Laboratoire magnifié de la démocratie depuis l’effondrement de la dictature du Général Moussa Traoré en 1991, le Mali est, sur le plan sécuritaire, désormais logé à l’enseigne d’un pays en voie de sinistre. Voire de naufrage.
Par le truchement d’une actualité de feu et de frayeur, ce vaste pays (voisin oriental du Sénégal) marche au bord du précipice : prise d’otages sanglante, harcèlement des postes militaires et – comble d’inquiétude – parfum de sécession avec le flottement d’un nouveau drapeau dans la région de l’Azawad, c’est-à-dire grossièrement le septentrion malien.
Certes, l’ancien Soudan est depuis longtemps, affecté par deux maux (endogène et exogène) que sont le vieil irrédentisme armé de la minorité blanche (les Touaregs) et le débordement de la guerre civile algérienne sur son sol ; mais le brutal constat est que les effets collatéraux de la crise libyenne ont surdimensionné les risques de déstabilisation du Mali, dont la désintégration diffuserait des ondes de choc dans les 7 Etats (un record de voisinage) qui l’entourent : Algérie, Niger, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée-Conakry, Sénégal et Mauritanie. Perspective géopolitiquement cauchemardesque qui justifie la fébrilité des chancelleries diplomatiques, l’effervescence des états-majors militaires et l’offensive des services de renseignements. A cet égard, l’enchaînement des évènements laisse les observateurs fortement songeurs ; et les Maliens visiblement affolés.
En octobre dernier, la défaite et la dislocation de l’armée de Kadhafi ont entrainé le retour au bercail, de 400 Touaregs longtemps militaires en Libye. Chose inédite et inquiétante, la noria de véhicules 4×4 bourrés d’armes a traversé le sud algérien, avant de se positionner et d’incruster ses occupants dans le désert immense, rocailleux, sablonneux et montagneux de la région de Gao. Donc d’accès difficile aussi bien pour l’armée malienne que pour les unités françaises en mouvement dans le secteur.
Dans la nuit du 23 au 24 novembre, deux ressortissants français sont capturés dans la petite ville de Hombori. Une action très en profondeur des hors-la-loi, puisque la localité se trouve au sud du fleuve Niger qui, sur les cartes d’Etat-major, est censé représenter la ligne de démarcation entre la partie sûre du territoire et la zone où l’Etat est en liquéfaction plus ou moins volontaire. Mais aussi, une présence très avancée (finalement troublante) dans une région au-delà de laquelle se trouve « le pénitencier » d’Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) qui abrite, depuis avril 2010, une poignée d’otages enlevés à Arlit, au Niger.
Les interrogations sont d’autant plus lancinantes que les deux Français (Philippe Verdon et Serge Lazarivic) ont des profils flous et des agissements étonnants. Ce qui n’est pas sans booster les hypothèses et les soupçons les plus débridés. En effet, une rapide plongée dans leur passé les éloigne de la profession de « géologues » qu’ils ont déclinée.
Le premier, en l’occurrence Philippe Verdon, a roulé sa bosse dans des pays plus fertiles en secousses politico-militaires que riches en minerais : Madagascar, Comores, Rdc et les Balkans. Sa proximité avec les services secrets français est établie par plusieurs sources. Quant à Serge Lazarivic, d’origine hongroise, son nom a été cité dans une tentative d’assassinat de l’ex-Président serbe Slobodan Milosevic puis dans un complot ourdi, en 2003, contre le chef de l’Etat des Comores, le Colonel Azali Assoumani.
Avec de pareils pedigree, qu’est-ce qu’on va faire dans cette bourgade de Hombori ? Des recherches géologiques, selon leurs dires. Vraisemblable. Car les deux Français sont, sur le papier, dépêchés au Mali conjointement par la Banque mondiale et la société financière Neuville Stansield Capital dont le siège est en Afrique du Sud. Mission : travailler dans le projet de cimenterie de Dimamou (30 km de Hombori) auquel on associe le nom de l’homme d’affaires malien Djibril Camara. Tout est en règle. Mais tout n’est pas net ; car le Représentant de la Banque mondiale à Bamako, Ousmane Diagana, a démenti l’existence du moindre contrat, en indiquant que son institution n’avait aucune relation avec les deux « géologues » devenus des otages d’un groupe armé non encore identifié.
Loin de se dissiper, la confusion s’est épaissie, lorsque les enquêteurs maliens ont découvert que Philippe Verdon et Serge Lazarivic n’avaient pas rempli la fiche d’hôtel. Auparavant, ils avaient oublié et /ou omis de se signaler au consulat près l’ambassade de France à Bamako, malgré les mises en garde répétées du Quai d’Orsay.
A mille lieues à la ronde, cette affaire pue la barbouzerie. Favorisée qu’elle est, par un capharnaüm si entier que des preneurs d’otages ont pu opérer, en plein jour, dans la ville de Tombouctou qui abrite pourtant un camp de méharistes et un aérodrome militaire. Une insécurité grandissante sur laquelle plusieurs pays greffent leurs calculs géostratégiques.
A commencer par la France qui, sous le parfait prétexte de voler au secours de ses ressortissants pris en otage, se met opportunément en quête de réaliser son rêve d’implantation militaire dans un Mali bordé par 7 pays, tous (à l’exception de l’Algérie) situés ou incorporés (cas de la nouvelle Guinée d’Alpha Codé) dans le fameux pré-carré.
D’où cet art de contourner le refus du Président Amadou Toumani Touré (ATT) et l’hostilité de l’opinion publique bamakoise, par le surgissement planifié d’évènements dramatiques (prises d’otages à répétition) qui ouvre forcément les portes du Mali, à une armée française partiellement dégagée de sa vieille et précieuse base de Dakar. Objectif parfaitement atteint. Sans accord bilatéral de défense, ni vote du parlement malien. Puisqu’un lourd commando français des Forces spéciales, campe à Sévaré, dans les faubourgs de Mopti ; tandis que des avions de chasse survolent Bandiagara. Plus au nord, les hélicoptères évoluent dans le ciel de Gao. La frontière avec l’Algérie n’est pas loin.
Tâche bien exécutée par le remuant ambassadeur de France à Bamako, Jean Rouyer. Cet ancien Consul à Munich et à Barcelone, a longtemps servi à la place Beauvau (siège du ministère de l’Intérieur) avant d’être nommé Préfet de l’Aube, en remplacement du Beur Nacer Meddah. C’est de la région Champagne-Ardenne que Sarkozy l’a dirigé sur le Mali.
Au lendemain de la disparition des deux « géologues » français, l’ambassadeur Rouyer a publié le message que voici : « L’enlèvement des deux ressortissants français dans un hôtel de Hombori, au sud du fleuve Niger, me conduit à rappeler que les mesures de sécurité préconisées par l’ambassade répondent à un danger réel et non à un risque hypothétique ou surévalué ». Une grosse pierre furieusement jetée dans le jardin de ATT.
Pour les historiens des « coups tordus », cette affaire sombre de Hombori ressemble comme une goutte d’eau, à l’affaire Madame Claustre au Tchad, au milieu des années 70. Pour couler le pantin gênant Tombalbaye, les services spéciaux (à l’époque, le Sdece) avaient – sous le couvert d’une mission de recherches du Cnrs – dépêché l’ethnologue luxembourgeoise Françoise Steiner (devenue épouse Claustre) dans la lointaine palmeraie de Bardai, au nord de Faya Largeau. Donc à la portée d’un raid des rebelles toubou du tandem Hissène Habré-Goukouni Weddeye. La suite est connue.
Au Mali, le coup d’Etat n’est pas à l’ordre du jour ; bien que certains milieux de Bamako en bruissent. Il s’agirait plutôt d’un coup de dissuasion. Faire en sorte que ATT, de plus en plus agaçant aux yeux des Français – l’Elysée s’entiche davantage du Général Mohamed Abdelaziz de Mauritanie, plus clairement anti-Al Qaida, que de son taciturne homologue du Mali – n’exploite pas politiquement le chaos rampant, pour rester un ou deux ans dans le Palais de Koulouba.
Ces points que la France est en train de marquer au Mali vont hâter la riposte programmée de l’Algérie farouchement opposée à toute présence non régionale dans la bande saharo-sahélienne. Et ce n’est pas hasard si le Général Ahmed Gaid Salah, chef d’Etat-major de l’armée algérienne et le Général Mediène alias « Taoufik » patron des services spéciaux (ex-Sécurité militaire) ont laissé les 400 auxiliaires touaregs de l’armée (défaite) de Kadhafi, traverser le sud de l’Algérie, sur plus de 1000 km, avant de rentrer en territoire malien.
Alger a, de façon symétrique, noyauté les rebelles touaregs et infiltré les combattants d’Aqmi. Ce qui lui donne une marge de manœuvre dans les affaires intérieures du Mali. Car dans la doctrine sécuritaire de l’Algérie, le Nord-Mali est un glacis. Toute intrusion d’un acteur extra régional dans cet espace, équivaut à un casus belli.
Bref, un duel franco algérien qui ne porte pas son nom, est en cours au Mali.
Source: sudonline.sn – Publié le 02/12/2011