Sans conteste, le processus de mise en œuvre de l’Accord est dans l’impasse. Il est fortement entravé par une querelle de positionnement et d’interprétation de la disposition de l’Accord portant création et installation des autorités intérimaires. Pour décrisper toutes les tensions nées depuis l’adoption de la loi qui s’y rapporte, il s’avère nécessaire d’organiser le plus rapidement possible la conférence dite « d’entente nationale ».
Signé il y a un an, l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger suscite beaucoup de controverses liées à sa mise en œuvre. Car, les principaux acteurs peinent à avoir une identité de vue sur certains aspects de l’Accord. Il s’agit notamment de la mise en place des autorités intérimaires. Prévue dans l’annexe I de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, l’installation des autorités intérimaires est devenue non seulement la pomme de discorde entre les signataires, mais aussi entre le pouvoir et l’opposition. Faut-il le rappeler, depuis l’adoption par l’Assemblée nationale, le 31 mars dernier, de la loi portant modification du Code des collectivités territoriales prévoyant la mise en place des autorités intérimaires, le climat sociopolitique est devenu délétère. Car, à peine le texte adopté que le collectif des partis politiques d’opposition a estimé que cette loi, dans sa forme actuelle, porte le germe de la partition du Mali et viole la loi fondamentale. La majorité présidentielle, elle, ne s’est pas faite prier pour donner sa lecture. De son avis, l’adoption de la loi portant modification du Code des collectivités a été motivée par deux faits majeurs. Il s’agit d’une part de combler un vide juridique relatif au report répétitif de la tenue des élections communales, régionales, celles du district de Bamako et d’autre part elle s’inscrit dans la dynamique de l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale dont l’annexe I en précise la teneur. L’opposition, convaincue du bien-fondé de son argumentaire, n’est pas passée par quatre chemins pour empêcher qu’elle soit insérée dans l’arsenal juridique national. Elle a saisi la Cour constitutionnelle à l’effet d’invalider ladite loi. Mais, elle n’a été suivie par la Cour qui, elle, a donné un avis favorable à la loi.
La pomme de discorde entre l’Etat et les mouvements armés
Après la guéguerre entre l’opposition et la majorité présidentielle au sujet de la loi portant modification du Code des Collectivités territoriales, les ex-rebelles, à leur tour, ont protesté contre la méthode «unilatérale» adoptée par le gouvernement dans le cadre du processus d’installation des autorités intérimaires. Pour se faire mieux entendre, ils ont décidé conjointement (CMA-Plateforme) de suspendre leur participation à la réunion extraordinaire du sous-comité politico-institutionnelle qui était prévue le 20 mai dernier. Et la 9ème réunion du Comité de suivi, prévue les 3 et 4 juin, a été également reportée en raison du refus de mouvements signataires de se rendre à Bamako, avant la satisfaction de leurs doléances par les autorités maliennes. La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme d’Alger ont envoyé, vendredi dernier, une lettre au CSA, lui expliquant les raisons de la suspension de leur participation à cette nouvelle session de discussion autour de la mise en œuvre de l’Accord d’Alger, accusant le gouvernement malien de blocages.
Approché par nos confrères du Studio Tamani, Almou Ag Mohamed, porte-parole de la CMA, a estimé que ni la CMA ni la Plateforme n’ont été consultés lors de l’élaboration du décret d’application de la loi portant modification du Code des collectivités territoriales. A l’en croire, ce qu’ils avaient convenu avec le gouvernement à travers le paraphe d’une convention subsidiaire limitait l’application de la loi aux seules régions du Nord. Mais, le gouvernement a rejeté cette convention et en a fait une autre qui s’applique sur l’ensemble du territoire. «Tout cela dénote un manque de volonté réelle d’aller de l’avant… Nous suspendons notre participation le temps que le gouvernement révise sa position. Le processus est tout à fait bloqué », a-t-il déclaré.
En tout cas, la disposition de l’Accord relative à l’installation des autorités intérimaires indique qu’elle interviendra trois mois après la signature, ou le cas échéant, au-delà de trois mois ; elle se fera de façon consensuelle avec les parties prenantes et s’étendra sur une période de 18 mois. « Une période intérimaire sera ouverte immédiatement après la signature de l’Accord .Durant cette période, et en attendant l’adoption et l’entrée en vigueur des dispositions légale et de gouvernance énoncées dans l’Accord, des mesures exceptionnelles en ce qui concerne l’administration des régions du nord sont prises et mises en œuvre .Ces dispositions ont pour objectifs : de garantir l’adoption des textes réglementaires, législatifs, voir constitutionnel permettant la mise en place et le fonctionnement du nouveau cadre institutionnel et politique, sécuritaire et de défense, de développement économique et social…», précise l’annexe I.
Nécessité d’une concertation nationale
Sans conteste, le processus de mise en œuvre de l’Accord est dans l’impasse. Il est fortement entravé par une querelle de positionnement et d’interprétation de la disposition de l’Accord portant création et installation des autorités intérimaires.
Le chef de la Minusma, Mahamat Salah Annadif, n’a pas passé sous silence le blocage dans la mise en œuvre de l’Accord. «Le constat aujourd’hui est que l’Accord n’avance pas ou avance peu», a-t-il déclaré lors de la conférence de presse qu’il a animée au siège de la Minusma. Pour décrisper toutes les tensions nées depuis l’adoption de cette loi, il s’avère nécessaire d’organiser le plus rapidement possible une concertation nationale autour du sujet. Car, il semble évident que sans une convergence de vue des parties prenantes de la mise en œuvre de l’Accord, les lignes ne vont pas bouger dans le sens souhaité. Pourtant, l’Accord offre un cadre idoine pour déblayer complètement le terrain pour une application efficiente. Il s’agit de la conférence d’entente nationale. Prévu dans le chapitre II de l’Accord relatif au fondement pour un règlement durable de la crise, elle permet aux acteurs de se retrouver autour d’une table pour non seulement trouver une issue à un conflit pluridimensionnel qui n’a que trop duré, mais aussi de redessiner le contour d’un Mali axé sur la libre administration des collectivités. « La conférence d’entente nationale sera organisée durant la période intérimaire avec le soutien du Comité de suivi de l’Accord et sur la base d’une équitable représentation des parties, en vue de permettre un débat approfondi entre les composantes de la nation malienne sur les causes profondes du conflit. Ce débat aura à prendre en charge, entre autres, la problématique de l’Azawad…», précise l’Accord. Il faut que cette disposition soit activée afin de donner un souffle nouveau à la mise en œuvre de l’Accord. Visiblement, c’est le seul cadre qui pourrait aboutir à une convergence de vue sur tous les points de blocage. «De la discussion jaillit la lumière», a-t-on coutume de dire.
Boubacar SIDIBE