La situation autour de Kidal est très complexe dans le sens où elle est entourée d’ambiguïtés. Elle a une dimension interne et affecte la souveraineté du Mali dont la cohésion territoriale est menacée. Tout comme elle fait aussi planer des inquiétudes sur une bonne partie du Sahel.
On peut entrevoir sans doute dans cette inflexion majeure de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) la suite de la concrétisation de l’expression d’un rapport de force sur le terrain qui ne lui serait pas favorable. Un rapport de force survenu depuis les événements d’Anéfis opposant les deux groupes armés.
Ensuite, un autre aspect non moins important est la stratégie mise en avant par la CMA qui veut qu’entre deux maux il faudra bien choisir le moindre mal. En effet, ces derniers moments, Iyad Ag Ghali et ses alliés ont attaqué des positions de la CMA.
Le leader d’Ansar Eddine s’est donc lancé dans un conflit ouvert face à la Coordination, signataire des Accords issus du processus d’Alger. Un accord, dont on le sait bien, n’a pas pris en compte les différents groupes armés extrémistes, voire «terroristes», dont Ansar Eddine, qui revendiquent l’islam politique et l’application de la Charia comme mode d’organisation de la société.
Quant à la position officielle de Bamako envers Iyad, elle est loin d’être flatteuse, car le président Ibrahim Boubacar Kéita même a déclaré Iyad Ag Ghali, ennemi du Mali. Cette déclaration des autorités maliennes avait été déjà précédée par celle de la Communauté internationale considérant tous les groupes islamistes du Nord du Mali comme des «forces négatives».
En tout état de cause, cette entente conjoncturelle des deux groupes rivaux d’hier, se traduit sur le plan matériel par une importante capacité militaire pouvant permettre à la nouvelle alliance de relever les défis sécuritaires qui se posent déjà. Et cela en dépit des menaces proférées par Iyad Ag Ghali à l’endroit des signataires de l’Accord d’Alger.
Cette entente circonstancielle pourrait-elle se pérenniser et surtout par rapport à la répartition de rôles liés à la gouvernance et à la prise des décisions ? C’est la question qui taraude les esprits aujourd’hui. Cette inquiétude est d’autant plus légitime que nous savons déjà qu’il a tout le temps existé l’épineuse «Question Touareg». Et on n’oublie ailleurs que ce groupe ethnique est composé des «plus nobles», que constituent les Ifoghas, et les «moins nobles» représentés par les Imghads.
Une lecture connotée des choses semble nécessaire pour mieux comprendre les enjeux autour de Kidal. Autrement, on ne pourrait pas bien appréhender les causes profondes de cette situation d’instabilité qui perdure dans la partie septentrionale du Mali, notamment autour de Kidal.
La reconfiguration au Sahara central en jeu
Une analyse strictement politique n’est pas pertinente pour bien comprendre la situation, parce que les enjeux ne sont pas que politiques. Ils sont géopolitiques, géostratégiques et géoéconomiques.
Très généralement, le spectacle du danger présenté à l’opinion publique à travers des images fortes, a opacifié pendant longtemps les réalités en les déconnectant du contexte de compétition mondiale intense pour l’accès aux ressources du Sahara.
En fait, l’enjeu essentiel de la question sahélo-saharienne ne se joue pas à l’échelle locale. Il concerne l’économie mondiale et le redécoupage des zones d’influence entre puissances internationales avec l’entrée en scène de nouveaux acteurs qui bousculent l’ancienne métropole.
En intervenant au Mali, les forces armées étrangères, dont la France, se sont positionnées dans ce jeu d’influence et d’intérêt politiques et économiques en cours de reconfiguration au Sahara central.
C’est pour certainement ne pas être en phase avec les actuels maîtres des lieux, qu’on pourrait aisément comprendre comment les 50 pick-up avec des hommes armés jusqu’aux dents ont échappé à l’œil-satellite des forces onusiennes et françaises.
La légèreté provient du fait que la décision unilatérale du Gatia de faire irruption dans Kidal, une zone qui échappe certes au contrôle de l’Etat depuis la regrettable visite du Premier ministre d’alors (Moussa Mara) dans la localité, mais qui reste au cœur des enjeux de taille.
Alors, quoi que l’on puisse dire par rapport à la loyauté du Général Gamou (leader du Gatia) ou son allégeance à Bamako, cette irruption surprise dans Kidal sans avis du pouvoir central constitue un outrage, une mauvaise conduite. De même le silence assourdissant du gouvernement de Bamako face à cette action emblématique au nord du pays constitue justement, une certaine légèreté de sa part.
La réaction rapide de l’Etat face à la situation, ne serait-ce qu’éclairé la lanterne de son opinion publique, allait de soi. Nous sommes dans un Etat de droit. Et au sein de tout Etat organisé, la souveraineté nationale est sauvegardée, protégée par l’Etat. Aucun individu, groupe ou entité intra-étatique ne peut s’en attribuer l’exercice.
Donc même si l’action du Gatia s’inscrit directement dans l’intérêt exclusif de Koulouba, l’Etat doit prendre ses responsabilités.
Ibrahim H.Diallo