Au Mali, la ville légendaire de Gao offre le spectacle lugubre de mystérieux attentats ciblés contre des responsables militaires et civils. Sacrifiant les efforts engrangés dans le cadre du processus de paix, le récent assassinat d’un officier comporte les germes d’un règlement de comptes dans une région en proie à toutes sortes de trafics.
En route à bord de son véhicule le 21 mai dernier vers un chantier de construction dans la périphérie nord de Gao (7e région administrative du Mali située à 1.000 km de Bamako), le colonel Oumar Abba Soumaré, un haut responsable militaire du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), est tombé dans un guet-apens. Les assaillants enturbannés et lourdement armés se déplaçaient à bord d’un véhicule banalisé. Il est tué sur-le-champ et son garde du corps grièvement blessé.
Alerté par le bruit strident des tirs, un détachement de la police urbaine a alors engagé une course-poursuite contre les agresseurs qui s’étaient emparés du pick-up avant de s’en débarrasser aussitôt, les pneus crevés par les tirs.
Les événements se sont déroulés à 18h, au moment où les gens circulent encore. Selon des sources locales interrogées par Sputnik, Oumar Abba Soumaré a bien été tué par ces hommes armés non identifiés, ou «HANI». C’est sous cet acronyme que sont désignés dans le Sahel les auteurs d’attaques armées dont l’appartenance à un groupe en particulier n’est pas établie. L’enquête ouverte n’a encore pas permis d’en savoir avantage.
L’assassinat crapuleux du chef du MOC ravive le débat de la vulnérabilité des hauts responsables militaires, administratifs et civils de Gao.
Les offensives et meurtres ciblés sont désormais monnaie courante dans la Cité des Askias (nom étymologique de Gao). La ville est, ces derniers mois, le théâtre d’attaques du même acabit avec le même mode opératoire
Le MOC –une structure prévue dans les accords de paix d’Alger qui réunit non seulement des combattants des groupes armés de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme, mais aussi ceux de l’armée régulière– reçoit fréquemment des coups. Cette structure se veut la première étape du programme de désarmement et de réconciliation entre belligérants du nord du Mali, prévu par ces accords datant de 2015.
Des assassinats à n’en plus finir
Le mode opératoire qui consiste à faire irruption à un moment où les forces de sécurité s’y attendent le moins et foncer vers sa cible avec résultat immédiat, a toujours cours dans la Cité des Askias.
Février 2020, deux hauts personnages de la commune rurale de Ouattagouna, dans la région de Gao près du Niger, ont été tués avec la même méthode par des assaillants sortis de nulle part. Dans cette période, quelques jours après, des hommes armés ont assassiné deux notables de la fraction «Melegzene» à Tinazir, une localité située à 17 kilomètres de Labbézanga, toujours à la frontière avec le Niger dans la commune de Ouattagouna.
Auparavant, dans la soirée du 3 février, c’est Aly Sissoko, directeur adjoint de l’une des banques les plus prestigieuses du Mali (BNDA) qui est tué par balles devant son domicile à Gao par des hommes armés à bord d’un véhicule. Les enquêtes promises par les autorités judiciaires et militaires n’ont rien donné.
Plus tôt dans l’année encore, début 2020, le général Yoro Ould Daha Al-Mehri, chef d’État-major du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) à Ansongo est assassiné par des hommes en turban. Il posait des actions allant dans le sens de l’unité du Mali et s’était alors fait l’ennemi de groupuscules prêchant l’irrédentisme dans les régions du nord du pays.
Octobre 2019, un haut représentant de la société civile, Hamma Hiya Touré, est froidement abattu devant son domicile à Gao.
La liste n’est pas exhaustive. C’est dire combien la sixième région administrative est devenue le théâtre d’une guerre asymétrique ciblant les responsables militaires et administratifs.
«Ces attaques portent les mêmes sceaux avec en arrière-plan des règlements de comptes autour d’enjeux de leadership que les forces de sécurité peuvent difficilement circonscrire», explique à Sputnik Seydou Coulibaly, général à la retraite, aujourd’hui expert en sécurité.Un responsable de l’Agence de développement du Nord (ADN) explique, sous couvert d’anonymat, que les tribus du nord du Mali manifestent très souvent des divergences autour de la distribution des prébendes de la corruption et du trafic. Ce climat électrique, ajoute-t-il, engendre malheureusement des représailles sanglantes et meurtrières.
Un coup porté au processus de paix d’Alger
L’assassinat du colonel Soumaré, tout comme les autres attaques, constitue un important obstacle au processus de paix signé le 15 mai 2015 sous l’égide du gouvernement algérien entre le gouvernement du Mali, les différents groupes armés et les mouvements d’autodéfense. «Cet incident risque d’entraver la mise en œuvre de l’accord pour la paix, et notamment le processus de démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR)», s’inquiète Moussa Ould, notable de Gao approché par Sputnik.
Les acteurs de la mise en œuvre de l’Accord du 15 mai affichent en tout cas leur scepticisme.
La force Barkhane et les forces de la Minusma ont chacune des bases dans la Cité des Askias. Sollicitées par Sputnik pour s’exprimer au sujet des attaques ciblées répétées, elles ont décliné l’offre. Mais Maître Touré, un responsable des mouvements d’autodéfense, persiste et maintient que la solution se trouve entre les mains de l’État malien:
«L’État malien doit jouer le rôle de premier plan auquel il déroge malheureusement très souvent. C’est à lui de faire participer impérativement les forces étrangères à la sécurisation de Gao.»