«Le Général Benoît Puga, chef d’état-major particulier du président de la République, a prétendu que notre frère serait mort, entre Gao et Tombouctou, à peu près en novembre 2013. Que Gilberto avait dû se laisser mourir ou était mort faute de médicaments. Peut-être qu’il avait été tué par balle. Que, depuis, le Mujao déterre régulièrement son corps pour l’enterrer ailleurs. Voilà ce que le Général a osé nous dire, ce jour-là ! Nous n’acceptons ni le flou ; ni l’inexactitude de ses propos». Lisez plutôt !
«Nous avons appris l’enlèvement de notre frère le lendemain matin, par téléphone. C’était le Quai d’Orsay, le ministère français des Affaires étrangères. Ils nous ont demandé de ne pas ébruiter l’affaire afin de ne pas entraver l’enquête. Nous avons suivi leurs consignes. Aujourd’hui, nous pensons que ce fut une erreur. S’il y avait eu une très large médiatisation, dès les premières heures, dès les premiers jours, nous n’en serions pas là. Arrivé de Mauritanie, Gilberto partait pour le Togo. On l’avait assuré que l’itinéraire prévu était sécurisé. Il avait garé son camping-car devant le poste de police de Diéma, pour y retirer le visa demandé à Bamako. Il me l’avait dit par Skype. Ce que je vais vous expliquer maintenant, nous l’avons appris, assez récemment grâce à un témoin oculaire de l’enlèvement, un résident de Diéma qui nous a contactés. Notre frère était assis avec des jeunes qui lui avaient prêté une clé 3G pour se connecter à l’internet. Six ou sept hommes sont descendus d’un pick-up. Ils ont vérifié qu’il ne portait pas d’armes et l’ont emmené, sans violence. Immédiatement avertie, la police s’est lancée à leur poursuite, mais sur la route longeant la frontière mauritanienne, la trace a été perdue. Peu de temps après, si je puis dire, le 26 novembre, nous avons eu une preuve de vie. Notre frère apparaissait dans une vidéo diffusée sur le site web d’information mauritanien Al-Akhbar. Dans le communiqué, Abou Walid Sahraoui, porte-parole du mouvement, déclarait que le Mujao revendiquait l’enlèvement. En janvier 2013, quand nous avons entendu que le Mnla facilitait le terrain à Serval, c’est nous qui les avons cherchés, ici en France, immédiatement. J’ai rencontré Moussa Ag Acharatoumane, un de leurs membres. Il m’a parlé, d’abord et avant tout, de leurs propres problèmes. Ce n’est qu’au dernier moment, qu’il a accepté d’en venir à Gilberto. Il m’a certifié que la France n’avait jamais donné l’ordre de localiser notre frère. Quand je lui ai demandé s’ils pouvaient nous mettre en relation avec le Mujao, il m’a expliqué que ce groupe était leur ennemi. Par le net, nous avons appris que le 26 janvier 2013, Walid Abou Sahraoui, un porte-parole du Mujao, avait proposé à la France de négocier la libération de Gilberto. Le gouvernement a déclaré qu’il n’était pas question de céder au chantage. Le Mujao a réitéré sa demande par deux fois. Face au refus, ils ont déclaré qu’ils ne voulaient plus avoir à faire avec la France. C’est ce qui me fait dire depuis longtemps que notre frère a été lâché en ce moment-là, le condamnant à une mort certaine. Même si les autorités s’en défendent, Gilberto ne devait pas avoir assez de valeur à leurs yeux. Il n’était le salarié d’aucune entreprise. Il ne représentait rien d’autre que lui-même. Nous pensons vraiment qu’il y a plusieurs catégories d’otages, notre frère faisait partie de la dernière. Nous étions assourdis par le silence de nos autorités. Lorsque nous demandions où en étaient les recherches, on nous rétorquait qu’il n’y avait rien de nouveau. Nous n’avons jamais été contactés par Serval ou la Minusma. Lorsque nous avons appris que le président IBK allait venir à Paris, nous avons envoyé un courrier pour qu’il se penche davantage sur ce qui concernait Gilberto. Ils n’ont même pas accusé réception. Une des très rares informations que le Quai d’Orsay nous avait données concernait le camping-car de notre frère. Il avait été mis sous scellés à Bamako. Or, un photographe nous a fait parvenir, en janvier 2014, une photo qu’il venait de prendre à Diéma. Le véhicule était toujours garé près du poste de police. Le citoyen lambda, en France comme au Mali, est convaincu que les familles d’otages sont très entourées par les autorités. Cela n’a pas été et n’est toujours pas notre cas. Nous estimons même que nous avons été méprisés. Nous avons été accompagnés par nos amis et nous le sommes toujours. Mais, il faut reconnaître qu’après la libération des 4 otages de Arlit, fin octobre 2013, Gilberto est tombé aux oubliettes de la scène médiatique. Nous nous sommes retrouvés plus seuls encore. Nous n’avons pas que des amis. Nous avons pu envoyer plusieurs messages de soutien à Gilberto sur les ondes de RFI. Nous savions que cela lui ferait du bien de nous entendre. Le 19 avril dernier, les journalistes enlevés en Syrie ont été libérés. Après leur arrivée, Laurent Fabius a exprimé son inquiétude quant au sort de Gilberto. Il nous préparait. Le 22 avril, en début d’après-midi, le Quai d’Orsay nous a informés qu’un communiqué allait probablement sortir annonçant la mort de Gilberto, mais que, selon ce qu’il contiendrait, ils le démentiraient. En effet, Yoro Abdoul Salam, un responsable du Mujao, l’a annoncée par téléphone à l’AFP, peu de temps après. François Hollande, le soir même, a déclaré qu’il y avait tout lieu de penser que notre frère était décédé plusieurs mois avant. Un autre communiqué, écrit celui-là, aurait été envoyé, via le site mauritanien habituel, à l’AFP et à Serge Daniel de RFI à Bamako. Nous n’avons jamais pu obtenir le contenu. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir insisté auprès de Serge Daniel. Une source nous avait prévenus qu’il était important que nous en prenions connaissance. Nous en déduisons évidemment que ce communiqué a été bloqué. Les autorités ont-elles estimé qu’il contenait des éléments à ne pas dévoiler ? Nous avons sollicité un entretien avec François Hollande, souhaitant également la présence d’un chef des armées. Nous avions des questions à poser. C’est le Général Benoît Puga, chef d’état-major particulier du président de la République, un aide de camp et des représentants du Quai d’Orsay qui nous ont finalement reçus, mes 4 frères et sœurs et moi, à l’Elysée, le 8 juillet, dans un salon où la télévision était restée allumée. L’équipe de football brésilienne s’entraînait en direct, pour le match contre l’Allemagne, le soir même ! Le Général Puga a prétendu que notre frère serait mort, entre Gao et Tombouctou, à peu près en novembre 2013. Que Gilberto avait dû se laisser mourir ou était mort faute de médicaments. Peut-être qu’il avait été tué par balle.
Que, depuis, le Mujao déterre régulièrement son corps pour l’enterrer ailleurs. Voilà ce que le Général a osé nous dire, ce jour-là ! Nous n’acceptons ni le flou ; ni l’inexactitude de ses propos. Notre frère était robuste, moralement et physiquement, il ne souffrait d’aucune maladie chronique nécessitant un traitement. Lorsque nous avons évoqué la probabilité d’un dommage collatéral de Serval, il nous a clairement été dit que cela était impossible. Nous avons posé des questions sur Yoro Abdou Salam, celui qui avait annoncé la mort de Gilberto. Nous n’avons obtenu aucune réponse. Nous avons été étonnés d’entendre ce monsieur dire que le Mujao n’enlève les Occidentaux que pour les tuer. Etions-nous naïfs de croire qu’un otage n’a d’intérêt que parce qu’il est vivant, donc négociable ? Il paraît qu’aujourd’hui, le Mujao pourrait tenter de négocier la dépouille ! Outre cette rencontre à l’Elysée, nous n’avons recontacté personne depuis l’annonce de la mort de Gilberto. Jusqu’à fin avril, nous nous sentions tellement abandonnés par les autorités, alors que nous avons tout tenté. Nous n’avons rejeté aucune piste. Nous n’avons peut-être pas rencontré les bonnes personnes. Philippe Verdon dont le corps a été retrouvé en juillet 2013, avait été enlevé par Aqmi en novembre 2011, avec Serge Lazarevic. Serge est le dernier Français retenu là-bas. Des sept diplomates algériens enlevés à Gao en avril 2012, trois sont encore aux mains du Mujao. Nous regrettons de ne pas avoir contacté les parents et amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les deux journalistes de RFI assassinés à Kidal. Eux aussi dénoncent le silence de plomb. Je tiens ici à lancer un appel au Mujao, au Mnla, aux Touaregs, aux Peuls, aux Sonraïs, aux Arabes, aux Maures, à tous. Vous qui êtes sur le terrain, ou qui l’avez été, vous qui vivez là-bas, vous les soldats des différentes forces armées, nous vous supplions de nous contacter. Moi, Irène, sœur de Gilberto ou n’importe quel membre de notre famille, via l’internet, les réseaux sociaux ou tout autre moyen. Si vous avez un renseignement, à quelque propos que ce soit concernant notre frère, contactez-nous. Je suis prête à me déplacer. J’irai où vous me le demanderez». Irène Rodriguez Bravi.
Propos recueillis le 18 juillet 2014 par Françoise WASSERVOGEL
Courage Irène en souhaitant de tout cœur que votre frère puisse vivre quelque part et en espérant que la chance ou miracle puisse favoriser vos retrouvailles. Cruels les pouvoirs partout où ils sont. Ils n’ont que des intérêts…
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