«Le manque d’opportunités économiques, la mauvaise gouvernance, la marginalisation politique, la frustration et le chômage» sont les principales causes du départ massif des jeunes vers les groupes jihadistes. C’est ce qui ressort de 6 mois de recherche de l’Institut malien de recherche action pour la paix (IMRAP). Un rapport qui interpelle les plus hautes autorités de la République.
Le rapport a été présenté au public le mercredi 02 novembre dernier à l’hôtel Radisson Blu. Il est accompagné d’un film documentaire intitulé : «Au-delà de l’idéologie et de l’appât du gain : trajectoires des jeunes vers les nouvelles formes de violence en Côte d’Ivoire et au Mali».
Etaient présents à la cérémonie de présentation, le représentant du ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le général de police Moro Diakité, le représentant de l’Unicef au Mali, Ismaïl Maïga, la directrice régionale d’Interpeace pour l’Afrique de l’Ouest, Anne Moltès, et la directrice exécutive de l’IMRAP, Mme Traoré Néné Konaté.
Les enquêtes et les consultations effectuées avec l’appui de l’Unicef et Interpeace pour une durée de plus de six (06) mois, ont porté sur plus de 700 personnes surtout dans les Régions de Gao et de Sikasso au Mali et en Côte d’Ivoire, dans la commune d’Abobo et la ville de Bouaké.
L’objectif, selon la directrice exécutive, Mme Traoré Néné Konaté, était de «comprendre les expériences des communautés et les trajectoires des jeunes relatives aux nouvelles formes de violence ; et d’informer les politiques nationales et internationales de lutte contre ces nouvelles formes de violence en se basant sur les perspectives locales avec un focus sur l’éducation».
Les résultats de l’étude en question sont sans équivoque. La tendance des jeunes vers la violence est la résultante du «manque d’opportunités économiques, la mauvaise gouvernance, la marginalisation politique, la frustration et le chômage», selon ledit rapport. Et de préciser :
«Ces problèmes ont poussé les jeunes vers des trajectoires totalement différentes. Certains ont rejoint les rangs de groupes séparatistes et djihadistes et d’autres se sont engagés dans les groupes de résistance civique».
Pour autant, ce n’est pas seulement le chômage ou la recherche d’argent qui jette les jeunes dans les bras des groupes violents. Il y a aussi la quête de reconnaissance et de réussite sociale.
Aussi, une profonde crise éducative touchant la famille, la communauté et l’école est à la base des trajectoires des jeunes vers la violence, selon le rapport.
Dans le chapitre des recommandations, les chercheurs conseillent d’appuyer les initiatives pour les jeunes en impliquant toutes les parties prenantes; d’assurer un accompagnement communautaire à l’insertion des jeunes violents; de valoriser les groupes en rupture avec la société et de prendre en considération l’existence d’une professionnalisation de la violence au-delà des frontières nationales ; d’assurer une continuité éducative entre familles et d’engager toutes les parties prenantes dans une meilleure compréhension de l’enseignement coranique pour valoriser les bonnes pratiques.
Le cas malien
L’on a vu ces derniers mois, sous le prétexte de «Bamako-Ville propre», les autorités procéder à d’importantes opérations de destructions d’emplois donc d’opportunités pour les jeunes en l’occurrence. Ladite opération a en effet détruit des emplois et du coup, envoyé des milliers de personnes au chômage.
Et à l’issue de ces destructions, l’on constate un peu partout que les endroits concernés par le déguerpissement font par la suite, objet d’attribution aux plus nantis. Vous avez dit injustice sociale frustration ?
Les jeunes, indique le rapport, ont également pour motivation, la reconnaissance et la réussite sociale, peu importent les moyens utilisés. Ce, parce qu’ils constatent avec amertume l’impunité accordée aux corrompus et corrupteurs. Hélas, à l’heure actuelle au Mali, ce sont des centaines de dossiers de corruption qui dorment dans les tiroirs sous d’épaisses couches de poussière.
Aussi, il n’existe guère une véritable politique en vue de l’épanouissement et du développement de la jeunesse dans son ensemble. Et si elle existe, c’est bien seulement en faveur de la jeunesse du parti régnant et/des protégés de barons haut placés. La majorité reste abandonnée à son triste sort.
L’éducation est également pointée du doigt par les auteurs dudit rapport. Il s’agit, autant de l’éducation familiale que scolaire. Par rapport au second point, le document rappelle que l’école malienne n’est plus adaptée aux exigences du moment et à l’emploi. Et à propos du premier, il signale que les familles vivent en ce moment une véritable crise au regard de la précarité dans laquelle elles évoluent.
Il ne s’agit, ni plus moins qu’une question de gouvernance.
Aujourd’hui au Mali, nous assistons hélas, à une stratification profonde de nos sociétés : d’un côté les riches et de l’autre les pauvres. Et l’Etat créé toutes les conditions afin que chacun des groupes reste dans son compartiment : la marginalisation !
En définitive, toutes les conditions sont créées et entretenues au Mali pour inciter les jeunes à la violence et à joindre éventuellement les groupes d’obédience jihadiste et autres. Et ce n’est pas pour rien que les auteurs du fameux rapport ont choisi ce moment pour rendre le document public. Afin, disent-ils, «d’orienter les politiques dans la prise en charge des aspirations de la jeunesse afin d’aboutir à un retour rapide d’une paix durable». Mais hélas, n’a point d’oreilles celui qui ne veut entendre.
B.S. Diarra