L’affaire « Air Cocaïne » n’a pas cessé de faire couler de l’encre. La Direction Générale de la Sûreté de l’État (DGSE), est le service de renseignement malien. Soumeylou Boubeye Maiga, actuellement Secrétaire général à la présidence, était son ancien chef.
Le 12 Janvier 2010, il rencontra des conseillers de l’ambassade américaine à Bamako. Il leur donna des copies de documents provenant des autorités de l’aviation civile de l’Arabie Saoudite et de la Guinée-Bissau. Ces documents contenaient des informations sur le Boeing 727 trouvé près de la ville de Tarkint dans le nord du Mali au début de novembre 2009. L’avion provenait du Venezuela avec à bord plusieurs tonnes de drogue. Les trafiquants le vidèrent de son contenu avant de le détruire.
Le premier document présenté par M. Maiga était un certificat de navigabilité délivré par l’Autorité Générale de l’Aviation Civile de l’Arabie Saoudite. Le document identifia l’appareil comme un Boeing B727-200 classifié comme un avion de transport avec l’immatriculation HZ-SNE. Le certificat fut délivré le 12 Novembre 2008 par les autorités saoudiennes. Il expira le 11 Mars 2009.
Les autres documents étaient des lettres provenant de l’Agence de l’Aviation Civile de la Guinée-Bissau (AACGB). Une lettre était adressée à M. Ibrahima Gueye, identifié comme le Directeur de Africa Air Assistance (AAA). AAA est une filiale sénégalaise de la société Malaga basée en Espagne. Il opère comme agent pour les grandes entreprises d’entretien et de sécurité aérienne dans le monde. La lettre informa M. Gueye que le Boeing B727-200F avec immatriculation J5-GCU de la Guinée-Bissau n’était plus en état de navigabilité, et demanda des informations pouvant les aider à le repérer. La lettre était datée du 5 Novembre 2009.
Le Boeing arriva au Sénégal en provenance de l’Arabie Saoudite. C’est avec l’aide de AAA que les documents de l’avion ont été falsifiés permettant ainsi l’obtention d’une nouvelle immatriculation et d’un certificat de navigabilité en Guinée-Bissau. Une fois le nouveau certificat et immatriculation obtenus, l’appareil s’envola vers le Venezuela.
AACGB contacta ses homologues de l’aviation civile du Nigeria et du Venezuela les informant que l’avion volait sous un contrat de location signé au Venezuela avec un équipage nigérian. Dans les lettres, AACGB demanda que les autorités de l’aviation civile nigériane et vénézuélienne interdisent le vol du Boeing. AACGB a aussi averti l’Agence Nationale de l’Aviation Civile du Mali (ANAC). Dans cette lettre, AACGB informa ANAC que le Boeing effectuait plusieurs vols entre la Colombie et le Mali. L’Agence demanda à l’ANAC de clouer l’appareil au sol puisque son certificat de navigabilité n’était plus valide.
Les autorités bissau-guinéennes suspectaient que l’appareil transportait de la drogue vers l’Afrique de l’Ouest, et au Mali en particulier. Dans son dernier vol, l’avion avait été repéré par les radars Marocains. Si plusieurs pays étaient au courant de ces vols vers le Mali, il est bien possible que les autorités maliennes étaient aussi au courant. Dans son investigation, le gouvernement malien a fait preuve de nonchalance et de négligence. Après la destruction de l’appareil dans le désert, l’équipage nigérian rejoignit Bamako où ils s’envolèrent chez eux sous l’œil des autorités maliennes.
Le 25 Novembre 2009, lors d’une réunion avec un responsable politique américain, le directeur adjoint de l’ANAC, Issa Saley Maiga, déclara que, son agence avait la compétence juridique d’enquêter sur les accidents d’aviation. Mais il n’a reçu l’autorisation d’enquêter que le 24 novembre, 3 à 4 semaines après la découverte des débris. Selon lui, jusqu’en fin novembre, la DGSE, était exclusivement en charge de l’enquête. Aucune autre agence ne pouvait faire quoi que ce soit, même la Brigade d’Investigation Judiciaire était exclue. Le gouvernement malien avait aussi refusé de coopérer avec l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC). Cyriaque Sobtafo, Représentant régional adjoint de l’ONUDC dit que le gouvernement malien n’avait partagé aucune information sur l’affaire avec l’Office.
L’opacité autour de l’enquête « Air Cocaïne » suscite beaucoup de questions et de spéculations. Néanmoins, une telle opération de trafic de drogue peut se faire difficilement sans la complicité implicite ou explicite des hauts responsables du gouvernement. Aujourd’hui, ce laxisme a fait du Mali l’une des plaques tournantes dans l’acheminement de la drogue vers l’Europe et le Moyen Orient.
Amadou O. Wane
Collaborateur externe,
Floride, Etats-Unis
Email : amadou@amadouwane.com
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Encadré : Les djihadistes et la “cocaïne connection”
C’est une image qui a frappé tous les esprits. Celle d’un Boeing 727, calciné retrouvé au nord de Gao en novembre 2009. L’avion, qui venait vraisemblablement du Venezuela, près de la Colombie, était chargé de plusieurs tonnes de cocaïne. Les médias découvraient ce qu’ils ont surnommé le “Air cocaïne” et avec, l’ampleur du trafic de drogue dans la région. L’Afrique de l’Ouest est devenue depuis de nombreuses années une plaque tournante du trafic de drogue, les cartels d’Amérique du Sud délaissant la route nord qui passait directement par l’Europe pour des chemins beaucoup plus sûrs. En 2010, 18 tonnes de cocaïne ont transité via la région (le pic ayant été atteint en 2007 avec 47 tonnes). La crise malienne a, ces derniers mois, attiré l’attention sur les liens qui pouvaient exister entre les trafiquants et les mouvements extrémistes du Sahel. Appâtées par le gain, les mouvances telles qu’Aqmi, Ansar Dine ou le Mujao ont vite compris l’intérêt financier d’une telle collaboration.
Mais l’intervention française au Mali est venue compromettre tout le circuit. L’usage du mot “narcoterroriste” a remplacé “les djihadistes”. Dernièrement, Laurent Fabius avait ainsi évoqué le risque, enrayé par l’intervention française, de voir la naissance d’un “Etat narcoterroriste” au Mali. Avant lui, François Hollande soulignait devant le Parlement européen que le terrorisme se nourrissait “du trafic narcotique partout dans le monde et notamment en Afrique de l’Ouest”, dans une allusion sans ambiguïté aux adversaires militaires qui se sont réfugiés pour la plupart dans la région du massif des Ifoghas après la libération des villes dans le nord du Mali.
Après le rapport des députés François Loncle et Henri Plagnol sur la situation sécuritaire dans la zone sahélienne présenté en mars 2012, huit députés de la Commission des Affaires étrangères présidée par Pierre Lellouche, planchent sur la sécurité au Sahel. La manne financière générée par ce rapprochement est considérable, bien qu’impossible à chiffrer. Elle s’ajoute à d’autres trafics rentables : prise d’otages, trafic de cigarettes, de migrants, d’armes, de voitures volées, de l’essence, de bétail…
Du Air cocaïne aux djihadistes
“La fin des années 90 et le début des années 2000 vont consacrer le Sahel comme la nouvelle plaque du trafic international, du fait d’une reconfiguration des routes de la drogue qui a fait que la “Highway 10″ (la route passant par l’Afrique et le 10ème parallèle) est beaucoup plus sûre que les liens maritimes liant l’Amérique du Sud à l’Europe”, explique Samuel Benshimon, rédacteur en chef du site “Sahel Intelligence”. “Cette route a élargi le marché, faisant que des populations africaines, notamment dans les grands centres urbains, sont également devenues consommatrices de cocaïne”.
Les bateaux arrivent d’Amérique latine accostent tout le long du golfe de Guinée en particulier en Guinée Bissau, au Cap Vert et au Sénégal. Les marchandises “sont ensuite acheminées par voie terrestre vers le Togo à travers deux itinéraires le premier passant par le Mali, le Burkina Faso et le Bénin, tandis que le deuxième transite par le Mali, le Burkina Faso et le Ghana”, explique Samuel Benshimon. C’est généralement du Togo, que partent ensuite des avions qui inondent l’Europe en drogue.
La plus-value de cette marchandise suscite l’attention de tous les acteurs. “En Colombie, la cocaïne vaut entre 2.000 et 3.000 dollars le kilo, sur les côtes africaines elle atteint 10.000 dollars; à la frontière sud du Sahel, au Maroc ou en Algérie, c’est 20.000 dollars. Quand elle arrive en Europe, avant d’être coupée elle vaut 45.000 dollars le kilo”, précise Jean-Bernard Véron, responsable de la cellule prévention des crises et de sortie de conflit à l’AFD, avant d’ajouter : “Ce sont des produits à grosse valeur ajoutée, qui ne pèsent pas bien lourd, qui ne nécessitent pas d’énormes convois de camions. On trouve facilement des gens qu’on peut corrompre pour transporter ces produits”. Parmi eux, les “djihadistes”, derniers venus d’un circuit bien rôdé.
Sarah Diffalah