Rongée par des luttes intestines et accusé de répartition injuste de l’argent des rançons, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.
Les groupes terroristes de la zone sahélo-saharienne se trouvent dans une situation critique, à moins qu’elle subisse un revirement. En effet, leurs dirigeants sont engagés dans des luttes intestines, leurs ressources tarissent et depuis le « Printemps arabe », leurs méthodes violentes sont perçues par les citoyens comme moins efficaces que le combat pacifique. C’est donc sans appel : Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) se trouve aujourd’hui confronté à une dérive interne majeure (surtout au sein de ses brigades sahariennes) à tel point qu’elle est actuellement en état de siège.
Des querelles pour le contrôle d’AQMI
Des dernières nouvelles, il ressort que Mohammed Ghadir (alias Abdelhamid Abou Zeid), le chef de la katibat « Tariq Ibn Ziyad » et Khaled Abou El Abass (alias Mokhtar Belmokhtar ou « Laaouar », qui dirige la brigade El Moulethemine), s’affrontent aujourd’hui pour le contrôle de l’émirat saharien d’AQMI. Chacun reproche à l’autre l’échec des opérations de trafic d’armes et la baisse du nombre de leurs partisans. Selon nos sources, après la récente hausse du nombre de terroristes repentis (illustrée par plusieurs redditions enregistrées en décembre), Abou Zeid a accusé Laaouar de n’avoir pas su contrôler ses partisans. Des renseignements fournis le mois dernier par d’anciens combattants ont permis aux agences de sécurité de faire avorter des opérations terroristes qui n’en étaient encore qu’au stade de la planification.
Depuis longtemps, Abou Zeid cherche à saper l’autorité du chef d’AQMI, Abdalmalek Droukdel alias « Abou Moussaab Abdelouadoud » pour contrôler Al-Qaïda dans le désert, tandis que Laaouar refuse la confrontation directe et lui préfère la négociation et le dialogue. Laaouar a profité de la guerre en Libye pour mettre la main sur un important stock d’armes libyennes : une initiative qui le place sur le même pied d’égalité qu’Abou Zeid dans l’équilibre des pouvoirs. La nomination par Droukdel d’un nouvel émir (Abou Alghama) n’a fait qu’aggraver ces luttes internes. Si Belmokhtar a accepté la décision de Droukdel, Abou Zeid s’y est opposé. Selon des témoignages, AQMI est aujourd’hui dans une situation désespérée. En effet, si ses bataillons passent à l’action, ils deviennent la cible du feu des pays du Sahel. S’ils restent dans leurs repaires, ils ne parviendront pas à s’approvisionner et ne seront alors plus en mesure de lancer des opérations. Les récentes campagnes au Mali, en Algérie et en Mauritanie, destinées à arrêter les fournisseurs d’Al-Qaïda, n’ont fait que renforcer la perception de leur situation critique par les terroristes.
Ces rivalités entre les chefs des « katibats », les tentatives des chefs terroristes de coopter l’argent des rançons, le développement des réseaux criminels et de trafic de stupéfiants et les conflits à la tête de l’organisation se font durement ressentir au sein de l’organisation. Aujourd’hui, il est plus que jamais difficile de convaincre les jeunes à mener des opérations-suicides, notamment lorsque les jeunes recrues voient leurs chefs s’attacher essentiellement à l’argent et au pouvoir. Selon un rapport de 2010 de l’Institut « Thomas Moore » (un cercle de réflexion européen indépendant) ; le nombre d’attaques terroristes attribuées à AQMI a fortement chuté, en comparaison avec la vague de violences qu’avait connue la région entre 2001 et 2008.
Les terroristes ont alors eu recours à d’autres moyens
En moins de dix ans, AQMI a amassé près de 130 millions de dollars en enlevant au moins 50 ressortissants étrangers et en les cachant au Mali. Mais l’accent mis par le groupe sur l’enlèvement d’étrangers pour assurer son financement pourrait bien être à l’origine de sa perte car ce faisant, l’organisation terroriste devient un groupe de mercenaires qui n’a rien à voir avec « la guerre religieuse au nom du Seigneur » par le biais de laquelle Al-Qaïda tentait jusqu’alors de s’attirer la sympathie des communautés musulmanes. Certaines informations affirment que l’organisation rend invalide le concept du devoir sacré que recherchaient certains jeunes impétueux qui l’avaient rejointe. Actuellement, tous les spécialistes du terrorisme reconnaissent que « Al-Qaïda a subi de sérieux revers ». Dans le passé, l’organisation lançait des attaques contre des casernes de l’armée et s’engageait dans des confrontations armées qui coûtaient la vie à des soldats. Par la suite, les terroristes ont choisi d’enlever des Occidentaux et des travailleurs humanitaires sans armes. Tout récemment, Al-Qaïda a connu des divisions et des différends entre ses dirigeants des crêpages de chignon concernant le partage de l’argent (des rançons).
Si on trace une courbe de la violence d’Al-Qaïda, on remarque qu’elle baisse avec le temps. En fait, l’organisation est affaiblie en partie à cause du renforcement de la coordination sécuritaire entre les pays du Sahel et le soutien de leurs alliés occidentaux dans leurs efforts d’éradiquer les groupes terroristes qui menacent la paix dans la région. On en accorde également le mérite au dernier allié en date dans la lutte contre Al-Qaïda : les Touaregs. En effet, le fait que des communautés ethniques ou tribales comme les Touaregs soient prêtes à participer à la lutte contre Al-Qaïda est la preuve que le groupe terroriste est aujourd’hui en état de siège. Il y a seulement quelques semaines, le MNLA a fait part de son intention de lutter contre le groupe terroriste. La détermination de chacun à combattre Al-Qaïda signifie donc que sa fin est proche.
AQMI a également connu des défections dans ses rangs, à l’instar du Jamat Tawhid Wal Jihad Fi Garbi Afriqqiya (Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest). Le 10 décembre 2011, ce groupe auparavant inconnu a revendiqué l’enlèvement en octobre dernier, dans le camp de Rabuni, près de Tindouf, de trois Européens travaillant pour une ONG. Ces défections venant s’ajouter aux conflits de leadership entre Laaouar et Abou Zeid, la structure fondamentale du groupe terroriste apparaît désormais très instable. Aussi, les pays du Sahel capitalisent ces dissensions et s’attachent à resserrer l’étau autour de l’organisation.
L’étau se resserre autour d’Al Qaïda
La Mauritanie a récemment mis en place trois zones sécuritaires en déployant des troupes sur ses frontières Sud, Sud-est et Nord-est pour empêcher de possibles infiltrations par des groupes terroristes ou des trafiquants. L’Algérie a renforcé son appareil de renseignement à proximité de la frontière désertique du Sud, et le Mali a accordé aux soldats algériens et mauritaniens le droit de poursuivre des groupes criminels sur son territoire. Cette réponse active des Etats concernés et le récent conflit interne au sein d’AQMI précipiteront la chute d’Al-Qaïda en tant qu’appareil terroriste et donnera naissance à de nouvelles organisations dont le profil reste encore inconnu. Mais ces nouvelles organisations auront des difficultés à déstabiliser la région. L’une des raisons en est que les communautés défavorisées dans les pays du Sahel affichent déjà une forte aversion face au terrorisme. Al-Qaïda a projeté ses enfants vers un avenir incertain en utilisant des promesses d’argent pour les impliquer dans des activités de trafic, d’enlèvement et d’autres crimes.
Les signes de la désintégration imminente d’Al-Qaïda sont manifestes, notamment après la mort de son leader, Oussama ben Laden, et après que les Talibans d’Afghanistan aient entamé des tractations politiques. Les petits groupes terroristes au Sahel sont affectés par les coups portés à l’organisation. Le recours aux enlèvements est une preuve de leur désespoir. De plus, les jeunes musulmans ont trouvé ce qu’ils cherchaient dans les révolutions arabes pacifiques et en sont même devenus les auteurs. Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres, AQMI est actuellement dans le collimateur de tous.
Jean Pierre James