Le 19 novembre, Serge Lazarivic, ingénieur minier et Philipe Verdon géologue, deux experts commis par la société financière sud Africaine, Neuville Stansield Capital pour expertiser la carrière de Dimamou, -30 km de Hombori atterrissent à Bamako. Lazarivic vient pour la première fois au Mali. Verdon, lui, est un habitué de Bamako qui suit le projet de cimenterie depuis un moment avec Djibril Camara, le promoteur du projet. L’avis des deux experts est vital aux banques sud-africaines intéressées par le filon. Qui n’est pas donné : il coûte 225 millions Euros. Mais il y a du marbre et du ciment pour deux cents ans à raison d’un million de tonnes par an.
Et puis un millier d’emplois directs dans une zone où le chômage est roi. Abattu par la nouvelle de l’enlèvement qu’il a apprise à 5h 45 par Mamadou, le chauffeur des deux Français, Camara se rappelle encore les propos enthousiastes des deux géologues avec lesquels il entre en contact téléphonique: « nulle part ailleurs, concluent-ils, nous n’avons vu du minerai d’une telle qualité ! ». C’est le mercredi 23 novembre juste quand les experts reviennent, le petit soir, de la carrière en compagnie de leur guide Ibrahim Ould Dah qui sera auditionné par la gendarmerie toute la journée du jeudi où vers une heure du matin, « six inconnus enturbannés et en boubou » font irruption dans la petite auberge du nom de Dombia, dans le nouveau quartier de Hombori, à la sortie vers Gao.
L’homme du car
C’est sur cette auberge un peu excentrée, appartenant à Hamadoun Allaye, un ancien guide touristique du sobriquet « d’Italien », que les visiteurs jettent leur dévolu en arrivant dans la ville mardi 22 novembre, peu avant le coucher du soleil. La route est longue. A 250 km de Mopti et de Gao, Hombori est à 900 km de Bamako d’une route très inégale. Les hôtes sont arrivés juste avant un homme enturbanné, « Touareg ou Arabe sorti du car en provenance de Bamako», selon nos informateurs sur place. L’homme prend une chambre dans la même auberge mais l’enquête montre, jeudi, qu’il a « omis » de laisser son identité à la réception. L’inconnu, selon plusieurs sources, aura joué un rôle crucial dans l’enlèvement. « C’est lui qui neutralise et ligote le réceptionniste » pendant que certains de ses compères entretemps venus dans une Toyota BJ, neutralisent le peu de personnel qu’il trouve sur place avant de s’emparer, kalach au poing, des deux experts. Verdon a du résister « car il y avait des traces de sang dans sa chambre », relèvent les sources.
Plusieurs informateurs pointent la direction de Gossi comme celle prise par les ravisseurs. Cela veut dire que s’ils continuent dans le Gourma -dont Hombori est au cœur- les ravisseurs seront obligés de traverser le fleuve. « Ce ne serait pas intelligent », doute un vieux garde qui a blanchi sous le harnais dans cette région. L’Etat major de la Défense, contacté par notre rédaction dans l’après-midi du jeudi, paraît du même avis qui déclare « que les poursuites continuent dans la direction d’un pays voisin ».
Qui ne peut-être que le Burkina Faso partageant avec le Mali la longue bande de l’Agacher, avec moins de cache que l’Adrar des Ifoghas mais tout de même une zone au paysage lunaire par endroits. Autre point d’ombre, l’heure à laquelle les poursuites ont commencé.
Zones d’ombre et certitudes
Les sources sont formelles à Hombori que la gendarmerie locale a été sur le coup seulement au petit matin. Et d’ailleurs, argumentent-elles, elle ne pouvait poursuivre les ravisseurs car la seule voiture dont elle dispose était avec « le Chef de Brigade vers Ségou ». C’est pourquoi, continuent les mêmes informateurs, « on a recouru à l’unité méhariste de Gossi -à 90 km- arrivée sur les lieux vers 8 heures ». L’information officielle livrée sur le site intranet des Nations-Unies indique au contraire que les poursuites avaient été déclenchées tout de suite après le forfait.
Autres zones d’hombres, le passé de Philipe Verdon et dans une moindre mesure celui de Serge Lazarivic. De simples recherches google indiquent que Philipe Verdon a pour le moins un parcours troublant. Il était dans le marais malgache, il a côtoyé Bob Denard qui aurait même dit de lui qu’il est plus un homme d’affaire qu’un barbouze. Concernant Serge Lazarivic, en fait la seule référence que nous avons de lui, est qu’il dirige une société de gardiennage en France. Ce qui n’est pas exactement le profil d’un ingénieur minier, mais plutôt la couverture et le point de chute d’ancien barbouze. On peut a priori se demander pourquoi une banque Sud africaine les employerait pour un projet aussi sérieux.
Ce qui est certain, c’est que le représentant de la Banque Mondiale à Bamako, Ousmane Diagana, qui a passé toute la matinée à la vérifier dément l’information très tôt relayée que les deux experts étaient en mission de la Banque Mondiale. D’ailleurs, le même message intranet des Nations-Unies est catégorique : les experts n’étaient ni en mission de la Banque mondiale ni d’aucune agence onusienne! Reste qu’ils ont été enlevés et enlevés dans le Gourma malien, pratiquement à l’entame de la saison touristique. A quelques encablures de la campagne présidentielle française. Et alors que la veille, un négociateur pour la libération des otages d’Arlit -un ancien officier français- échappait à la mort la veille avec le député malien qui l’accompagnait.
Donc, le cauchemar absolu pour Christian Rouyer, le remuant ambassadeur de France qui a pris fonction, il y a six mois, avec la consigne que « l’Elysée ne veut pas entendre parler d’un autre enlèvement de Français au Sahel » ! D’ailleurs, le diplomate dut annuler l’inauguration d’une école à Ségou où il était attendu jeudi. A Hombori, la situation est tendue toute la journée. Le préfet est venu de Douentza et le gouverneur y était attendu. La gendarmerie auditionne à tour de bras et les Arabes ont fermé leurs boutiques, histoire de ne pas faire les frais du raccourci « Arabe égale Aqmi ». Quant au président Touré, « il reste silencieux le long du trajet Bamako-Niamey » qu’il prend ce jeudi, six heures après la rocambolesque opération. Il savait sans doute la nouvelle avant que ses co-passagers, dont le ministre des Affaires Etrangères, lui disent l’avoir apprise à 6h30 sur Rfi.
Adam Thiam