Entretien avec Deyti Ag Sidimo :« Je n’ai aucun problème avec l’Algérie » « J’ai combattu contre AQMI » « Kadhafi n’a pas honoré ses engagements »

0

Le célèbre député de Tessalit Deyti Ag Sidimo, qui était parti du Mali (dans des circonstances  que nous avions décrites dans une de nos précédentes parutions), et qui s’était installé à la frontière algérienne, vient de réapparaitre à Bamako où de lourdes spéculations s’amplifiaient sur une soi-disant poursuite de la justice algérienne. Nous l’avons rencontré dans une villa à Faladiè SEMA où il séjourne depuis deux semaines. Au cours d’un échange franc et sans tabou, l’honorable Sidimo nous parle de cette affaire, de son déménagement en Algérie, de ses relations avec Kadhafi. Il nous parle également de la mort de son frère Ibrahim Ag Bahanga.

Lundi 10 octobre. Il est 20 heures. Nous avons rendez vous avec Deyti ; nous ne savons pas où. Il nous envoie un certain Abdoul Salam à bord d’une 4X4 V8, flambant neuf, immatriculée au Niger. Notre guide nous conduit quelque part dans la rue 681 à Faladiè SEMA. Nous sommes à 100 mètres à peu près de sa propre villa qu’il a abandonnée avant de faire voyager toute sa famille en Algérie. Ici ? Rien d’extraordinaire. Nous sommes dans une famille normale. Sur le toit de la villa, Deyti nous attendait assis sur une chaise métallique (fait rare). Après les salutations d’usage, nous sommes installés sur des tapis de fortune. Après le Salamalec d’usage, Deyti se refuse toute conversation en français sans son interprète Abdoul Salam. Son THURAYA posé à côté est son plus fidèle compagnon. Le téléphone n’arrête pas de sonner, entrecoupant notre conversation par moment.

« J’apprécie le sens de votre démarche. Depuis un certain temps, la presse ne cesse de publier des informations sur cette poursuite algérienne contre moi. Mais personne n’a cherché à connaître ma version. Même RFI n’a pas fait l’effort élémentaire de se renseigner sur cette affaire et ils ont dit des choses qui ne sont pas justes. Je ne suis pas concerné par cette affaire ni de près ni de loin. » Voilà ainsi donc comment notre interlocuteur a planté le décor de nos échanges. En effet, le 15 septembre 2011, le Pôle Pénal spécialisé du tribunal de Ouargala, saisit le gouvernement malien par une correspondance de la même date afin de communiquer l’identité du nommé El Daiati, membre du parlement malien en 2007 ainsi que l’identité de ses deux cousins Katilna et Abou-Bakar qui seraient liés à une affaire de trafic de drogue.

Nulle part dans le document n’apparait le nom de Deyti Ag Sidimo. Nulle part il n’est mentionné qu’il s’agit du député élu de Tessalit. Pourtant, sans avoir pris le minimum de précaution, le gouvernement à travers le ministère de la justice a saisi l’Assemblée Nationale en vue de la levée de l’immunité parlementaire de Deyti Ag Sidimo. « J’ai deux nationalités, Algérienne et malienne. Sur mes deux passeports, mon nom est bien Deyti Ag Sidimo. Sur tous mes actes d’Etat civil, mon nom n’a jamais changé. Pourquoi donc me confondre à un certain Al Daïati que je ne connais ni d’Adam, ni d’Eve ? C’est délibéré. Je veux savoir pourquoi on m’a fait ça. Si je n’étais pas venu, tout le monde allait croire que j’avais fui. Je me suis présenté à l’assemblée où mes pairs avaient créé une commission ad hoc pour m’entendre. Aujourd’hui, je n’aimerai pas être à leur place. Ils se sont faits ridiculisés simplement » explique notre interlocuteur qui tient à faire des mises au point par rapport à un certain nombre d’accusations dont il fait l’objet.

Les élections législatives de 2012 ne sont pas loin. Deyti sait que ses adversaires politiques ne lui feront plus aucun cadeau. Tessalit est un enjeu politique majeur, même au plan international. La position géographique de cette zone le rapproche plus du reste du monde. Toutes les puissances militaires convoitent cette localité. En premier, les Américains. L’Algérie dont Deyti est originaire n’est qu’à quelques coudées.

 

« C’est vrai, j’ai fait partir ma famille à la frontière algérienne »

Nous avions décrit dans notre édition n°52 comment Deyti et sa famille avait quitté Bamako. Au cours de notre entretien, l’honorable député explique. « Je suis libre d’aller ou de faire  partir toute ma famille là où je veux. C’est vrai, j’ai envoyé ma famille en vacances en Algérie. Ma femme est Algérienne. Dans mon convoi, le camion que vous avez décrit contenait les bagages de ma femme et non des armes. Et puis, comment aurais je pu traverser tout le Mali avec un arsenal de guerre ? Où étaient donc passées les forces de sécurité ? Par rapport aux Véhicules 4X4 V8, ils sont tous à moi. Est-ce un crime que de posséder 100 véhicules ? Moi je ne crois pas !  Ils sont allés jusqu’à dire que j’ai vendu ma maison. Ce n’est pas juste. Ma famille est en Algérie. C’est tout.»

 

« Je ne suis ni trafiquant d’armes ni de drogue »

Deyti est bien au courant qu’il se raconte à travers le Mali qu’il est dans le trafic d’armes et de drogue. Mais jurant la main sur le cœur, notre interlocuteur rejette ces accusations. « Je suis commerçant import export en Algérie. Je ne suis ni trafiquant de drogue ni d’arme ».

Connu pour être l’un des commerçants les plus prospères du nord de notre pays, Deyti a participé presqu’à toutes les crises qui ont secoué cette localité. Selon certains témoignages recueillis sur lui, nous avons appris qu’il est l’hôte de presque tous les chefs de tribu dans cette zone qui va jusqu’en Algérie. Or, dans cette localité de non droit, les activités les plus prospères sont le trafic de marchandises de toute nature en provenance de l’Algérie. A Tessalit, Deyti est non seulement une autorité politique, mais aussi et surtout un chef de guerre respecté. Il appartient à « l’Alliance du 23 mai » mouvement touareg rebelle.

 

« Je n’ai jamais touché à une arme depuis la signature de l’accords d’Alger »

Soupçonné de vouloir reprendre les armes à la faveur du retour des combattants en Libye, Deyti est formel. « Je suis un homme de parole. J’inscris mes actions dans le cadre de l’Alliance du 23 mai. Aujourd’hui, rien ne nous pousse à en venir aux armes. Nous nous battons pour l’application intégrale de l’ accord d’Alger. Et nous estimons que le gouvernement fait des efforts remarquables dans ce sens. Ma priorité aujourd’hui, c’est le développement de ma localité qui ne va pas sans la paix. Donc j’ai besoin d’être serein pour réussir cette mission. »

 

« Il faut faire quelque chose pour les combattants venus de la Libye »

L’ensemble des pays de la bande Sahélo Saharienne redoutent à juste raison l’afflux massif des armes et des mercenaires ayant fui le front en Libye et qui se sont retrouvés dans ces pays respectifs. La fragile situation sécuritaire de cette zone est mise à rude épreuve avec cette nouvelle situation. Sur la question, notre interlocuteur a son point de vue.

« Il ne faut pas croire qu’ils sont tous libyens. Il y’a parmi eux des Maliens d’origine installés en Libye depuis plusieurs décennies. Ce sont des militaires. Et vous savez que lorsqu’un militaire se déplace dans ces conditions, son premier bagage c’est son arme. On ne peut pas interdire à un Malien de rentrer dans son pays. Maintenant, il faut comprendre très vite qu’il faut les prendre rapidement en charge pour leur réinsertion socio- économique. Ce sont des gens qui ne retourneront plus en Libye. Ils sont venus pour s’installer  définitivement dans leur pays d’origine, le Mali. Déjà, nous sommes en concertation avec les plus hautes autorités pour voir dans quelle mesure organiser le processus d’insertion. »

 

« Kadhafi n’a pas honoré ses engagements »

Accusé d’être au service du Guide libyen, Mouammar Kadhafi, Deyti nie avoir participé au recrutement des mercenaires maliens pour le front pendant la crise. « J’ai cessé de fréquenter Kadhafi depuis la fin des négociations qu’il avait pilotés entre l’Alliance du 23 mai et le Gouvernement du Mali. Kadhafi a pris beaucoup d’engagements avec nous, contre des concessions majeures. Nous avons tout accepté de lui mais il ne s’est pas montré digne de confiance. Mais je tiens à préciser qu’il n’est pas mon ennemi tout comme le CNT. Je n’ai rien contre ni l’un ni l’autre ».

 

« Je n’ai aucun lien avec AQMI !»

Longtemps soupçonné d’être  un soutien pour AQMI, notre interlocuteur tient là aussi à rappeler qu’il n’a rein à voir avec AL QAIDA. D’ailleurs dit-il, lors d’un affrontement avec AQMI en 2009, Deyti dit avoir été atteint par balle et il traine à présent cette cicatrice. Au cours des combats qu’il n’est pas prêt d’oublier, deux de ses hommes ont été faits otages par les combattants d’AQMI. Il n’aime pas AQMI et ne cache pas sa position sur la question. En réalité, depuis le début de leurs activités dans le nord, l’une des rares zones qui a échappé au contrôle d’AQMI, est la circonscription de Tessalit sous maitrise totale de Deyti.

 

« Personne n’a tué BAHANGA »

Deyti et Ibrahim Ag Bahanga étaient des amis jusqu’à la signature des Accords d’Alger où leurs points de vue divergent sur l’opportunité de la signature de l’acte de paix. Bahanga plus radical et téméraire s’est estimé trahi par son ami Deyti qui était proche du président Amadou Toumani Touré. Une relation qui explique d’ailleurs son adhésion au PDES dont il est membre du Groupe parlementaire. A la mort, de Bahanga, plusieurs thèses avaient été évoquées sur les circonstances de l’accident. Entre ceux qui ont cru à un assassinat et ceux qui estiment qu’il ne s’agit que d’un banal accident, le débat n’est pas encore clos. Mais nous avons interrogé Deyti Ag Sidimo. « Personne n’a tué Bahanga. C’est le destin. C’est Dieu. Croyons en Dieu.»

 

Abdoulaye Niangaly


Commentaires via Facebook :