphalogramme plat. Depuis l’entrée en guerre de la France en terre malienne, le 11 janvier, et malgré l’annonce, quelques jours plus tard, que plus de 2 500 soldats français seraient envoyés sur place et que cette présence était appelée à durer, pas une voix officielle subsaharienne n’est venue troubler l’approbation générale. Aucune diatribe anticolonialiste, comme on a pu en entendre en France. Pas même un soupçon de critique. Qu’ils soient anglophones, lusophones ou francophones, tous les chefs d’État ou de gouvernement de l’Afrique subsaharienne ont soit applaudi, soit gardé le silence. Si tant est qu’il existe des doutes quant aux bienfaits de cette intervention, ils sont tus.

L’Afrique du Sud, habituellement prompte à dénoncer l’interventionnisme occidental sur « son » continent et dont les désaccords avec la France ont été récurrents ces derniers temps (Côte d’Ivoire, Libye, Madagascar) ? Elle adhère. Certes, Jacob Zuma a observé le silence, mais en approuvant du bout des lèvres l’intervention française, son ex-épouse, la présidente de la Commission de l’Union africaine (UA) Nkosazana Dlamini-Zuma, a en quelque sorte parlé pour lui. Pretoria s’est même engagé à fournir un appui à la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) conduite par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). D’autres pays plus ou moins éloignés de la zone d’influence française (le Burundi, la Tanzanie et le Rwanda) ont eux aussi promis d’apporter leur concours à cette opération.

La présidente de la Commission de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma, le 4 décembre 2012 à Addis Abeba
© AFP

Et les autres ? Mugabe, le président zimbabwéen, qui n’a pas de mots assez durs pour dénoncer l’impérialisme blanc, est absent du débat. Il faut dire que les élections approchent chez lui. Dos Santos, dont les ambitions sous-régionales sont régulièrement contrecarrées par la résistance de la Cedeao, a jugé l’opération Serval salutaire. L’Angola étudie même la possibilité d’apporter « un appui financier ou matériel » à la Misma. L’Éthiopie et l’Ouganda applaudissent aussi. « Avec les Shebab qu’ils combattent en Somalie, ils sont bien placés pour savoir qu’il était urgent d’agir au Mali », souligne un diplomate d’un pays sahélien.

Cet unanimisme au sud du Sahara a de quoi surprendre. Les opérations militaires françaises en Afrique ont toujours créé leur lot de polémiques. Un ministre ouest-africain des Affaires étrangères l’explique par « le soulagement » des chefs d’État. « Tout le monde était conscient qu’il fallait agir, analyse-t-il, car chacun connaît la réalité de la menace terroriste et de l’effondrement de l’État malien. D’autant que les pays de la région en étaient incapables car, en face, il y a des combattants bien formés et surtout très bien armés. Même les puissances africaines s’étaient fait une raison : il fallait que la France intervienne. »

Quant à savoir si ce soutien massif résistera au temps, c’est une autre histoire. Mais comme le souligne un général ouest-africain, avec l’arrivée des troupes tchadiennes (2 250 hommes seront mobilisés), la mise en place d’une véritable force d’intervention ouest-africaine (la Misma, qui devait initialement compter 3 300 soldats, pourrait être plus fournie encore) et la probable implication de trois grandes puissances continentales (Nigeria, Afrique du Sud et Angola), « on ne pourra plus dire que c’est une guerre de la France »… Rémi Carayol

________

De Nouakchott à Doha

Mauritanie. Lors d’un meeting à Nouakchott le 16 janvier, la Coordination de l’opposition démocratique (COD) au président Mohamed Ould Abdelaziz a condamné l’intervention française, surtout pour dénoncer par avance un éventuel engagement de la Mauritanie. Unissant leurs voix derrière leur leader, Ahmed Ould Daddah, les opposants mettent ainsi la pression sur le chef de l’État, qui a déclaré à Abou Dhabi que le pays était prêt à apporter son aide à son voisin « si le Mali lui en [faisait] la demande ». Pour l’opposition, la priorité est de sécuriser le territoire national, qui partage avec le Mali plus de 2 200 km de frontières. En réalité, la COD est hostile à toute ingérence dans les affaires maliennes, depuis le raid mené conjointement par Paris et Nouakchott en 2010 pour tenter de libérer l’otage français Michel Germaneau, mort entre les mains d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Maroc. Les premières réactions hostiles à l’opération menée par la France au Mali ont été l’oeuvre de cheikhs de la Salafiya Jihadiya. Le trio Hassan Kettani, Abdelwahab Rifki et Omar Haddouchi a dénoncé une « agression » et une « immixtion dans les affaires des musulmans ». Même son de cloche chez Mohamed Al Maghraoui, une autorité du camp salafiste. Plus nuancé, le Mouvement Unicité et Réforme (MUR), matrice du Parti de la justice et du développement (PJD, au pouvoir), « refuse par principe » l’action de la France au Mali, tout en condamnant « l’intégrisme, la sécession et le recours à la violence ». Bel exercice d’équilibriste…

Algérie. Même la prise d’otages d’In Amenas n’a pas étouffé les critiques contre la guerre au Mali. Parmi les islamistes opposés à l’intervention française, l’inévitable Ali Benhadj, cofondateur du Front islamique du salut (FIS). Il a mobilisé un petit groupe de fidèles de la mosquée Al-Wafaa dans le quartier Kouba, à Alger. Mais la vraie question qui a fait débat est l’autorisation de survol accordée aux avions français, annoncée par Laurent Fabius le 13 janvier. Beaucoup de commentateurs ont été surpris que pareille annonce soit faite par le chef de la diplomatie française. En pointe pour dénoncer une bénédiction présidentielle à une « guerre néocolonialiste », des partis d’opposition, parmi lesquels le Front des forces socialistes (FFS de Hocine Aït Ahmed) et les trotskistes du Parti des travailleurs (PT de Louisa Hanoune). Il n’empêche, pour Abdelaziz Rahabi, diplomate à la retraite qui s’exprime beaucoup dans El-Watan : « On ne peut être contre le terrorisme international et s’opposer à cette intervention militaire. »

Libye. Le chef du gouvernement de transition, Ali Zeidan, a formulé une opinion surprenante et pour le moins confuse sur l’intervention française. Tout en disant comprendre « les décisions prises par le gouvernement du Mali en réponse à la crise », le Premier ministre n’a pas soutenu Paris : « Nous rejetons les attaques au Mali. La position libyenne est claire, nous demandons qu’une chance soit donnée au dialogue. » Au moment où beaucoup d’observateurs rappellent que la chute de Kaddafi a provoqué un afflux de Touaregs, avec armes et bagages, au Nord-Mali – ils ont gonflé les rangs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et d’Ansar Eddine -, Tripoli s’inquiète de leur éventuel retour. L’effet boomerang en quelque sorte. Au fait : qu’en pense Bernard-Henri Lévy ?

Le président égyptien Mohamed Morsi s’est opposé à l’opération Serval. ©Sipa

Égypte. Lors de la séance d’ouverture du sommet économique de la Ligue arabe à Riyad le 21 janvier, le président égyptien Mohamed Morsi a exprimé son opposition à l’opération Serval : « Nous n’approuvons pas du tout l’intervention militaire au Mali, qui est de nature à attiser le conflit dans la région [Sahel, NDLR] et à séparer l’Afrique du Nord arabe de sa profondeur au sud. » Morsi s’est empressé également de dénoncer la violence et l’intégrisme, demandant à ses homologues de « se tenir aux côtés de l’Algérie, contre l’atteinte à son indépendance et à sa souveraineté ». Une position « délicate et mesurée », selon le raïs, mais qui semble surtout calquée sur celle de son parti, les Frères musulmans, qui ont appelé à manifester contre la guerre « française ».

Moyen-Orient. Dans le Golfe, la guerre au Mali rencontre de farouches résistances au sein de l’opinion publique. En Arabie Saoudite, aux Émirats arabes unis, par exemple, des cheikhs salafistes dénoncent une « ingérence dans les affaires d’un État musulman ». Dans ces pays très connectés à internet, des appels à protester sont lancés sur les réseaux sociaux. Comme ce curieux appel au boycott de Carrefour, enseigne très présente dans la région, ou encore du « tourisme en France ».

Qatar. Premier État à manifester son scepticisme sur la pertinence de l’attaque française, l’émirat a donné du grain à moudre à ses détracteurs, qui l’accusent d’entretenir des relations ambiguës avec la mouvance jihadiste. « Le dialogue politique est important et nécessaire. La force ne réglera pas le problème », a déclaré, dès le 15 janvier, le Premier ministre qatari Hamad Ibn Jassem. Quant au prédicateur Youssef al-Qaradawi, star d’Al-Jazira et président de l’Union internationale des oulémas, il dénonce depuis Doha une intervention « précipitée » en appelant à un « règlement pacifique équitable ».

________

Youssef Aït AkdimRémi Carayol et Laurent de Saint Périer / Lire l’article sur Jeuneafrique.com

Commentaires via Facebook :

5 COMMENTAIRES

  1. Que faire avec une classe politique débilitée qui s’en prend à toute expression patriotique. Ici en Europe toute la presse bruisse de la « question touareg ». Elle fait les titres des journaux devant le silence des Maliens face à cette mythologie sur les Touaregs, les « hommes bleus », ces esclaves des « hommes blancs du Sahara ». L’affaire rapporte gros à la presse, aux agences de tourisme, aux politiques toutes tendances confondues. Tous brodent sur cette mythologie, toutes sortes de niaiseries ethnicistes, rétrogrades, sans réaction malienne. Les Touaregs seraient des victimes ; aussi à la fête de l’HUMA cette année on les a montré sans référence au Mali représenté par des vendeuses de riz gras. Or nous savons tous que la faillite de l’Etat néocolonial au Mali, n’est pas une question ethnique. C’est une ruine économique imposée par la dette, le FMI et la corruption. Une ruine dont souffrent toutes les régions et ethnies du pays.Pas seulement les ethno-sécessionnistes Touaregs.

  2. On s’en fout de ce que pensent les pays arabes, qu’ils aillent se faire mettre. Vivement pour Des accords avec Israël, seul ce pays sait comment traiter les arabes.
    Vive la France
    Vive le Mali
    Vive Israël
    Abbas les pays arabes qui sont contre l’intervention française au Mali.

  3. Vous savez, comme il y a un antisémite et un philo sémite, il n’est pas exagérer de dire qu’il existe un anti noir dans le monde arabe. Il n’est pas sans rappeler que les premiers esclavagistes étaient les Arabes , ils arguent que le Noir est non seulement reste un esclave mais est destiné à l’enfer (autant qu’il en existe).

  4. ……..Aux musulmans maliens qui suivent bêtement certains ARABES , vous devez avoir honte de vous et vous reveiller pour défendre votre patrie. Ils n’ont aucune considération envres le noirs et vous vouyez, malgré tout ce que les maliens ont vecus au NORD surtout les noires, ces pays ARABES ne voulaient pas notre librération . Vive le MALI!

  5. Les choses sérieuses commencent. On avait jusqu’ici amusé les Maliens. Hollande et l’OTAN libéraient le pays et garantissaient son intégrité. Eh bien que nini!
    Toute la presse occidentale ne bruisse que la fameuse et mythologique question touareg. France inter ce matin au réveil nous apprend que le MNLA dispose de 2 à 3000 hommes de troupes armés dans la région de Kidal et que la question de l’autonomie de l’Azawad reste sur la table des négociations comme perspective irrécusable.
    Nous y sommes! Cela fait des mois, qu’en lien avec les patriotes maliens, nous alertons l’opinion malienne débilité par les mensonges des françafricains Hollande et autres Dioncounda de la classe politique frelatée de Bamako. Mais en vain!
    On commence à comprendre pourquoi les barbouzes de la coloniale ont occupé Kidal sans l’armée malienne. Et le MNLA auparavant réduite à néant disposerait désormais de quoi protéger les intérêts occidentaux et français au Mali partitionné avec la charia wahabite au Nord.

Comments are closed.