Pendant que le 24 mai dernier, l’Union européenne (UE) promettait une aide militaire et une enveloppe de 80 millions d’euros pour la stabilité dans le sahel, le réseau Al-Qaïda au Maghreb islamique a entrepris de dévoiler sa stratégie médiatique, militaire et de planification de l’organisation.
Le Directeur général pour l’Afrique au Service d’action extérieure de l’Union européenne (EEAS), Nicholas Wescott, a annoncé ce projet en Mauritanie, lors d’une visite au cours de laquelle il a rencontré le Président Mohamed Ould Abdel Aziz et d’autres hauts responsables. « Pour assister la mise en œuvre de la stratégie de l’Union européenne pour le Sahel, nous avons triplé le montant disponible jusqu’à 25 millions d’euros », déclare le plus haut responsable européen des relations avec l’Afrique avant d’ajouter : « Nous sommes en train d’engager 80 millions d’euros en faveur de la Mauritanie d’ici la fin de l’année prochaine dans le cadre du dixième Fonds européen de développement (FED). Nous sommes en train de préparer des programmes avec le gouvernement mauritanien pour veiller à ce que ces montants soient dépensés ». Wescott a fait part de sa grande préoccupation au sujet de la crise au Mali et a affirmé que l’UE reste favorable à une solution politique de ce conflit, en accord avec la CEDEAO. Mais selon ce haut diplomate européen, si une action militaire devait être envisagée, elle devrait être légitimée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. « Nous sommes très inquiets de la présence de mouvements djihadistes sur le terrain », indique-t-il. Le plan européen pour le développement et la sécurité au Sahel est axé sur la Mauritanie, le Mali et le Niger. En effet, cette stratégie de l’Union européenne se décline selon quatre axes du domaine sécuritaire : l’aide au développement ; le soutien et l’encouragement pour une approche régionale de la lutte antiterroriste ; l’aide au renforcement des capacités sécuritaires de la Mauritanie, du Niger et du Mali et enfin, le soutien à la lutte contre la radicalisation et l’extrémisme. En fait, les pays de l’UE pensent renforcer les capacités des États concernés dans les domaines de la sécurité, du maintien de l’ordre et de l’État de droit afin de leur permettre de lutter contre les menaces et de s’attaquer au terrorisme et au crime organisé.
Les islamistes sur le-qui-vive
Par contre, les leaders de longue date du GSPC et d’AQMI parlent déjà de l’histoire de l’organisation en Algérie et de ses projets futurs pour le Mali. Les leaders d’AQMI ne veulent pas entendre parler de soutien de l’UE auprès des pays du Sahel. Ils révèlent leur véritable identité lorsqu’ils revendiquent un attentat, font passer un message ou expriment une position sur un sujet donné. Mais les choses sont différentes lorsqu’ils parlent de stratégie et d’histoire. La déclaration de ces responsables d’AQMI intervient un peu plus de quinze jours après la publication des documents et des lettres retrouvés dans le repaire d’Oussama Ben Laden à Abbottabad, au Pakistan. Ces documents font apparaître des divisions au sein d’Al-Qaïda, des tensions avec les autres extrémistes, des appels du groupe à changer de nom et d’autres dissensions internes. Ces lettres de Ben Laden témoignent de la fragmentation d’Al-Qaïda. Mais pour AQMI, l’organisation terroriste internationale est de toute façon un modèle à suivre. Et les terroristes du réseau reconnaissent que la réconciliation en Algérie a placé cet affilié d’Al-Qaïda au Maghreb dans une situation délicate. Depuis que le GSPC algérien s’est rebaptisé Al-Qaïda au Maghreb islamique, les terroristes bénéficie d’une forte poussée. Et ce groupe était leur principal soutien dans la lutte contre le projet de réconciliation en Algérie. Certains groupes de djihadistes ont connu une réduction dramatique de leurs effectifs, résultat du programme d’amnistie en faveur des terroristes repentis mis en place par Alger. Cette nouvelle affiliation a aidé le GSPC à recomposer ses rangs clairsemés. En chiffre, près de 8 000 terroristes ont en effet bénéficié de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en Algérie. Et Hassan Hattab, le fondateur du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) fait partie des quelque 80 terroristes qui se sont rendus depuis l’entrée en vigueur de cette charte en 2006. Sa « repentance » officielle a porté un sérieux coup de massue au groupe terroriste algérien. Avant sa libération de la prison il y a cinq mois, Hattab a publié plusieurs appels, demandant à ses « frères » d’obéir à Dieu, de rejeter la violence et de choisir la voie de la réconciliation. Confronté à la réduction de ses rangs, à la suite de cette initiative algérienne, le GSPC s’est alors tourné vers Oussama Ben Laden. Cette accession à l’organisation mère Al-Qaïda a ouvert la porte aux islamistes pour recevoir des recrues du monde entier. Bien plus, cela a réduit l’impact du programme algérien de réconciliation. Cette situation a également donné une envergure mondiale aux terroristes d’AQMI et leur a permis de sortir du niveau national limité sur lequel ils opéraient. Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est qu’AQMI a bénéficié de son accession à Al-Qaïda, mais a souffert de la mort de Ben Laden.
En effet, les lettres de Ben Laden révèlent la portée de son statut de guide pour ses acolytes au Maghreb. Dans la lettre numéro 13 (sur les 17 rendues publiques le 5 mai 2012), il conseillait à AQMI d’éviter les divisions et de suivre des plans de guerre efficaces. Cela prouve que Ben Laden n’a jamais été convaincu que la branche maghrébine avait atteint le stade de la maturité. Selon des analystes, l’échec des forces islamiques algériennes à remporter les récentes élections législatives démontre que le souvenir des années de feu, de plomb et de terreur est encore fortement ancré dans les esprits algériens. Ce qui explique aujourd’hui l’insistance mise par les Algériens sur la réconciliation qu’ils présentent comme l’ennemi numéro un des groupes terroristes. Dans leurs allégations, les terroristes expliquent que les soubresauts politiques et l’incertitude sécuritaire qui en a résulté ont permis à AQMI de s’implanter dans de nouvelles régions comme le Mali. Cette idée recoupe le message numéro 8 de Ben Laden dans lequel il affirme que ces révolutions ont constitué une occasion de prendre le contrôle de la situation. Certes, Ben Laden a toujours encouragé les militants à accentuer leurs efforts dans les médias et dans les pays de la révolution et à avoir recours à de véritables tribuns « pour enflammer les esprits de la jeunesse ». Mais les vieux outils de recrutement que sont les ouvrages et les discours en hommage aux « martyrs » ont eu moins d’impact sur les jeunes après les révolutions arabes. Actuellement, il semble que les jeunes croient plus aux technologies modernes comme Facebook et Twitter qu’aux panégyriques qui encensent les morts. Et pour toucher le cœur des jeunes, AQMI se doit de faire un effort particulier. Dans un message téléchargé, un leader de la nébuleuse, qui a requis l’anonymat, explique que l’un des objectifs prioritaires était de connaître les jeunes de la région et de se familiariser avec la région elle-même avant d’affirmer que la frontière algéro-malienne était une zone de contrebande connue et qu’il était donc facile d’y opérer. L’organisation a atteint le Niger, puis le Nigeria, et se trouve aujourd’hui au Mali. Objectif : trouver des armes. Le terroriste reconnaît qu’AQMI a rencontré des difficultés majeures pour instaurer la confiance avec les populations locales et pour les inciter à « adhérer aux enseignements de l’Islam et expliquer la réalité des conflits avec les régimes en place ». Qu’est-ce qui attend AQMI dans le Nord du Mali ? Il existe une divergence fondamentale entre ce que les habitants du Nord du Mali sont prêts à accepter et l’idéologie d’Al-Qaïda et de ses affiliés. Comme l’indiquent clairement les lettres de Ben Laden, l’une des priorités immédiates est de s’en prendre aux intérêts des pays occidentaux, où qu’ils se trouvent. Or l’Azaouad souhaite préserver les intérêts de ces pays ; cela revient donc à déclarer la guerre à AQMI.
Jean Pierre James
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