Il s’agit d’une évolution latente de la crise du Nord depuis l’annonce des autorités intérimaires, qui marque le début des positionnements inhérents à la mise en œuvre du nouveau schéma institutionnel de l’Accord. Dans lequel document il est préconisé, ni plus ni moins, l’octroi de pouvoirs locaux pour le moins dignes de convoitise. Aussi les enjeux sont-ils tels que l’Accord traite en outre des patrouilles mixtes, de l’armée malienne reconstituée sur la base des cantonnements et de l’intégration d’ex-combattants, entre autres.
Dans un contexte de repli et de jeux d’intérêts communautaires, tous les ingrédients sont en définitive réunis pour que la population et l’élite de la communauté sonrai organise la résistance en se positionnant par rapport à un éventuel noyautage des nouveaux pouvoirs politiques locaux nouvelle formule, tout aussi attractifs que le pouvoir central.
C’est dans une telle dynamique que s’inscrit, en tout cas, la multiplication des concertations et réunions aussi discrètes les unes que les autres, à l’effet de mieux cerner les enjeux des bouleversements institutionnels et administratifs qui se profilent, leurs implications politiques. Les réserves et contestations inhérentes à pareille démarche sont ainsi apparues au grand jour à quelques encablures de l’échéance d’installation des autorités intérimaires selon le schéma arrêté l’entente subsidiaire passée avec les mouvements armés au détriment du contenu de la loi modificative du code des collectives. C’est pour faire obstacle au processus, entre autres motivations, que la jeunesse de Gao a activé une puissante machine de pression et de protestation à travers une manifestation de rue fortement redoutée par les autorités locales. A défaut de réussir à dissuader les manifestants par des arguments liés à l’Etat d’urgence, les autorités locales ont opté finalement pour la méthode répressive, qui a consisté à en découdre avec une jeunesse porteuse des récriminations de toute une communauté contre les autorités intérimaires, la gestion inique et partiale du processus de démobilisation-désarmement-réintégration, etc. En effet, avec seulement deux sites de cantonnement sur plus d’une vingtaine, les communautés sédentaires du septentrion ne peuvent s’attendre qu’à une prise en compte au rabais dans le nouveau schéma d’affirmation des pouvoirs locaux qui comporte pourtant des enjeux de taille en termes d’intégration de la jeunesse, de présence stratégique dans les forces armées et de sécurité reconstituées. Autant de facteurs pouvant justifier le vigoureux bras-de-fer que les manifestants ont opposé aux autorités administratives de la localité, la semaine dernière, avec une mobilisation sans précédent autour des revendications en rapport avec les aspirations de la jeunesse de Gao ainsi que les préoccupations naturelles que suscite une mise en route mitigée des autorités intérimaires.
L’exceptionnelle manifestation de la Cité des Askia a inspiré aux forces de l’ordre une réaction disproportionnée et débouché sur un épisode macabre inédit comparativement aux circonstances similaires antérieures : trois personnes mortes sur le coup et des dizaines de blessés jonchant les allées du principal centre hospitalier de la ville. Comment la jeunesse téméraire et martyre comme celle de Gao, après avoir audacieusement affronté les horreurs dominatrices dans une courageuse loyauté à la République, peut se retrouver aussi impitoyablement dans le collimateur de celle-ci ? La question, à défaut d’être sur les lèvres, taraude quand même les esprits depuis la survenue de cet événement tragique de la semaine dernière.
En attendant de pénétrer l’énigme, l’intrigant épisode aura inspiré des réactions chez la quasi-totalité des composantes socio-politiques du pays : qui pour sympathiser et condamner ouvertement, qui pour aborder la question avec circonspection, qui pour réclamer que justice pour les victimes. Même les mouvements armés ne sont pas demeurés en reste de la vague. Tandis que le message de la CMA résonne comme une sorte de persiflage voire une revanche sur une population ayant résisté à ses sirènes séparatistes, celle de la Plateforme passe pour une véritable fuite de responsabilité face à ses aux gages initialement donnés aux communautés sédentaires de préserver leurs intérêts dans l’élaboration et l’application du processus d’Alger.
Interrogé sur les circonstances de l’incident macabre, un responsable militaire de l’opération répressive a reconnu pour sa part que des balles réelles ont été utilisées par ses éléments pour disperser la foule aux abords du Commissariat de police. L’interlocuteur de la télévision d’Etat a beau préciser qu’Il s’agit de tirs de sommation en l’air, ses propos sonnent comme un aveu de responsabilité dans les tueries ayant endeuillé la ville de Gao.
En réaction au drame, Les hautes autorités du pays se sont manifestées de leur côté par la même la même démarche habituelle avec des visites aux victimes encore vivantes et de d’expression de regret aux familles des disparus. C’était cette fois par le truchement d’une délégation de haut niveau chargée de prendre langue avec les porte-voix des manifestants et servir en même temps de vecteur de transmission de leurs doléances aux plus hautes autorités. La délégation conduite par le ministre Abdoulaye Idrissa Maïga a ainsi promis de rendre compte à qui de droit du contenu de ses échanges avec la jeunesse, qui a porté en substance sur la prise en compte des intérêts de la jeunesse dans le processus d’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation ainsi que sur la diligence d’une enquête pour déterminer les responsabilités dans les tueries du 12 Juillet dernier.
Le ballet des sorties consécutives au drame de Gao inclut également celle du premier responsable de l’Etat, dont la partition était fortement attendue à cause de ses gages d’arbitrage plus rassurant sur le traitement du dossier. Au lieu de quoi, le message d’IBK à la nation aura laissé un gout d’inachevé pour s’être résumé à un vœu pieux, l’expression d’un simple regret et de la sympathie à l’endroit des victimes, là où on pouvait espérer de la fermeté sur les conséquences dramatiques de la marche. Doit-on en déduire, en définitive, que la sortie laconique du chef de l’Etat sur un événement aussi grave traduit en elle seule toute l’impuissance de l’Etat face à la complexité qui entoure l’Accord d’Alger et que la plus haute autorité du pays dissimule ? En résumant la problématique à une interprétation erronée du document, le chef de l’Etat admet n’avoir aucune solution en réponse aux récriminations et réserves suscitées par la mise en œuvre du processus d’Alger. Quant aux responsabilités dans les tueries, il a tout simplement choisi de l’éluder probablement pour ne pas s’encombrer d’engagements sans lendemain.
A KEITA