LEMONDE.FR – Le 17 janvier, des hommes solidement armés ont attaqué des cantonnements militaires à Menaka, Adaramboukare et Tessalit, trois localités sahariennes du nord du Mali. Les combats, âpres, se sont poursuivis plusieurs jours, faisant des victimes. Le 20 janvier, un accrochage sérieux a eu lieu à Aguelhok. Les attaques ont été revendiquées par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), un groupe politique et militaire indépendantiste né le 16 octobre. Dans la région, l’armée malienne se déploie en force.
Difficile de dresser un bilan fiable des affrontements en l’absence d’observateurs impartiaux : si l’armée malienne décrit des rebelles en déroute, abandonnant des dizaines de morts sur le terrain, les communiqués du MNLA évoquent des militaires en fuite, subissant de lourdes pertes. Des photos publiées sur Facebook montrent une carcasse d’avion brûlé, supposément un MIG-21 abattu par des rebelles.
Un Touareg pose devant une carcasse d’avion. Le MNLA affirme avoir abattu un MIG-21 malien.
Qui compose le MNLA ? Le Mouvement national de libération de l’Azawad est né de la fusion du Mouvement national de l’Azawad (MNA), un groupe de jeunes intellectuels et de militants politiques, avec les guérilleros de l’ex-Alliance Touareg Niger Mali (ATNM). Ces derniers constituent les fidèles d’Ibrahim Ag Bahanga, leader des rébellions touareg de 2006 à 2009, mort dans un mystérieux accident de voiture le 26 août. A ces deux composantes fondatrices sont venus s’ajouter des groupes d’ex-rebelles touareg qui, dans les années 1990, ont fui le Mali pour s’engager dans l’armée libyenne de Mouammar Kadhafi. Beaucoup de ces hommes ont déserté le "Guide" libyen durant le conflit qui l’a opposé au Conseil national de transition et à l’OTAN. Lourdement armés, certains ont fait la jonction avec le MNLA. C’est d’ailleurs Mohamed Ag Najim, ancien officier de l’armée libyenne, qui en est aujourd’hui le chef d’état-major.
Quelles sont les revendications des rebelles ? Pour Mossa Ag Attaher, chargé de communication du MNLA contacté par Le Monde.fr, l’objectif est clair : "se libérer du colonialisme malien". Pour lui, le territoire de l’Azawad se compose des territoires des trois gouvernorats septentrionaux du Mali actuel, soit ceux de Tombouctou, de Gao et de Kidal. Il affirme que "le MNLA est l’émanation des aspirations des Touareg et d’une bonne partie des Songhaï, Peuls et Maures de l’Azawad" et lutte pour le "droit de la population de l’Azawad au libre choix de son mode de gouvernement, à l’autodétermination et, si elle le souhaite, à l’indépendance". Selon lui, "les fonctionnaires de l’Etat malien dans nos villes sont tous des sudistes. Les gouverneurs de Kidal, Tombouctou et Gao sont des Bambaras, venus du Sud en mission. Il en va de même pour les hauts fonctionnaires régionaux ainsi que pour les gradés de l’armée et des autres services de sécurité".
Dans un entretien accordé au journal arabophone mauritanien Al-Akhbar, Bilal Ag Chérif, secrétaire général du MNLA, affirme que son mouvement est "pacifique et croit en une démarche de dialogue pour atteindre ses objectifs". Le MNLA avait d’ailleurs organisé des marches pacifiques le 1er novembre. Pour Bilal Ag Chérif, l’Etat malien porte la responsabilité de l’escalade militaire : "Le militarisme [de l’Etat] et les opérations de provocations ont provoqué le déclenchement du mouvement de libération, en réaction contre les agissements de l’armée malienne."
En quoi cette rébellion diffère-t-elle des précédentes ? Ces événements découlent d’une histoire de conflit quasi ininterrompu entre Touareg et Etat malien. Appartenant à l’ensemble ethno-linguistique amazigh (berbère), les Touareg (qui se nomment eux-mêmes "Kel Tamacheq") occupent la zone saharienne, où ils vivent traditionnellement d’élevage et de commerce. Sur une population générale estimée à 1,5 million de Touareg, 550 000 vivraient au Mali (850 000 au Niger, 50 000 en Algérie et le reste en Libye et au Burkina-Faso). Dès 1958, le Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), basé à Kidal, réclame la constitution d’un Etat touareg. En 1963, soit trois ans après l’indépendance du Mali sur un modèle unitariste jacobin, éclate la première rébellion touareg, durement réprimée par l’Etat. Suivent les sécheresses des années 70 et les camps de réfugiés en Algérie et en Libye, où de jeunes Touareg sont entraînés et enrôlés par l’armée. Aguerris, certains d’entre eux fondent en 1988 le Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA) et déclenchent une insurrection en 1990, qui débouche sur la signature des accords de Tamanrasset (1991) et du Pacte national de 1992. En 2006, une seconde rébellion force l’Etat malien à de nouvelles négociations avec les Touareg, lesquelles aboutiront à l’accord d’Alger du 4 juillet 2006.
Ces textes visent à une meilleure intégration sociale, économique et culturelle des populations du Nord (Touareg, mais aussi Peuls, Maures arabophones et Songhaï) dans l’ensemble malien. Paradoxalement, ils ont généré une double frustration. D’un côté, l’opinion malienne, majoritairement sudiste, ne comprend pas que l’Etat crée des programmes de développement spéciaux pour le Nord, alors que tout le pays souffre de pauvreté. La presse nationale regorge d’éditoriaux critiques à l’égard de nordistes assimilés à des enfants capricieux ou à des maîtres chanteurs. De l’autre, pour les militants du Nord, rien n’a changé : "Il faut ignorer les réalités de l’Azawad pour affirmer qu’il s’agit d’une région gâtée", affirme Mossa Ag Attaher. Il ajoute : "Les régions du Nord composent la moitié du territoire malien et ne sont quasiment pas couvertes en terme de santé publique, d’éducation et d’accès à l’eau. La région de Kidal est la seule au Mali où l’on doit parcourir plus de 100 kilomètres entre chaque point d’eau. Les grands projets de l’Etat sont des montages : il lève des fonds auprès des organisations internationales, lesquels sont ensuite accaparés et détournés par des responsables corrompus du Sud."
Tandis que les rébellions précédentes n’ont jamais officiellement franchi le pas du séparatisme, pour la première fois le MNLA demande explicitement l’autodétermination de l’Azawad et une potentielle indépendance. Les cadres du MNLA ne parlent d’ailleurs plus de rébellion mais de "mouvement révolutionnaire".
Quel est l’impact de cette rébellion au Mali ? Le premier tour de l’élection présidentielle malienne aura lieu le 29 avril. L’importance du scrutin tient au fait que l’actuel président, l’ex-général Amadou Toumani Touré, devra quitter le pouvoir après deux mandats consécutifs. La presse et les principaux candidats se sont saisis des événements dans le Nord du pays pour ranimer la flamme patriotique, dénoncer les "bandits armés" du MNLA et appeler à un raffermissement de l’autorité de l’Etat sur tout le territoire malien.
Dans le nord du pays, la reprise des affrontements pourrait déboucher sur une nouvelle crise humanitaire et à la fuite de populations civiles vers les pays voisins. Faisant planer le spectre d’affrontements internes à la région, des milices pro-gouvernementales y ont pignon sur rue : les Maures du colonel Ould Meidou, les Touareg du colonel Ag Gamou ainsi que les Songhaï de l’ex-Ganda Koy (milice ouvertement raciste qui sema la terreur dans les années 1990, se livrant notamment à des pogroms de Touareg et de Maures).
Quelles sont les relations entre le MNLA et Al-Qaida ? Cette nouvelle rébellion touareg intervient dans un contexte délicat : la présence depuis 2003 d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et de son ancêtre, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, dans la zone saharo-sahélienne. Multipliant les enlèvements d’étrangers et le racket des trafiquants de cocaïne et de migrants clandestins qui sillonnent la zone, les hommes d’AQMI ont installé plusieurs bases au nord du Mali. Essentiellement algérien, le groupe a tenté de s’acheter les bonnes grâces des populations locales via des mariages (notamment parmi les tribus maures), le recrutement de jeunes désœuvrés et quelques actions sociales. Une petite organisation djihadiste touareg autochtone, Ansar Al-Din, a également vu le jour le 15 décembre.
La facilité avec laquelle AQMI agit dans la région nourrit les interrogations : selon l’anthropologue britannique Jeremy Keenan, le groupe serait une création du DRS (renseignement militaire) algérien. Pour le MNLA, c’est au contraire l’Etat malien qui utilise AQMI pour déstabiliser la zone de l’Azawad et bénéficier d’une assistance militaire étrangère grâce à laquelle il combat la résistance touareg plutôt que les djihadistes. Tous les responsables du MNLA insistent sur leur refus de tout sectarisme religieux et leur détestation d’AQMI. Ils réfutent les affirmations de certains journaux maliens qui affirment que MNLA et AQMI travailleraient main dans la main. Au contraire, affirme le MNLA, si les pays de la région et les grandes puissances cherchaient réellement à se débarrasser d’AQMI et des trafiquants dans le Sahara, ils aideraient ses guérilléeros, familiers du terrain et animés du désir de "nettoyer le territoire de l’Azawad". Lors de la rébellion de 2006, des affrontements meurtriers avaient eu lieu entre les Touareg et le GSPC.
De quels soutiens bénéficie le MNLA ? Il y a peu de chances que l’Union africaine, qui consacre l’intangibilité des frontières de ses Etats membres, apporte son soutien aux partisans de l’autodétermination de l’Azawad. Au Niger voisin, où des révoltes touareg ont suivi celles du Mali en 1992-1995 et en 2007-2009, le président de la République a déjà appelé au calme. La France, qui importe près de 20 % de son uranium du Niger, notamment exploité par Areva dans la région touareg de l’Aïr, n’a aucun intérêt à favoriser ce qui serait pour elle un facteur d’instabilité supplémentaire. L’Algérie a toujours joué un rôle de puissance régionale dans les conflits entre Touareg et Etat malien, abritant les négociations de paix. Aujourd’hui, des sources du MNLA affirment au Monde.fr que "l’Algérie refuse de recevoir et soigner les blessés de guerre du MNLA". En Libye, le nouveau gouvernement fait face à suffisamment de difficultés internes pour ne pas reprendre le jeu permanent de soutien suivi de lâchage auquel se livrait Mouammar Kadhafi avec les divers groupes touareg. A l’heure actuelle, le MNLA ne bénéficie que du soutien moral de mouvements pacifiques de défense de la cause amazigh en Afrique du Nord (Congrès mondial amazigh, Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, ONG Tamazgha…).
Quelle issue pour le conflit ? Mieux armé que les mouvements précédents grâce au stocks d’armes rapportés de Libye, le MNLA est également beaucoup mieux structuré idéologiquement. Souvent efficaces sur le terrain militaire, les rebelles touareg ont par le passé fait montre d’un flou politique préjudiciable. L’insistance sur la notion d’autodétermination donne une cohérence politique inédite au MNLA. Cependant, le mouvement risque l’isolement sur deux tableaux : au Mali, outre le climat d’intransigeance nationaliste attisé par la campagne électorale au Sud, il risque d’être perçu comme un mouvement exclusivement touareg par les autres composantes ethniques de l’Azawad. Quant aux soutiens étrangers, il ne semblent guère probables dans une zone déjà perçue comme une poudrière du fait de la présence d’Al-Qaida. Les porte-parole du MNLA, notamment Hama Sig Ahmed et Bilal Ag Chérif, répètent à l’envi leur désir d’un authentique dialogue avec les autorités de Bamako. Celles-ci semblent davantage enclines à maintenir la pression militaire.
Yidir Plantade – LEMONDE.FR — 25.01.12 –17h50