Événements à Kidal : Du bien-fondé, de la pertinence et de l’opportunité d’une visite

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Face à la situation à Kidal
Moussa Mara, PM à Kidal

La ville de Kidal a été le théâtre de sanglants affrontements entre les forces armées maliennes et les groupes armés lors de la récente visite du Premier ministre Moussa Mara. Le bilan officiel fait état de 36 morts, dont des préfets, sous-préfets et autres agents de l’Etat. Selon les Nations unies, des crimes d’assassinats ont été perpétrés lors de ces événements sur des civils et militaires pris en otages par les rebelles. Des enquêtes seraient en cours, tant du côté du gouvernement que des Nations unies à travers la Minusma. En attendant, les analystes et autres commentateurs sont à l’œuvre. Tout y passe.

 

On peut dire que déjà, les langues commencent à se délier au sujet de ce qui s’est réellement passé à Kidal, ce samedi 17 mai 2014. A l’analyse, l’on constate beaucoup de zones d’ombre et des questionnements, notamment en ce qui concerne les circonstances exactes dans lesquelles cette visite s’est déroulée en tenant compte bien évidemment des niveaux de préparation et d’organisation.

 

Si tout le monde semble unanime sur le bien-fondé du déplacement du Premier ministre, Moussa Mara, à Kidal dans le cadre de ses fonctions, comme partout ailleurs sur le territoire national, certains analystes dénoncent le caractère “très léger de la préparation” dont le gouvernement aurait fait preuve dans le cadre de cette visite.

 

Ils estiment que tous savaient la situation “d’exception de fait” qui prévalait à Kidal depuis la “libération” de cette ville par les soldats français de l’opération Serval à l’absence totale de l’armée malienne. Des arguments fallacieux ont été utilisés à l’époque pour justifier cet affront. Depuis lors, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) quasiment défait par les jihadistes et rendu inexistant sur le terrain, a été remis en selle pour des raisons inavouées. Voilà d’où est partie le statut d’exception dont jouit de fait Kidal en contradiction totale de tous les principes de droit international, des résolutions des Nations unies et des accords signés à ce sujet.

 

Mais aussi curieux que cela puisse paraître, certains “partenaires” du Mali semblent n’avoir cure de ces dispositions. Ainsi, dans la réalité, tout est mis en œuvre pour “éloigner” Kidal du reste du Mali. Le gouvernement savait pertinemment tout cela avant de convenir de l’opportunité d’une visite du Premier ministre à Kidal. Surtout qu’en la matière, il y avait un précédent fâcheux à travers “l’interdiction” faite à l’ancien Premier ministre, Oumar Tatam Ly d’effectuer un déplacement similaire.

Le gouvernement était donc parfaitement averti des tenants et aboutissants de la situation d’extrême sensibilité à Kidal. Ce qui, selon certains analystes, aurait incité tout Etat sérieux à prendre un minimum de précautions, ne serait-ce que pour assurer non seulement la sécurité de la délégation du Premier ministre, Moussa Mara, mais également celle de tous ceux qui, d’une manière ou l’autre, étaient concernés par cette visite, notamment les représentants de l’Etat dans la région. Les mêmes dispositions auraient certainement permis de garantir le succès de la mission.

 

Mais que non ! Les apprentis stratèges, comme le Mali en a pris malheureusement la mauvaise habitude depuis un certain temps, en ont décidé autrement. Sachant l’état d’impréparation et en l’absence de toute disposition sécuritaire conséquente, le gouvernement a pris le risque inqualifiable de mettre en danger la vie du chef du gouvernement, des membres de sa délégation et des agents de l’Etat en service dans la région.

 

Il découle de cette attitude de légèreté de la part de l’Etat de graves conséquences, notamment les violences qui ont émaillé la visite du Premier ministre, chef du gouvernement de la République, les atrocités subies par les représentants de l’Etat et de simples agents ainsi que les nombreux morts et blessés que l’on déplore aujourd’hui. Ces propos ne visent nullement à remettre en cause, ni la pertinence et encore moins le bien-fondé de la visite du Premier ministre au nord et singulièrement à Kidal.

 

Mais, compte tenu de l’extrême sensibilité, de la volatilité, de la complexité et de l’enjeu de la situation délibérément suscitée, créée et entretenue à dessein à Kidal par la duplicité et la complicité dans la concussion de certains acteurs de la crise, il aurait fallu s’assurer auparavant que toutes les dispositions utiles et nécessaires avaient été prises avant d’entreprendre cette visite de terrain.

 

Cela n’absout en rien les atrocités commises par des criminels qui ont profité de l’occasion pour attenter une nouvelle fois aux valeurs et symboles de la République dans cette partie du territoire national. La punition doit être à la hauteur des délits et des crimes.

Malheureusement, il se trouve que ces gens ne sont pas à leur premier coup. Loin s’en faut. C’est même devenu une pratique courante de la part de ces ennemis de notre nation. Ils y sont encouragés, voire confortés, notamment par la faiblesse de l’Etat, l’absence de stratégie à moyen et long termes du gouvernement par rapport à la problématique, mais aussi et surtout à cause de l’impunité érigée en système politique, qui “blanchit” à chaque fois les auteurs de crimes horribles contre la République.

 

A ce sujet, faut-il rappeler que certains individus soupçonnés dans l’assassinat de nos soldats à Aguelhok en 2012, se pavanent aujourd’hui à l’Assemblée nationale, haut lieu de la démocratie et 2e institution de la République, après la présidence, avec la bénédiction, voire la protection des pouvoirs politiques ! Tant que l’Etat persistera dans “la clémence” vis-à-vis de ces bandits, terroristes et autres narcotrafiquants, cette partie de notre territoire continuera à être “une épine” dans le pied de la république et une tâche sombre dans l’histoire de notre nation.

 

Dans le même ordre d’idées, il est tout autant curieux qu’une si importante délégation, conduite de surcroît par le Premier ministre, se déplace dans un contexte aussi particulier, sans la présence des élus de la région à l’Assemblée nationale. Quel rôle confère-t-on donc à nos députés ? Qu’en est-il également de la nécessaire complémentarité entre les institutions de la République ? En plus, certains membres de la délégation du Premier ministre auraient dû ne pas en faire partie en ces moments précis. Par ailleurs, tout aurait dû être fait afin que le Premier ministre et sa délégation rendent des visites de courtoisie à certaines notabilités de la ville comme il est de coutume dans notre pays. Mais rien de tout cela. Alors, la question de l’opportunité de cette visite en ce moment précis et dans les conditions pareilles, se pose à raison.

 

Autant de questions et de questionnements qui interpellent les décideurs au sommet de l’Etat afin d’éviter à notre pays des situations telles que nous en avons connues samedi dernier à Kidal.

 

Un Etat doit savoir tirer les enseignements de toutes les situations et expériences. Pour ce faire, l’Etat doit sortir de l’amateurisme et la précipitation qui semblent aujourd’hui caractériser certaines de ces actions. Des initiatives, à la limite salutaires, se trouvent ainsi mal conduites. Alors, il en résulte généralement des effets contraires. C’est le cas de cette visite à Kidal dont le bien-fondé et la pertinence n’en justifient cependant pas l’opportunité du moment. Elle aurait dû avoir lieu, mais dans de meilleures conditions d’organisation et de déroulement.

Mais, puisque le vin est tiré, il faut le boire ! Espérant simplement ne pas en boire jusqu’à la lie ! Cependant, cette fois-ci, il faut aller jusqu’au bout afin de ramener définitivement Kidal dans la République à l’instar des autres localités du pays, mettant ainsi fin à une exception devenue insoutenable.

 

Des “mauvaises langues” insinuent également que la visite du Premier ministre à Kidal aurait été malgré tout “forcée” à dessein. Le gouvernement aurait voulu ainsi pouvoir en tirer un double avantage. D’une part, trouver d’autre sujet de préoccupation à l’opinion nationale, au moment où des bruits de casseroles entouraient un certain nombre d’affaires publiques (marché d’achat d’armements, avion présidentiel, implication de la famille dans la gestion de l’Etat, etc.), et d’autre part, conférer ou consolider l’image du président de la République et de son Premier ministre, comme étant des hommes de poigne, déterminés à laver l’affront que subit la nation malienne à travers la situation d’exception instaurée de fait à Kidal.

Malgré les violences unanimement condamnées par tous (communauté internationale y compris) et les nombreuses pertes en vies humaines que l’on déplore en fin de compte, l’un et l’autre de ces deux objectifs semblent aujourd’hui atteints.

 

En effet, le Premier ministre Moussa Mara apparait désormais comme le héros dans un Mali humilié ; la situation de Kidal est redevenue le sujet de préoccupation primordiale de la nation sans exclusive aucune et cerise sur le gâteau, l’armée malienne est de retour en nombre, peut-être pas encore suffisant, à Kidal, mais en mesure tout de même de renforcer sa position vis-à-vis des groupes armés dans la perspective des négociations prochaines auxquelles toutes les parties rappellent leur attachement et leur disponibilité ; ou d’une reprise en main totale de la ville par l’Etat.

 

On pourrait alors dire, qu’en quelque chose malheur est souvent bon ! A condition cependant, que ces sacrifices ultimes au prix souvent de la vie, permettent au Mali d’aller à une solution définitive et durable à la crise sécuritaire qui annihile toutes ses actions de développement depuis des années, tant mieux. Ils auraient ainsi été utiles en servant la cause de l’édification d’une nation entièrement réconciliée avec elle-même, unie et déterminée à reprendre la place, qu’elle n’aurait jamais dû quitter, au sein de la communauté des pays civilisés et modernes. Ensemble, cela ne semble pas au-dessus de nos moyens ! Pourvu que tous, Maliennes et Maliens, avec le soutien de nos amis, nous y consacrions toute la volonté et la détermination nécessaires.

 

Alors et seulement alors, le Mali sera celui de nos rêves communs et dans lequel chaque citoyen s’épanouira pleinement.

Bréhima Sidibé

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11 COMMENTAIRES

  1. Ce voyage a été assez révélateur pour les maliens et leurs dirigeants.
    Ils comprendront désormais qu’il faut cesser d’être naïfs et de croire qu’ils peuvent compter en permanence sur l’aide des autres qui ont leurs propres intérêts.

    Il faut faire preuve d’imagination et cesser de mettre tous ses œufs dans un même panier.

    Il y a d’autres puissances qui peuvent fournir des armements.

    Il faut se poser la question de l’acceptation du cantonnement de l’armée malienne en lieu et place des groupes armées contrairement aux accords.

    Comment une armée peut entrer sans précaution dans une ville occupée par des troupes armées qui ont l’habitude de prendre en traitre?
    Pensait-on que ces groupes, qui ont déjà montré leur combativité, allaient prendre leurs jambes au coup?

  2. IBK doit démissionner, il a hautement trahi les maliens et son serment. On ne décrète pas un cessez-le-feu en mauvaise posture. Sa stratégie est juste de préserver son trône contre une éventuelle avancée fulgurante des rebelles dans le scénario actuel. Mais, on a compris, IBK n’a pas les moyens de sa politique et il se permet d’acquérir un appareil à 20 milliards!

    Mais, quand-même, je me pose une question, après la formation de plusieurs contingents récemment et l’envoi d’un millier de soldats à Kidal une défaite cuisante en 48h alors faudrait-il instaurer une loi martiale pour les militaires: tu recules, tu es fusillé, un point un trait?

  3. “Pourvu que tous, Maliennes et Maliens, avec le soutien de nos amis, nous y consacrions toute la volonté et la détermination nécessaires.”
    Quo sont “nos amis”? C’ est là toute la question. La France et les observateurs qui suivent les évènements considère la France comme notre plus grande amie, parce que ayant intervenue pour arr♪tre les Islamistes en marche vers Bamako.
    Seulement il s’avère que la France suit, quant aux problèmes purement internes du Mali, “les Touaregs”, comprendre le MNLA et en accessoire le HCUA. Or ceux-ci veulent à tout prix tout au moins uen région autonome Kidal, sinon la séparation de la région de Kidal du Mali. Tous “nos autres amis”, à savoir “la communauté internationale” = l’ Occident suivent par principe la France qui agit dans sa zone d’ influence instituée par l’ Occident.
    C’ est le principal dilemme devant lequel le Mali, un pays extrêmement pauvre, est.Il faut que le Mali “invente” beaucoup en stratégie, politique et diplomatie pour lever ce dilemme.

  4. Allez sur youtube tapez dans la recherche : michel collin – guerre au Mali. Sur dailymotion tapez : francois-xavier verschave – l’envers de la dette.
    Ce que ces 2 hommes disent est très intéressent ! Peut-être que vous savez déjà… voilà des gens qui expliquent bien sans langue de schizophrène appelé officiellement langue de bois.
    Unissez-vous derrière IBK et le mali vaincra contre ce mental colonial, ces diables qui se font passer comme des anges ! Ces manipulateurs, assassins savamment organisés, ces braqueurs, ces pilleurs, avec leurs alliés arabes des chiens pitbull qu’ils ont préparés au combat et ils font croire qu’ils ne sont pas ensemble. Réveillez-vous ! Ils ont fait la même chose en Côte d’ivoire …etc.
    Voilà une belle farce de la part de la France ! Je vous jure au nom de Dieu que c’est la France a programmé tout ça ! Les africains sont très complexés, ils croient tout ce qu’on dit. Si vous avez le temps allez sur you tube et dailymotion. La politique française se fout…

  5. Vu la volatité de la situation sécuritaire et qu’il y avait un précédent fâcheux au moment de Mr.O.T.Ly je ne vois plus la pertinence, ni le bien fondé moins l’opportunité de cette visite, surtout qu’il y a eu la nomination d’un Mr.réconciliation en la personne de Modibo Keïta .Mr. Mara a joué au héros et il a perdu. Un désastre qu’on pourra éviter avec clairevoyance et sagesse. Dites à vos lecteurs que nous avons à la tête de l’État des amateurs et un autoritaire.
    Il n y a pas autre solution pour résoudre la crise que par la négociation . Aujourd’hui, nous connaissons les limites de nos Forces armées et le manque de stratèges. Où sont nos officiers sortie des grandes écoles militaires étrangères et de guerre ? Ont-ils été mis au placard comme c’est le cas chaque fois qu’une nouvelle administration se met en place?

  6. avec ce qui vient se passer mon billet d’il y a quelques jours prend toute sa valeur
    la visite simple scoop pour nettoyer le ciel brumeux pour cette présidence d’amateur
    visite normale mais inopportune et mal préparée
    tant que les gens n’abandonneront pas les symboles pour poser des actes réels de developpement et réconciliation, nous subiront toujours des situations colmme cela
    si le coup réussissait lui aussi allait se présenter un jour devant en espérant que le peuple va lui sauter sur les épaules ah oui c’est qui a osé le 17 mai
    cessons des pratiques de cet ordre
    prenez l’accord de ouagadougou comme base et aller à ouagadougou voir la cedeao et l’ua/l’onu et exiger des changements dans son contenu et lieu de négociatoion comme le peuple le souhaite
    un accord n’est pas fermé surtot quand ils’appelle préliminaire

    que dieu sauve le Mali
    que dieu ouvre ces portes paradisiaques aux morts

  7. Un “papier” de grande qualité!… Beaucoup de nos journaleux à 2 balles devraient en prendre de la graine!

    Par contre, quand il écrit que le PM passe pour “le héros du jour”, c’est sûrement vrai auprès de ceux qui ne réfléchissent pas;

    Parce que pour les autres, partir à Kidal en sachant la très forte probabilité de conflit sur place, et sans la moindre préparation ni anticipation préalable de Koulouba, fait de lui bien plus un amateur inconséquent et irréfléchi qu’un quelconque “héros”!… 👿

    De plus, tenter ensuite d’imputer honteusement les conséquences de sa propre connerie à la Minusma, n’a rien eu non plus “d’héroïque”, bien au contraire! 🙄 🙄 🙄 🙄 🙄

  8. Texte très pertinent

    Mais il est écrit ..”En effet, le Premier ministre Moussa Mara apparait désormais comme le héros dans un Mali humilié” …Pourquoi être si négatif..C’est une tentative pour aller à la Paix ,ce n’est pas là que le Mali est humilié ..

    Le Mali n’a pas l’armée qu’il devrait avoir.Parfois on a la Paix en préparant la Guerre..

    Il est écrit… ” A ce sujet, faut-il rappeler que certains individus soupçonnés dans l’assassinat de nos soldats…se pavanent aujourd’hui à l’Assemblée nationale”..Peut-on le dire sans citer de noms ?

  9. Bon texte. Bien inspiré et qui pose effectivement toutes les questions que soulève cette visite du pm mara à Kidal.

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