Si hier le général Kafougouna KONE avait opposé une fin de non recevoir à «l’autonomie de Kidal », la situation a radicalement changé depuis les attaques du 23 mai 2006 contre les garnisons militaires à Kidal et à Ménaka ayant abouti à «l’Alliance démocratique pour le changement » dont le congrès du 9 au 18 août dernier est un acte fondateur de «l’administration musclée » de cette partie du territoire national qui n’en demeure pas moins, pour cette raison, une «République d’Azawad » ne disant pas son nom.
La gestion politique et la sécurité militaire de Kidal étant désormais assurées par les organes issus dudit congrès dont l’état-major militaire, dirigé par le colonel déserteur Hassane FAGAGA, est le bras armé pour faire plier l’autorité centrale de Bamako face à tous les desiderata de ces rebelles «toujours insatisfaits » qui ont cependant le mérite de la franchise de n’avoir jamais fait mystère de leur volonté autonomiste d’aujourd’hui et séparatiste de demain (A te a kono bilen, a minè a be a da). Ce sera alors bonjour et au revoir à «Mali un et indivisible », symbole de «l’unité dans la diversité », que l’on tente de «sauvegarder par la phraséologie » débitée dans le préambule du fameux accord d’Alger signé le 4 juillet dernier entre le gouvernement malien et les soldats mutins.
C’est chose faite depuis le 18 août dernier à l’issue du congrès des rebelles ayant débuté 9 jours auparavant : Kidal a sa propre aile politique et son administration parallèle en terme de gestion au quotidien des affaires de la cité de l’Adrar des Iforas. Le mouvement militaire, en dépit de son habillage politique sous la forme de l’Alliance démocratique pour le changement du 23 mai 2006, s’étant fixé quatre objectifs majeurs à court, moyen et long termes : encourager et promouvoir une politique de partenariat au niveau national et international, créer toutes les conditions pour assurer eux-mêmes la sécurité de la région, promouvoir les valeurs culturelles des Touaregs (sic) et prôner une politique de bon voisinage.
L’autonomie de fait
Le partenariat au niveaux national et international a un double sens, le postulat de départ étant l’autonomie de fait de Kidal : aucune autorisation n’a été adressée au MATCL pour la tenue du congrès en question et aucune demande de récépissé de création de l’alliance fondatrice n’a précédé ledit congrès, encore mois une validation des bureaux qui en sont issus. D’une part, dans l’entendement des insurgés comme cela est d’ailleurs explicité dans l’intitulé même de l’Accord d’Alger, Kidal est une région «à part » qui doit être considérée et traitée comme telle. «Nous avons pris des armes pour nous battre pour Kidal, il n’est pas question de partager notre butin (large autotomie) avec les autres régions du Nord ou du reste du Mali. Si vous voulez avoir les mêmes avantages que nous, battez-vous contre l’Etat malien qui écrase ses minorités ethniques (sic) dont les Touaregs et ne s’occupe pas des régions déshéritées du pays abandonnées à leur triste sort qui les conduit inexorablement à une mort certaine et atroce après une longue agonie dans l’indifférence de tout le monde », tel est le nombrilisme ethnocentriste et régionaliste d’une partie de cette communauté touarègue dont le double tort est de croire que les difficultés de la vie au Mali ne frappe qu’à une seule porte (la sienne) et de n’avoir par reconnu les efforts immenses et les nombreux sacrifices qui ont été faits ou consentis en un temps record pour intégrer les éléments des MFUA (Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad) dans l’administration publique et les corps en uniforme de l’Etat comme les insurgés eux-mêmes en sont la preuve tangible, sans compter les milliards versés au reste des combattants pour les projets de développement avec un taux de remboursement dépassant à peine 8% de la somme globale. En pratique et l’autonomie de Kidal aidant, le partenariat national implique donc une coopération des régions du Mali comme dans une sorte de «fédération » des entités fortement décentralisées.
Le regard tourné vers le Nord
C’est ce qui explique et justifie le second pallier international de la coopération dont l’Etat de Kidal ou la République de l’Azawad se réserve de droit de prospecter en priorité, les Touaregs (insurgés) ayant le regard plutôt tourné vers le Nord «frère consanguin » que le Sud «frère ennemi » comme l’attestent les exigences contenues dans l’Accord d’Alger de construire les routes qui leur permettent de rallier facilement et rapidement le Sud algérien (Tamanrasset) et le Nord nigérien (Agadir). Le point n°7 de l’Accord d’Alger spécifiant ceci : « Dans les domaines de l’équipement et de la communication : désenclavement de la région par le bitumage des axes routiers principaux (de Kidal vers Gao, Menaka et de l’Algérie), réalisation de l’aérodrome de Kidal et réhabilitation de l’aérodrome de Tessalit ». Toutes choses permettant de voyager au Nord sans contact véritable avec le Sud du pays et de commercer avec les pays voisins (Algérie et Niger) et même lointains (Libye) en tournant le dos à Bamako et à Sikasso. D’où une double politique de «bon voisinage » envers le Mali plus au Sud et l’Algérie/Niger plus au Nord. La région de Kidal ou la République de l’Azawad étant une entité politique et géographique à part entière.
D’ailleurs, pour l’harmonie de la trinité (histoire, géographie et population), des voix officielles se sont élevées pour demander le rattachement du cercle de Ménaka à Kidal ou, à défaut, son érection en région comme les autres parce ses populations ne se reconnaîtraient pas «sociologiquement » dans celles de Gao en comparaison avec les Ifogas de Kidal dont elles sont issues. L’objection, c’est qu’aucune région du Mali n’est composée d’une seule communauté ethnique ou tribale. Notre chance, en comparaison avec les autres pays africains, c’est que les nombreuses villes ou localités sont même des melting-pots sociologiques et linguistiques (bilingues ou polyglottes) comme Mopti, Gao, Niafunké, Djenné, Tombouctou, Nioro du Sahel, Kayes, Nara, Sikasso, Koutiala, San, Ségou, Bamako, etc.
Exception culturelle targui ?
Marchant à contre-courant de l’histoire et de cette nation malienne en construction par la synthèse des valeurs spécifiques et le partage des valeurs communes dont le cousinage (les Touaregs via les Songhays ne sont-ils pas cousins des Dogons ?) est l’emblème national, les rebelles du 23 mai cultivent un repli identitaire qui n’existe même pas en terme absolu : nomades hier, nomades aujourd’hui, nomades demain. Cependant la kalachnikov des rebelles de Téghargharett ne saurait se confondre avec le bâton des berges touaregs qui font paître leurs troupeaux par devers regs et ergs du désert de l’Azawad ! Car le combat qui vaille à leurs yeux se résume à cette formule lapidaire : «Promouvoir les valeurs culturelles des Touaregs ». Entendez par-là : nomadisme et élevage, islam et communautarisme, langue (Tamazik) et écriture (Tifina), etc. Sans être expert en la matière, les Touaregs partagent le nomadisme et l’élevage avec les Peulhs, les Maures/Arabes, les Bozos/Somonos (pêche) ; l’islam avec 95% des Maliens, le communautarisme avec tout le monde.
Chacun est toutefois le promoteur de sa propre langue, même si le phénomène de langue «dominante » est propre à tous les pays du monde où il en existe peu ou beaucoup, y compris en France (12 langues ou dialectes) qui nous sert de modèle en la matière. Pourtant, l’arabe (seconde langue des insurgés Touaregs) est la seule langue «nationale » dont l’Etat malien fait la promotion à l’école, car il est enseigné dans les lycées publics et l’Université de Bamako alors que le Bambara (largement majoritaire) ne bénéficie point de cette mansuétude étatique. A ce sujet, le Tifina (écriture inventée par les Touaregs avant la colonisation) et le Masaba (écriture inventée par les Bambara avant la colonisation) sont logés à la même enseigne de l’ignorance de l’Etat en ce qui concerne leur développement et leur enseignement à l’école. Le Masaba ayant même un avantage sur le Tifina, car c’est un alphabet phonétique (et non idéographique) qui était plus largement pratiqué dans les missives en milieu initié comme profane (cf. correspondance écrite des Bambaras Masasi immigrés en France et ailleurs). Nous passons sous silence l’alphabet N’ko (inventé dans les années 1940 par Souleymane KANTE) qui doit sa promotions actuelle aux initiatives privées : il est enseigné à l’Université de Caire, mais pas à l’Université de Bamako. Qui d’entre les insurgés de Téghargharett peut écrire en toute honnêteté son propre nom en Tifina ? Mystification, mystification, mystification !
Volonté de démarcation
Pourquoi alors cette volonté récurrente de se démarquer du reste du Mali ? «Vous les Maliens, vous ne comprenez vraiment rien à rien. Vous ne remarquez donc pas que nous n’avons tien à voir avec vous ! Nos frères de sang, ce sont les Touaregs du désert. Pourquoi est-ce vous croyez que nous sommes exilés en Libye plutôt que de descendre vers le sud du pays ou d’aller au Ghana, en Côte d’Ivoire ou ailleurs comme les Songhays l’ont fait ? Allons, remuez un peu votre méninge…Notre rêve de grand Sahara habité par les seuls nomades deviendra tôt ou tard réalité. Au lieu de nous combattre, aidez-nous à être ce que nous sommes (nomades et éleveurs) et restez tels que vous êtes (sédentaires et cultivateurs)», voilà le fil conducteur de toutes les rébellions nourries continuellement par une partie de la communauté touarègue dont l’objectif majeur demeure la séparation d’avec le Mali et non l’intégration dans le reste de la population malienne qui se caractérise par son unité dans sa diversité comme un modèle unique en Afrique subsaharienne. C’est ce qu’a révélé le colonel FAGAGA à nos confrères de Jeune Afrique et de Libération : «C’est la France qui nous a rattachés au Sud », «La France nous avait promis un Etat », «Notre objectif, c’est l’autonomie de Kidal », etc.
Le donner et le recevoir universels
Mais ce que l’on feint d’ignorer, c’est que la vie des peuples est faite d’emprunts et d’oublis comme obéissant à la règle universelle du donner et du recevoir, l’essentiel étant de ne pas perdre son âme dans les bassesses matérielles où l’humain est un loup pour l’humain. Les Touaregs n’ont-ils pas hérité le thé (accompagnant la viande du désert) des Arabes qui l’ont eu avec les Anglais qui, à leur tour, l’ont goûté grâce aux Chinois ? Idem pour le café d’Ethiopie ayant colonisé la terre entière, au point qu’on l’identifie aujourd’hui au Brésil ou à la Côte d’ivoire qui en sont devenus les plus grands producteurs au monde ! Nommes-nous devenus pour autant des Chinois ou des Ethiopiens parce que nous buvons tous du thé ou du café ? Combien de familles Bambara ou Soninké installées à Bamako ne consomment plus de «Tô » ou de «Basi » et qui en revanchent, au moins une fois par semaine, goûtent à la sauce succulente du «Fakoyi » des Songhays ? Parce que la cuisine fait partie des éléments constitutifs du background culturel d’un peuple donné, à un moment donné de son histoire.
De toutes les façons, toute diachronie culturelle est la résultante d’une synchronie culturelle comme pour dire qu’aucune culture n’est figée en soi et qu’au contraire, elle est comparable à l’eau qui coule prenant la couleur des sols traversés : soit elle se renouvelle constamment pour vivre, soit elle stagne pour s’exposer à la pollution et au dessèchement inexorable. Tenez, la langue arabe et l’islam (pourvu qu’il ne soit pas d’inspiration terroriste) que les insurgés prétendent défendre ne sont-ils pas des apports à la culture touarègue datant des 7è et 8è siècles après JC ? N’est-ce pas Kankou Moussa KEITA (célébrissime empereur mandingue) qui a fait de Tombouctou le centre mondial de la culture islamique au 13è siècle après un pèlerinage encore mémorable qu’il a effectué à la Mecque d’où il a ramené de nombreux érudits musulmans qui y ont été rejoints plus tard par ceux de Walata et de Chinghetti (en Mauritanie) ? Ce qui est sûr, c’est qu’en cultivant les particularismes de façon exacerbée et égocentrique, l’on contribuera à coup sûr à la désintégration nationale au fur et à mesure que les uns et les autres marchent dans des chantiers parallèles. N’est-ce pas le but recherché par les rebelles de Téghargharett qui sont loin de représenter toute la communauté targui, encore moins celle de tous les Ifoghas ?
Sécurité, domaine réservé des rebelles
Mais là où les rebelles ne jouent point au bluff ni à la mystification, c’est leur affirmation forte à l’issue de ce congrès du 18 août : «Créer toutes les conditions pour assurer nous-mêmes la sécurité de la région de Kidal ». La vérité, c’est que l’Accord d’Alger ne dit pas autre chose en ce qui concerne les soldats déserteurs qui seront gérés avec «discernement » : non seulement ils ne seront pas punis selon le règlement militaire pour désertion avec vol d’armes et mort d’hommes ; mais aussi, ils seront réintégrés et réaffectés dans les unités spéciales dont le commandement en chef leur sera confié en priorité. Voici ce qu’en dit ledit accord au point n°4 : «Création en dehors des zones urbaines de Kidal d’unités spéciales de sécurité, rattachées au commandement de la zone militaire et composées essentiellement d’éléments issus des régions nomades, dans les proportions assurant l’exécution efficace des missions des Unités Spéciales de Sécurité. Elles seront chargées notamment des missions suivantes : protection et gardiennage des édifices publics ; protection des personnalités ; reconnaissance et de patrouilles ; assistance à la police judiciaire ; intervention ; toutes autres missions qui seront définies dans l’acte de création.
Les officiers issus du personnel visés dans le chapitre III, point 5 peuvent servir éventuellement dans les unités spéciales. Toutefois, lorsque l’unité est commandée par un officier issu des personnels visés dans le chapitre III, point 5, son second proviendra des autres corps des forces armées ou de sécurité nationale et vice-versa. Leurs besoins en personnel seront complétés à partir des autres corps de défense et de sécurité nationale ». Le point 5 en question précisant : «Gestion avec discernement des officiers, sous officiers et hommes de rang, qui ont quitté leurs unités d’origine pendant les événements du 23 mai 2006, en les intégrant si besoin dans les unités spéciales de sécurité en mettant à contribution la structure spécialisée visée plus haut pour faciliter la régularisation de leurs situations administratives, financières et de carrière, ainsi que leur participation aux opérations de maintien de la paix ».
Où trouver les ressources pour exécuter un programme aussi ambitieux ? La réponse à cette interrogation est simple : puisque les rebelles contrôlent la gestion administrative et sécuritaire de la région de Kidal, il leur appartiendra de donner leur quitus à l’exploitation des ressources minières en collaboration avec les Etats voisins et les ONG partenaires à eux par-dessus la tête des autorités nationales du Mali qui sont «liées » par les accords d’Alger en matière d’autonomie de fait accordée à cette partie du territoire. Ainsi, les rebelles court-circuitent le Conseil provisoire sur le point n°8 du chapitre II de l’accord d’Alger : «Encourager les programmes de recherche et d’exploration des ressources naturelles ». Désormais, c’est l’alliance qui s’occupera de ce volet important au terme de son congrès ci-dessus référé.
Par Seydina Oumar DIARRA-SOD “