Faire face à la nouvelle menace djihadiste au Mali

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Faire face à la nouvelle menace djihadiste au Mali
Corinne DUFKA

Il était assis tranquillement pour boire son thé un matin de décembre dans un village du centre du Mali. Mais Amadou, chef local de la région de Ségou, dont j’ai changé le nom pour garantir sa sécurité, était inquiet.

 

« Je connais 10 jeunes hommes qui ont rejoint les djihadistes au cours des derniers mois », a-t-il raconté. « Et bien d’autres qui sympathisent avec le mouvement. »

 

J’étais au Mali pour effectuer des recherches sur des violations des droits humains, comme je le fais depuis 2012, quand le pays a traversé une débâcle spectaculaire après une prise de contrôle quasi simultanée par les séparatistes touaregs et les groupes islamistes liés à Al-Qaïda dans le nord et un coup d’État militaire dans le sud.

 

L’intervention militaire menée par les Français au début de l’année 2013 a mis un terme au régime répressif des islamistes dans le nord. Le Mali paraissait en bonne voie de rétablissement alors qu’une mission de maintien de la paix des Nations Unies était déployée, des élections relativement transparentes avaient eu lieu, un accord de paix pour sortir de la crise dans le nord avait été négocié et des milliards de dollars d’aide au développement avaient été promis.

 

Mais en 2015, un nouveau groupe islamiste est apparu dans les régions du centre et du sud du Mali auparavant stables. Le groupe, qui semble être la dernière émanation d’Al-Qaïda au Maghreb islamique et est souvent désigné comme le Front de libération du Macina, a attaqué des postes militaires et exécuté des maires et des conseillers municipaux. Sa nouvelle zone d’opérations est essentiellement habitée par le groupe ethnique peul (aussi appelé Fulani), qui représente environ 15 pour cent de la population malienne.

 

Depuis le début de l’année 2015, j’ai documenté plus de 25 meurtres semblables à des exécutions perpétrés par ces islamistes. En mars, un chef de village a décrit comment des combattants ont abattu son fils par balles en représailles à sa coopération avec l’armée. Les résidents d’un autre village ont indiqué avoir vu des combattants islamistes arrêter un homme accusé d’être un informateur. Trois jours plus tard, un habitant m’a raconté : « au réveil, le village a trouvé sa tête qui avait été déposée devant sa boutique ».

 

J’ai également documenté des dizaines de cas de torture et de mauvais traitements par l’armée malienne dans le cadre de la réponse sécuritaire.

 

Lors de mes visites, les commerçants, les bergers et les hommes âgés peuls ont décrit une présence islamiste croissante qui tirait parti non seulement de leur pauvreté, mais aussi de leurs ressentiments de longue date contre le gouvernement. Ils parlaient avec inquiétude du succès du recrutement des islamistes, reposant selon eux sur plusieurs facteurs.

 

Le plus souvent, les personnes mentionnaient l’incapacité du gouvernement à les protéger du banditisme, qui s’est intensifié depuis que les armes à feu ont commencé à proliférer au début des années 1990. Des bergers ont raconté comment des bandits armés d’AK-47 avaient pris leurs vaches et leurs moutons. « Lorsque vous me volez mes animaux, vous prenez avec eux l’avenir de mes enfants », a expliqué un habitant.

 

Beaucoup ont accordé aux islamistes le mérite de réduire de manière drastique le banditisme, ce que n’a pas su faire l’armée. « Chaque fois que nous appelons les autorités, personne ne vient », m’a indiqué un homme jeune. D’autres ont raconté que les islamistes étaient intervenus pour récupérer les motos ou les vaches volées. « Les djihadistes sont la loi maintenant », a indiqué l’un d’eux.

 

Les villageois ont aussi décrit des abus fréquents commis par les forces de sécurité et un comportement prédateur qui entache presque tous les contacts avec le gouvernement – pots-de-vin exigés pour obtenir une carte d’identité, pour faire vacciner des animaux, pour passer des points de contrôle. En même temps, « il y a peu d’écoles ou de centres médicaux dans nos villages », a indiqué un autre habitant. D’autres personnes m’ont expliqué que le gouvernement n’avait pas rendu justice dans des cas de violences intercommunautaires – conflits avec des représailles portant sur la terre ou l’eau – ou dans des cas d’abus commis par les forces de sécurité.

 

Je me suis entretenue avec des dizaines de détenus, presque tous peuls, qui ont décrit les tortures et les mauvais traitements infligés par l’armée. Amadou a été, avec 9 autres hommes, ligoté pieds et mains derrière le dos et suspendu à une barre de fer avant d’être frappé. Dans certains cas, les hommes ont perdu des dents, d’autres ont été brûlés ou soumis à des simulacres d’exécutions.

 

Les milieux politiques élaborent des théories sur ce qui pousse les personnes et les communautés à soutenir des groupes comme Al-Qaïda au Maghreb islamique. Et pour une bonne raison : le meurtre de masse prémédité de gens ordinaires dans les centres commerciaux, les métros et les hôtels est devenu tragiquement courant.

 

Des dizaines de personnes sont mortes dans les attaques perpétrées par les extrémistes islamiques au Mali, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Les attaques semblaient indiquer une escalade d’Al-Qaïda au Maghreb islamique dans la stratégie de la « cible vulnérable », peut-être dans une compétition avec l’État islamique. Il est préoccupant de constater que, d’après les personnes âgées avec qui j’ai parlé, certains des auteurs de ces attaques étaient présumément des Peuls.

 

Alors que le monde se demande ce qui inspire l’extrémisme violent, les décideurs politiques devraient écouter des personnes comme Amadou, qui sont en première ligne. Ils insistent sur le fait que leurs jeunes ne sont pas courtisés sur Internet ou n’adhèrent pas pour des convictions religieuses, mais plutôt, comme m’a expliqué un imam, « parce que les djihadistes proposent une meilleure solution que l’État ». Un autre homme m’a raconté que beaucoup n’étaient même pas capables de réciter le Coran.

 

Les anciens et les villageois peuls expliquent que, pour stopper cela, il ne s’agit pas d’interdire aux terroristes d’utiliser les réseaux sociaux ni d’endiguer le flux des combattants étrangers. Ils veulent un gouvernement dont les forces de sécurité les protègent au lieu de les malmener, dont les fonctionnaires les servent au lieu de les exploiter et dont le système judiciaire garantisse leur droit à une réparation.

Les partenaires du Mali – en particulier la France et les États-Unis – ont trop souvent fermé les yeux sur ces problèmes. Au lieu de cela, ils devraient insister pour que le Mali professionnalise les forces de sécurité et les tiennent responsables de leurs actes, soutienne mieux le système judiciaire régulièrement négligé et prenne des mesures concrètes contre la corruption. Ce n’est que lorsque des mesures seront prises pour résoudre ces problèmes et que les personnes se sentiront assurées de leurs droits fondamentaux, que les groupes extrémistes pourront commencer à perdre du terrain.

Par Corinne DUFKA, Directrice de recherches sur l’Afrique de l’Ouest, Human Rights Watch

Le 9 mai 2016

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