Commission vérité justice et réconciliation : Une stratégie d’intervention 2016-2018, pour réconcilier le cœur et l’esprit des Maliens

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Pour mettre en route la vision de la Réconciliation nationale après la grave crise multidimensionnelle que le Mali a connue, les hautes autorités du pays ont par l’ordonnance N° 2014-003/P-RM du 15 janvier 2014 créé la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR). Dans un document de 26 pages, intitulé «Stratégie d’intervention 2016-2018», la Commission expose son plan de travail pour la période.  La réconciliation est un processus complexe et ne peut s’obtenir aux dépens de la justice et de la vérité. Elle suppose une stratégie bien pensée et la conjugaison d’efforts coordonnés et persévérants de la part des victimes et des auteurs de crimes. Si certains résultats peuvent être atteints à une brève échéance, d’autres nécessiteront du temps. D’où la justification d’un plan d’intervention coordonné de la CVJR.

Pour rappel, depuis son indépendance, le Mali a connu quatre rebellions armées, respectivement en 1963, 1990, 2006, 2012 et trois coups d’Etat en 1968, 1991et 2012, dont chacun a entrainé son lot de désolation et de violations des droits de l’homme occasionnant des souffrances énormes pour l’ensemble de la population. Ainsi, pour obtenir une paix inclusive et durable, se libérer des angoisses et des crimes du passé, toutes les communautés du pays doivent être impliquées dans le processus de réconciliation nationale. Il s’agit, après avoir été confronté à des souffrances, de se tourner pleinement vers un avenir serein. La réconciliation nationale apparait donc comme la condition sine qua non de la stabilisation politico-institutionnelle et de la refondation tant voulue de l’État. C’est donc confirmant cet esprit que dans son discours d’investiture prononcé le 4 septembre 2013, le Président de la République, IBK, avait pris l’engagement suivant : «Je veux réconcilier les cœurs et les esprits, rétablir une vraie fraternité entre nous afin que chacun dans sa différence, puisse jouer harmonieusement sa partition dans la symphonie nationale. Je veux rassembler toutes les composantes et toutes les générations de la société malienne, mobiliser les talents, et les efforts en vue de l’avènement d’une société nouvelle basée sur l’Excellence. Je veux rassembler les Maliennes et les Maliens, pour que triomphent la Justice et l’Equité, sans lesquelles il n’est pas d’avenir viable pour une Nation».  

Ainsi, la réconciliation vise donc non seulement le règlement du conflit, mais aussi et surtout, son dépassement et sa non-répétition. En effet, l’objectif ultime de la réconciliation va au-delà de la reconnaissance des droits de chacun, en visant la construction d’une communauté nationale où vivraient des citoyens libres et égaux, capables d’affronter ensemble une histoire commune faite parfois de violences. Le processus de réconciliation nationale doit donc permettre à chaque partie de se reconnaître mutuellement dans le cadre d’une véritable thérapie collective. Il s’agit ici d’exorciser les peurs pour ne pas recommencer les mêmes erreurs. Chacun, pour cela, doit être capable de reconnaître ses propres torts. La réconciliation suppose le pardon, qui demeure une valeur cardinale de notre société, non pas pour oublier le passé, mais afin de le surmonter et de rendre possible un présent et un futur partagé et moins douloureux.

La réconciliation suppose enfin la reconnaissance de l’Autre dans sa différence et la considération réciproque et tolérante entre les communautés. Elle vise à surmonter les préjugés et à enrayer les logiques discriminatoires. Elle implique le respect des différentes croyances religieuses, de la pluralité des mémoires et des vécus, et le rejet de toute forme d’intégrisme.

Du Mandat de la CVJR

Notons que la réussite de la mission de la CVJR passe nécessairement par une bonne compréhension de son mandat. Ainsi, indiquons que selon l’ordonnance, la création de la CVJR permet de se rendre compte de son étendue au triple plan temporel, spatial et matériel. Ce qui est à la fois un enjeu et une occasion pour la Commission, si elle parvient à être à la hauteur de ces attentes. La recherche de la vérité, sous toutes ses formes, constituera une priorité essentielle et la condition de réalisation de l’ensemble du mandat de la CVJR. Ainsi, seules des enquêtes impartiales et efficaces permettront de répertorier toutes les victimes du passé, d’évaluer les préjudices subis, d’identifier les responsabilités et de comprendre le contexte structurel des violences passées. Et cela  afin d’agir en faveur de la réconciliation, du dialogue et du retour des réfugiés. C’est donc, ces derniers éléments qui seront considérés comme la conséquence positive du travail de recherche de la vérité, qui concentrera l’essentiel de la première phase de travail pour l’année 2016. Ici, il s’agira d’enquêter sur les cas de violations graves des droits de l’homme, d’établir la vérité et de proposer des mesures de réparation adéquate.  Ainsi, contrairement aux tribunaux qui cherchent à établir la culpabilité des auteurs présumés, la CVJR opérera selon un standard de preuve différent. Elle centrera principalement son action autour des besoins des victimes. De ce fait, elle offrira d’abord un lieu où ces victimes pourront raconter leurs expériences et leurs souffrances passées. Ces récits constitueront pour elles une reconnaissance officielle de leurs souffrances et de la gravité des crimes commis contre elles. Sur la base de ces témoignages, la CVJR procédera à des enquêtes approfondies afin de les situer dans le contexte plus large du conflit, d’une manière structurelle que les tribunaux ne peuvent pas se permettre.

La Commission enquêtera aussi  sur les cas d’atteinte à la mémoire individuelle ou collective et au patrimoine culturel et proposer des mesures de restauration et créera les conditions de retour et de réinsertion sociale des personnes réfugiées et déplacées. Elle favorisera le dialogue intra et inter communautaire, la coexistence pacifique entre les populations et le dialogue entre l’Etat et les populations. Dans cette stratégie 2016-2018, la CVJR entend promouvoir auprès des communautés le respect de l’Etat de droit, des valeurs républicaines, démocratiques, socioculturelles et du droit à la différence.

La CVJR promouvra le droit à la différence

La diversité culturelle est la constatation de l’existence de différentes cultures au sein d’une société, à l’intérieur d’un même État-nation. Elle est souvent associée à la diversité linguistique, religieuse, ou coutumière. Aristote écrivait déjà dans La politique qu’« on ne fait pas une cité à partir d’hommes semblables ». Pour dire que la pluralité est le fondement même du Politique. Or, force est de reconnaitre que la diversité ethnique, culturelle et religieuse, qui a longtemps constitué une particularité et une richesse du Mali, a été fortement fragilisée par la crise actuelle. Pire, son instrumentalisation par divers acteurs met à rude épreuve le vivre ensemble et nourrit de futurs conflits sur la base de stéréotypes, de stigmatisations et de préjugés. D’où, la nécessité de mettre en œuvre un vaste programme de sensibilisation aux principes de reconnaissance de l’autre, de tolérance et de respect mutuel. Des valeurs culturelles comme le «Sinankouya» ou «cousinage à plaisanterie», la hiérarchie intergénérationnelle, l’hospitalité ou « Diatiguiya », l’ humanitude ou le « maaya » devraient ainsi trouver toute leur place dans un tel dispositif.

La CVJR  devra rechercher et analyser les causes des conflits ayant affecté le Nord du pays

Depuis son indépendance, le Mali a connu plusieurs rebellions armées et qui ont donné lieu aussi à plusieurs accords de paix, en particulier le Pacte national, l’Accord de Tamanrasset, l’Accord d’Alger et l’Accord pour la paix et la réconciliation. Et, pour certains acteurs, la répétition cyclique de ces rebellions réside dans la mauvaise application de ces divers accords. C’est la raison pour laquelle le dernier accord fait l’objet d’un encadrement très strict du point de vue du suivi de sa mise en œuvre par la médiation internationale. Pour d’autres observateurs, au-delà de la question de l’application plus ou moins réussie de ces accords, il convient de rechercher les causes profondes de ces conflits pour agir en profondeur sur ces dernières, afin d’installer le pays dans une paix durable et le mettre à l’abri de toute nouvelle résurgence de la violence.  Ainsi, les recherches, les études, les enquêtes et les audiences de la CVJR permettront d’identifier ces causes et alimenteront l’analyse et les recommandations du rapport final.

La CVJR devra faire des recommandations dans le domaine de la prévention des conflits

Partout dans le monde, le travail d’une telle Commission donne lieu à des rapports publics formulant notamment une liste complète de recommandations touchant généralement aux quatre piliers de la justice transitionnelle à savoir : le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit à la réparation et la garantie de la non-récurrence. Dans le cas de la CVJR, ces recommandations seront contenues dans le rapport final, mais aussi dans ses rapports d’étape, afin de créer une véritable dynamique de réconciliation tout au long du processus. Le rapport final fournira une liste des victimes, une interprétation globale et historique du conflit, identifiera les responsabilités, donnera des mesures pour prévenir la répétition des violations et promouvoir le droit des victimes. La CVJR proposera un mécanisme de suivi de ses recommandations.

Alors, vivement le démarrage effectif des activités de cette Commission pour que les cœurs meurtris des Maliens vibrent de confiance dans un Mali radieux du Nord au Sud et d’Est à l’Ouest.

Dieudonné Tembely

tembely@journalinfosept.com

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