La conférence d’entente nationale – Une velléité de plus ? (suite) : Les arabo-berbères perdent le fleuve

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Au début de la publication de cette série d’articles, nous écrivions : « Et, en mars prochain est prévue une Conférence d’entente nationale. Elle ne manque pas de laisser sceptique ».

En effet, ce qui incite au scepticisme, c’est la raison même pour laquelle cette conférence est voulue : « permettre un débat approfondi entre les composantes de la Nation malienne sur les causes profondes du conflit. » (Extrait du projet de Termes de référence). Autant dire que l’on va se réunir pour rien car les causes du conflit ne font de doute pour personne : le conflit a, pour cause, le rejet de la République du Mali par l’une de ses composantes : quelques Arabo-Berbères. »

S’intéressant à ces causes, votre hebdomadaire vous a proposé, dans une première livraison, la situation politique dans la boucle du Niger avant l’invasion marocaine : les Arabo-Berbères y étaient sujets des empereurs du Mali et du Songhoï. Dans la deuxième livraison, nous intéressant aux causes lointaines des actuelles rébellions, nous avions exposé comment, profitant de l’anarchie créée par l’invasion marocaine, les Arabo-Berbères se sont rendus « maîtres » du Fleuve.

Cette semaine, il sera question de la conquête des régions de la boucle du Niger par la France.

La conquête débute le 5 décembre 1893, date du premier accrochage entre les troupes d’invasion coloniale. Elle s’achève le 25 juin 1916, date de la mort de Firhoun. Cependant, une remarque de taille : les Français ont lutté contre Samory et Ahmadou Cheikhou Tall dix-huit années de suite, sans interruption. La résistance dans la Boucle du Niger a duré vingt-trois ans, mais de façon discontinue, les moments de troubles alternant avec des périodes d’accalmie. C’est déjà le prélude de ce que nous connaissons actuellement : tant que les Français donnent la preuve de leur force, les Arabo-Berbères se soumettent. Dès que ces derniers soupçonnent une faiblesse de l’envahisseur, donc, une faiblesse de l’Etat central, ils entrent en rébellion.

Au vu de cette intermittence, la résistance des Arabo-Berbères peut être découpée en phases qui feraient distinguer trois périodes : celle de la conquête de la ville de Tombouctou, celle de la conquête de la « région » de Tombouctou, celle de la poursuite de la résistance après la conquête de la « région «  de Tombouctou.

  1. La conquête de la ville de Tombouctou 

Parti de Mopti, au début du mois de décembre, le lieutenant de vaisseau Boiteux, avec, sous ses ordres, les canonnières le Mage et le Niger , accoste à Korioumé. A bord d’un chaland, avec 11 laptots, il s’embarque en direction de Tombouctou. Informés de ses manœuvres, le chef tenguériguif de la ville, Cheiboun Ag Fondougouma avait convié le tombouctoukoï Hamdia à se joindre à lui pour organiser la résistance. Le premier accrochage eut lieu près du marigot de Daï. Les Français arrivent à disperser les résistants. Le 15 décembre, Boiteux entre dans Tombouctou sans combattre. La conquête commence sous de beaux auspices pourrait-il dire. C’était compter sans la détermination des Tenguérigifs à s’opposer à son installation.

Son second, l’enseigne de vaisseau Aube, commet l’imprudence de poursuivre ces derniers après les avoir dispersés. Ce sera la catastrophe pour lui et ses hommes. Il se trouve subitement encerclé par des cavaliers, au milieu des sables, dans un terrain inondé et ne peut résister. Il est massacré avec les dix-neuf hommes qui l’accompagnent. C’est le premier revers subi par des envahisseurs. Il ne sera pas le dernier.

  1. La conquête de la « région de Tombouctou » 

En effet, le 15 janvier 1894 restera gravé dans les annales de la colonisation française comme un des jours les plus sombres de son histoire. Le 1er janvier, le lieutenant-colonel Bonnier, jugeant Boiteux en danger, quitte Ségou à la tête d’une colonne  répartie sur 300 pirogues, débarque à Tombouctou. Y trouvant la situation calme, il quitte la ville pour regagner Kayes. Sur le chemin du retour, il est exterminé avec sa colonne à Tacoubao.

De la bataille de Tacoubao, il existe deux versions : celle des Français et celle des Touaregs.

La version française : « Le  janvier au matin, vers heures et demie,  deux coups de feu suivis du cri « Aux armes ! » retentissent dans le silence et l’obscurité ; en un clin d’œil, tout le monde est debout, malheureusement trop tard.

« A la faveur des ténèbres,  260 fantassins et 130 cavaliers se sont glissés jusqu’aux abords du bivouac. Surgissant de toutes parts, ils reversent les faisceaux, chassent les bœufs et les tirailleurs affolés devant eux ; c’est un tumulte indescriptible.

« La surprise et l’attaque sont si rapides, le désordre est tel que la résistance est impossible. Quelques coups de feu parmi les clameurs en détresse et c’est tout. Un quart d’heure après, le détachement, presque en entier, est exterminé.

« (…) 11 officiers, le lieutenant-colonel Bonnier, le commandant Hugueny, les capitaines Regad, Livrelli, Tassard et Sansarric, les lieutenants Garnier et Bouverot, le docteur Grall, le vétérinaire Lenoir, l’interprète Aklouk, 3 sous-officiers : les sergents Gabrié, Etesse et un indigène ; enfin 68 tirailleurs sont tombés victimes de la fureur de l’ennemi. »

Seuls 11 personnes arrivent à s’échapper au prix de mille souffrances : le capitaine Nigotte, le sergent-major Béretti, le sergent Lahirre et 8 tirailleurs.

« La catastrophe de Dongoï eut un douloureux retentissement en France, tant à cause de la proportion anormale des officiers disparus que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles elle se produisit. »

La commandant, le commandant Réjou, commandant de la région Nord (Tombouctou), depuis le 27 juin 1895 écrit : « Le désastre de Tacoubao,(15 janvier 1984) avait affolé l’opinion publique en France. » (in Huit mois à Tombouctou et dans la région Nord)

Poursuivant son commentaire, il ajoute : « La petite colonne Bonnier fut noyée dans le flot des assaillants, et l’attaque, suivant la tactique touareg, fut tellement impétueuse qu’avant que le gros formé en carré eût le temps de prendre les armes et de se reconnaître, l’ennemi était sur lui. Le colonel Bonnier s’était parfaitement gardé par une ligne des sentinelles doubles  et de petits postes ; il n’y a pas eu de surprise.

« Bonnier se gardait comme on se garde en Europe, comme, avec les colonels Archinard et Humbert, nous nous sommes toujours gardés au Soudan. Bonnier ne pouvait deviner la tactique, toute nouvelle pour nous, des Touaregs, qui fondent sur l’ennemi comme une troupe de taureaux qui voit rouge. » (Idem).

C’est également le commandant Réjou qui a transmis à la postérité la version touarègue telle que la lui a relatée Cheiboun : « Cheiboun (Sobo), le chef actuel des Touaregs-Tenguéréguiffs, qui commandait un des groupes d’attaque à Tacoubao, et qui reçut une blessure dont il souffre encore, a raconté :

« Nous étions partagés en trois colonnes et errions dans le lieu dit Tacoubao, à la recherche de la  colonne française que nous savions en route. Le hennissement de nos chevaux, qui sentirent le campement, nous dévoila sa proximité.

« L’attaque eut lieu aussitôt. Avant d’arriver au gros de la colonne française, nous eûmes trois blancs, trois bellahs et trois captifs tués. Notre attaque brusque avait mis le désordre dans votre troupe ; vos tirailleurs se tuaient entre eux dans l’obscurité. Quelques officiers groupés autour du chef se défendirent jusqu’à la mort et nous firent beaucoup de mal. » (Idem)

Le 7 février 1894, avec l’intention de venger Bonnier et ses compagnons d’armes, le commandant Joffre arrive à Tacoubao. Sa colonne y « recueille, après un triage peu commode parmi les ossements épars sur le sable, les squelettes décharnés des 13 européens, victimes du guet-apens des Touareg, les brûle sur place et rapporte leurs cendres à Tombouctou où elle entre le 12 février… »

Du 20 au 28 mars 1894, une série d’affrontements l’opposent aux Tenguéréguiefs qui ne cèdent que face à la supériorité des armes de l’ennemi. Ils ne sont pas battus, mais préfèrent abandonner la lutte après que l’ennemi eut razzié leur bétail : 50 chevaux, 8000 moutons, 400 bœufs.

A suivre

 

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