L’initiative louable et salutaire de la tenue du Forum de Kidal n’a pas produit les effets escomptés. Au contraire, elle remet tout en question, ayant contribué à instaurer, du moins à conforter, un climat de méfiance entre le gouvernement, la branche dure des groupes armés et les autres parties prenantes de l’Accord d’Alger. Il s’est déroulé en un véritable feuilleton avec des épisodes d’arnaque financière, de menaces ouvertes, de risques d’affrontement, et de boycott. Moralité : l’Etat s’est laissé flouer comme un profane, à moins que le président de la République n’ait sciemment cautionné tout le scénario pour faire un geste aux rebelles.
Le forum de Kidal a bel et bien eu lieu aux dates indiquées (du 27 au 30 mars) sans qu’il en soit réellement ainsi. Et pour cause, les termes de références n’ont pu être honorés du fait de l’absence d’une double pièce maîtresse que forment l’Etat et son alliée de la Plateforme. Pourtant, dans sa parution du 5 mars 206, votre hebdo avait attiré l’attention en posant en des termes clairs la question : “Faut-il y croire ? “. La suite nous donne raison, toutes nos interrogations s’étant avérées nettes et fondées. Que s’est-il passé ?
L’idée du forum pour la paix et la réconciliation au Mali à Kidal est issue d’une rencontre tenue le 27 février à Koulouba entre d’une part les plus hautes autorités du pays, en commençant par le président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, qui avait à ses côtés le gouvernement, d’autre part la CMA et la Plateforme, venues lui rendre compte des conclusions des concertations tenues entre elles du 19 au 26 février. Au Chef de l’Etat, les trois parties signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation ont décrit ce forum comme la solution à la crise malienne. Ils ont avancé des arguments solides qui ne laissent place à aucun doute. Au nombre de ceux-ci, le forum de Kidal permettra, selon eux, l’adoption d’un chronogramme de mise en œuvre des activités garantissant la sécurité publique et l’instauration d’une vie sociale normale sur tout le territoire; la mise en place des autorités intérimaires et d’un dispositif de sécurité commun pour contribuer à la protection des personnes et des biens ainsi que la libre circulation des personnes dans le pays ; la concrétisation urgente du cantonnement des combattants à travers le processus de DDR ; et l’accélération de la mise en œuvre des différentes dispositions de l’Accord de paix par l’adoption des textes y afférents et de préparer les élections. Quel interlocuteur peut résister à telles garanties ?
Sur cette base, nul ne doit tenir rigueur au gouvernement et au président de la République, qui voient s’ouvrir grandement les portes d’une paix pour laquelle le Mali prie depuis des années. Par contre, IBK et ses ministres sont condamnables à plus d’un titre sur la suite des événements.
Primo, ils ont cédé à la forte pression de la CMA pour débloquer le plus tôt possible le budget de l’organisation du forum pompeusement estimé à 500 millions de Fcfa. Finalement, le gouvernement aurait alloué aux rebelles 400 millions de Fcfa. Pourtant, des signaux forts et infaillibles se dégageaient pour dissuader le gouvernement de dilapider l’équivalent de la construction de 60 salles de classes.
Tout d’abord, la menace de Iyad Ag Ghaly. Dans un message diffusé aussitôt après l’idée du forum, le chef d’Ansardine a juré de sévir dans le sang. Sachant que le chef djihadiste fait toujours ce qu’il dit, l’Etat savait que ses représentants ne pouvaient donc pas aller à ce forum.
Ensuite, des échos parvenaient à Bamako sur une possible volte-face des groupes armés par rapport à la participation du gouvernement. Malgré tout, l’argent a été débloqué. Cadeau ?
Secundo, l’Etat s’étant montré très naïf, n’a pas non plus fait preuve d’autorité quand il s’est rendu compte de la filouterie de la CMA. Celle-ci a fait circuler la rumeur que les populations de Kidal menacent de manifester si les représentants de l’Etat mettent pied dans leur ville, tout en rappelant la menace de Iyad.
Pour toute réaction, le gouvernement demande le report du forum en attendant que “les choses se calment”. Niet catégorique des rebelles qui arguent que l’organisation est déjà avancée. En réalité, un responsable rebelle dévoilera plus tard la manière dont la manne a été partagée entre les groupes armés.
Tertio, c’est le gouvernement qui aurait empêché les journalistes maliens (invités par la CMA) de couvrir le forum, sans pouvoir lever le doigt sur la participation de “l’opposant” historique, Oumar Mariko. Deux poids, deux mesures ? Ça en a tout l’heure.
Enfin, quarto, IBK et le gouvernement savent bien que les groupes armés ne sont pas dignes de confiance exclusive. Ils l’ont démontré tout au long du processus des pourparlers exclusifs inter maliens d’Alger.
C’est dire que l’Etat doit tirer tous les enseignements de ce forum de Kidal qui fut un véritable recul dans le processus de paix. Faudrait-il désormais donner suite à la proposition de l’opposition malienne : instaurer le dialogue entre la classe politique, les acteurs économiques, la société civile et les mouvements armés du Nord afin que la réunification du pays puisse se faire très vite, ainsi que le redéploiement des forces armées et de sécurité et de l’administration. Car, la situation sécuritaire dans le pays continue à se dégrader, l’intégrité du territoire n’est pas une réalité parce qu’il n’y a encore aucun symbole de l’Etat à Kidal. Malgré la signature de l’Accord, depuis onze mois.
A.B. HAIDARA